Fyctia
Chapitre 4 - Partie 2
Elle ouvrit la porte du petit meublé qu’elle partageait avec Thierry. Ils n’avaient pas les moyens pour un appartement plus vaste, Thierry se contentant du canapé du salon tandis qu’elle occupait la seule chambre du logis. Une odeur de crêpe régnait dans la pièce. Thierry se tourna vers elle, une poêle dans la main. Il s'était lavé, rasé de près, et avait enfilé une chemise et un jean propres. Ses cheveux poivre et sel étaient bien coiffés et il souriait. Émeline ne l’avait pas vu ainsi depuis longtemps, même si ses yeux restaient injectés de sang. Elle s’assit à table, n’osant pas lui dire qu’elle avait diné au bar, et le laissa lui servir une crêpe. Il coupa le gaz, sortit une bouteille de jus de pomme pétillant. Il s’installa à son tour et leva son verre vers Émeline.
— Trinquons !
— Que fête-t-on ?
— Le travail, Émeline, le travail.
— Tu as donc retrouvé une activité ? C’est génial.
— Pas trop vite. Je dois effectuer une période d’essai d’un mois. Ensuite, je pourrai obtenir une titularisation.
— Magnifique. Qui veut t’employer ?
— Le conseil départemental. J’occuperai un poste dans les bureaux, je n’ai pas trop compris lequel. Mais ils m’ont assuré que ce métier ne nécessitait pas de qualification. Pourquoi ne pas tenter cette opportunité qui m'est offerte ? A priori, je serais affecté au service transports, tu sais, ceux qui gèrent les cartes de bus des étudiants.
— Je vois.
Émeline pensa immédiatement à Édouard. Était-ce lui qui avait pistonné son père ? Si c’était le cas, il prenait de plus en plus de place dans son existence. Et elle n’aimait pas qu’il entre dans sa vie privée sans la consulter. Elle chassa cette idée et se souvint des nombreuses fois où Thierry avait tenté de conserver un contrat, sans succès.
— Je sais ce que tu penses Émeline. Mais on m’a assuré que le poste est adapté à mon handicap, je m'assiérai sur un siège spécialement conçu pour ne pas avoir mal au dos. Et mon temps de travail sera aménagé. Je finirai tôt et pourrai me reposer. Sans parler des RTT et des congés. Je pourrai t’emmener en voyage avec mon salaire ! Et nous quitterons cet appartement miteux, je n’en peux plus d'habiter ici.
— Tu oublies autre chose, une autre difficulté.
— Bah, mon problème avec l’alcool c'est ça ? Nous avons trouvé la solution, je commence le travail dans un mois. Et demain, je me rends pour deux semaines dans un centre afin de me sevrer. Nous allons démarrer une nouvelle vie, tu verras, nous pourrons enfin goûter au bonheur.
— Tu sais que si tu restes dans le coin tes amis viendront te chercher, ils t’entraineront au bar et ce sera reparti.
— J’y ai réfléchi, figure-toi. Pendant ma cure, peux-tu dénicher un logement ? Toujours sur Toulouse, car sans voiture, ce ne serait pas vraiment pratique. Mais dans un autre quartier ? Ainsi, je m’éloignerais de mes lieux de débauche et des mauvaises fréquentations.
— Bien sûr ! Je ressens tellement de joie pour toi.
— Nous allons profiter d'une belle vie, Émeline, je te le promets.
Émeline tenta de sourire. Pouvait-elle espérer quelque chose ? Elle qui avait subi son lot de malheur avait du mal à ne pas douter. Thierry pourrait-il vaincre son alcoolisme ? Elle le souhaitait du fond du cœur. Mais elle se souvenait de séjours chez des inconnus, pendant que Thierry partait en cure. Pourtant, elle voulait y croire. Peut-être s’accrocherait-il au travail et cesserait de se complaire dans ses souffrances. Certes, il avait aimé sa mère, mais c’était il y avait tellement longtemps. Ils se trouvaient tous les deux au lycée lorsqu’ils s’étaient rencontrés et ça avait été une idylle folle et immédiate. Thierry ne s’était jamais remis du suicide de sa petite amie. Elle lui laissait de surcroît un bébé sur les bras, qu’il s’empressa, contre l’avis de sa famille, d’élever comme si c’était sa propre enfant. Émeline ignorait qui était son géniteur. Thierry n’avait jamais voulu lui en parler. Dès qu’elle abordait le sujet, il s’enfuyait et trouvait refuge dans l’alcool, une bonne façon de clore la conversation. Elle n’imaginait pas sa mère le tromper, mais qu'en savait-elle ? Elle pouvait avoir vécu une aventure d’un soir avec un bel étranger. Émeline, lorsqu’elle eut appris que Thierry n’était pas son père, s’inventait un personnage parfait, parti dans quelque pays du tiers monde pour aider les nécessiteux. D’autres jours, elle sombrait dans la dépression. Après tout, ce père inconnu n’avait jamais cherché à la retrouver.
Elle regarda Thierry manger ses crêpes avec appétit. Il lui adressa un clin d’œil. Le ventre d’Émeline se serra. Elle éprouvait des remords à s'interroger alors que Thierry avait tout sacrifié pour l’élever à peu près normalement. Il ne méritait pas qu’elle rêvasse d’un autre homme. Elle lui signifia qu’elle devait travailler et qu’elle se retirait dans sa chambre. Elle posa un baiser sur son front et le laissa devant son assiette. Elle voulait être seule pour envoyer un message à Édouard. Elle devinait qu’il se cachait derrière cette proposition de poste et souhaitait le remercier de tout son cœur.
0 commentaire