Fyctia
Chapitre 4 - Partie 1
Émeline quitta l’amphithéâtre avec un mal de crâne assourdissant. Le cours magistral auquel elle venait d’assister s'était avéré particulièrement compliqué à suivre ce jour-là. Elle s’accrochait. Elle voulait plus que tout obtenir sa licence de droit avant de s’orienter vers un master, qui l’entraînerait vers son but : vêtir l’habit d’avocat. Elle avait de l’ambition. Elle souhaitait défendre les pauvres gens, les orphelins, les laissés pour compte. En attendant, son rêve semblait difficile à atteindre et de nombreux obstacles survenaient sur son parcours.
Elle arriva en vue du centre-ville de Toulouse. Elle s’arrêta à la boulangerie où elle discuta quelques instants avec la vendeuse.
— Bonjour Émeline, une baguette comme d’habitude ?
— Bonjour, Madame Pietrin, oui, merci.
— J’ai aperçu ton père tout à l’heure. Je crois qu’il se dirigeait vers le bar des sports.
— Il boit un café en attendant que je rentre.
— Il n’avait pas l’air dans son assiette. Tu ferais bien d’aller jeter un œil.
— Je me rends là-bas, merci, Madame Pietrin.
La boulangère suivit la jeune fille du regard tandis qu’elle quittait le magasin. Puis elle se tourna vers une autre cliente.
— Vous imaginez cette pauvre gamine. Sans maman pour la soutenir. Et courageuse, elle a de la patience pour supporter son ivrogne de père.
— Pensez-vous, je crois que ce n’est même pas vraiment son papa, il a du l’adopter ou quelque chose comme ça lorsque sa mère a, enfin vous savez quoi.
— Quel malheur ! Avec un si joli bébé.
— Elle en a du mérite de faire des études et de ne pas traîner avec tous ces bons à rien qui passent leur temps à se droguer et à déambuler sans but.
— Et l’argent avec ça, son père touche une pension d'invalidité. Elle doit servir à régler l’ardoise au café des sports.
— La petite bénéficie d'une bourse, et elle travaille à côté. Je l’ai apperçue l’autre jour au Monoprix, elle mettait des articles en rayon.
— Ah quand je vous dis qu’elle est courageuse ! Quelle brave enfant !
Émeline poussa la porte du troquet et lorgna du côté du bar. Son père ne se trouvait pas à sa place habituelle, sur le tabouret d'angle. Elle fulmina. Le patron lui fit un signe de la main.
— Il est parti, Émeline. Il s’est frité avec son acolyte, tu sais, l’ancien boucher. Une querelle pour des broutilles, cela s’arrangera demain.
— Merci, Jacques. As-tu vu où il est allé ?
— Aucune idée. Je te sers une bière ?
— C’est gentil oui.
Jacques posa un demi devant Émeline et se dirigea vers la cuisine. Il revint avec une assiette de frites et un hamburger.
— Ne crie pas, Émeline, c’est des restes de midi, ce serait dommage de jeter cette nourriture. Je ne te fais pas l’aumône.
— J’espère bien Jacques. Merci beaucoup.
Il la regarda mordre avec appétit dans le pain. Il connaissait les difficultés de la famille et supposait qu’Émeline ne mangeait pas toujours à sa faim. Il profitait, dès que l’occasion se présentait, de l’absence de son père pour lui offrir quelque chose. L’homme n’aimait pas qu’on leur donne quoi que ce soit, il avait un orgueil démesuré. Ce qui ne l’empêchait pas de sombrer régulièrement derrière le bâtiment, caché entre les poubelles. Il jeta un œil par la fenêtre arrière. La cour paraissait vide. Au moins, ce soir, était-il parti cuver ailleurs.
Émeline restait silencieuse, elle regardait les informations diffusées en continu par le téléviseur. Le sujet portait sur le loup qui sévissait du côté des élevages. Un journaliste interviewait le député Édouard Chevallier-Bloch. Sa prestance et son charisme semblaient emplir tout l’écran, et l'homme politique effaçait le commentateur jusqu'à le faire disparaitre. Émeline ne voyait qu’Édouard. Il arborait une chemise blanche et il avait remonté ses manches. Il se passait la main dans les cheveux, ce qui dénotait son agacement. Jacques suivit le regard de la jeune femme.
— Tiens, la boulangère, Madame Pietrin, tu connais ? Elle m’a raconté que le député rencontrait sa maîtresse dans le quartier.
— Quelle vieille radoteuse !
— D’après elle, notre représentant à l'Assemblée vient souvent par ici ces derniers temps. Il gare sa grosse cylindrée dans le coin.
— Il n’est pas le seul à posséder une belle voiture !
— Elle semblait catégorique. Mais ne le répète pas, je n’aime pas colporter ces ragots. Cela n’apporte que des problèmes.
— Tu peux compter sur moi ! Je ne dirai rien. Qui cela pourrait intéresser ?
— Sa femme peut-être.
Émeline déambula pendant une heure dans les rues de Toulouse. Elle observait les coins où Thierry finissait par échouer lorsqu’il avait forcé sur la bouteille. Elle ne le trouva pas et décida de rentrer à l’appartement. Elle considérait Thierry comme son père, pourtant ils ne possédaient aucun lien du sang. Il l’avait recueillie, toute petite, après que sa mère avait mis fin à ses jours. Il n’avait jamais souhaité parler de cela avec elle et elle ignorait ce qui avait bien pu motiver ce geste. Émeline en avait longtemps voulu à sa génitrice. Elle lui reprochait de l’avoir abandonnée seule dans ce monde, alors qu’elle savait à peine marcher. Elle avait compris que sa mère était très jeune et isolée au moment de sa naissance. Mais était-ce une raison suffisante ? N'avait-elle pas d' autre solution, d'autre recours ? Aujourd’hui, le sentiment de haine s’était atténué, laissant la place à l’abattement. Émeline se levait à l'aube, épuisée par sa solitude. Elle ne se connaissait aucune famille, à part Thierry, qui, si l’on pouvait à peu près compter sur lui le matin, était une loque dès midi. Émeline le maternait plus que le voulait son rôle, mais après tout, ne l’avait-il pas élevée ? Elle estimait lui devoir bien un peu d’aide en retour.
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DOM75
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Il y a 6 jours