Serina Le berger et le loup Chapitre 3 - Partie 2

Chapitre 3 - Partie 2

Jules l’avait retardée et Louise s’inclina devant l’évidence. Elle avait perdu la trace de Goran. Où était-il passé ? Peut-être se trouvait-il dans son hangar. Elle décida de s’y rendre, et contourna par le sentier le pré où se paissait le troupeau des Oveja. Un chien émit un grognement. Elle laissa échapper un sifflement rassurant. “Du calme Zeus, tout doux, brave toutou” et le patou retourna se coucher sans plus lui prêter la moindre attention. Une belle lune pleine et ronde illuminait la campagne environnante. Louise trébucha sur un fil barbelé qui traînait au sol, manqua de s'affaler et se raccrocha à la clôture du champ. Sa chemise de nuit s’emmêla dans l’acier. Elle tira dessus, laissant un morceau du tissu sur place. Elle maudit Goran. Ce rustre, il n’avait pas pris soin de ramasser ses ordures lorsqu’il avait réparé sa barricade. Elle continua son chemin. Elle ne s’était pas rendu compte qu’elle avait perdu son lecteur CD dans l’incident.


Louise chercha de nouveau Goran des yeux. Elle ne le vit nulle part. Elle se remémora l’adorable bébé qu’il avait été. Elle se rappelait son père, qui était berger lui aussi. Elle ne l’avait jamais oublié et bien que ses pensées s’entremêlassent, elle se souvenait du jour où Goran était venu au monde. La salle d’attente était bondée ce jour-là, un soir de pleine lune, certains croyaient même que cela déclenchait le travail. Les deux hommes se tenaient face à face. Le premier, un agriculteur, vêtu d’une manière pauvre, tentait de discipliner ses autres enfants qui chahutaient bruyamment. Le second, qui présentait tous les signes de richesse, les observait d’un œil désapprobateur. Chevallier contre Oveja. C’était déjà toute une histoire à l’époque. Louise, sage-femme, les avait ignorés et avait mis au monde Goran puis avait couru afin d’aider à la venue d’Édouard. Elle s’était chargée ensuite des premiers soins des nourrissons et avait prévenu leur géniteur réciproque du bon déroulement de la naissance. Oveja avait souri, heureux et fier que son épouse lui ait donné un fils, malgré les difficultés auxquelles faisait face sa famille. Le père Chevallier s'était contenté de hausser les épaules, avait remercié poliment l’accoucheuse et demandé à voir son rejeton, en clamant que celui-là aurait de la destinée. Oveja avait pris l’insinuation de travers.


— Qu’est-ce que vous voulez dire ? Que mon p’tiot il ne connaitrait pas le futur ?


— Je n'oserais pas formuler cela ainsi. Je suggère juste que mon fils a un brillant avenir devant lui.


— Et quoi ? Peut-être bien que mon gosse il deviendra avocat, docteur ou, pire encore, un politicard dans votre genre.


Chevallier éclata d’un rire gras.


— Je ne souhaiterais pas vous contredire, monsieur, mais vous allez les payer avec quoi, les études de votre marmaille ? Avec les bourses du département n’est-ce pas ? Vous usez de la bonté du pouvoir administratif comme tout le monde.


— Nous autres, on s’est toujours débrouillés, on n’en veut pas de votre aumône. J’ai racheté le domaine grâce à mon travail. Je ne suis pas né avec une serviette en or pour me torcher le derrière !


— Et ça se voit mon pauvre ami. Tout votre faible pécule se perd dans cette ferme. Un gouffre. Tout juste si vous possédez de quoi habiller vos enfants avant de les envoyer à l’école.


Louise s’interposa et tenta une diversion. Les infirmières donnaient leur premier bain aux nourrissons, leurs géniteurs pouvaient en profiter pour se dégourdir les jambes dans le jardin de l’hôpital. Les deux hommes partirent chacun de leur côté en maugréant. Louise soupira, soulagée. Au moins n’avait-elle pas eu à alerter la sécurité pour jeter ces deux-là dehors. Leurs épouses respectives n’avaient pas besoin d’assister à une bagarre ce jour-là. Elles devaient se reposer avec leurs enfants. Louise se dirigea vers la nursery. Goran et Édouard dormaient dans des berceaux, indifférents à la guerre menée par leurs pères.



Louise aperçut un mouvement de l’autre côté du champ et tourna la tête, mais ne vit rien. Ce Goran ressemblait à une anguille. Qu’est-ce qu’avait dit Albert au juste ? Ou était-ce Jules ? Pas moyen de se rappeler, fichue mémoire. Louise chantonna et sautilla en avançant. Elle parcourut une bonne partie du chemin ainsi, sans trop se souvenir pourquoi elle se trouvait là. D’un coup, elle s’arrêta. Le loup. Et s’il rôdait dans les parages ? Elle n’avait pas peur, elle savait que les fauves attaquaient uniquement en cas de danger. Et elle adorait tous les êtres. Elle détestait pourtant les paysans au plus haut point. Pour quelle raison ? Elle l'ignorait. Peut-être, l'un d'entre eux l'avait-il fait souffrir ? Cela pouvait dater de son enfance et lui échappait aujourd’hui. Après tout, elle avait longtemps vécu entourée d'agriculteurs dans cette région rurale. Elle tenta de réfléchir, quelque chose l’agaçait, mais quoi ? Elle ressentait l’impression de nouveau qu’Albert — ou Jules ? — avait dit une chose importante. Louise se mit à tourner en rond. Elle décida de s’asseoir, puis se releva d’un coup. Sa mémoire lui revenait en saccade. Elle se revoyait chez elle lorsqu’elle avait récupéré son lecteur cd, qu’elle avait dansé et chanté et qu’elle était sortie de la maison. Et de ce que Jules lui avait raconté.


Jules avait insinué qu’un fermier ferait la peau au canidé et elle se trouvait là, à suivre Goran qui se promenait la nuit, aux alentours de son troupeau. Ses lèvres frémirent. Ce sale petit berger allait tuer le loup, protégé ou pas ! Elle devait à tout prix l’en empêcher.

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