Serina Le berger et le loup Chapitre 3 - Partie 1

Chapitre 3 - Partie 1

Louise revêtit sa chemise de nuit par-dessus son manteau, elle se contorsionna dans tous les sens afin d’y arriver, se demandant ce qui pouvait bien clocher avec ses habits. Elle avisa deux bottes en caoutchouc, les chaussa, puis se rendit compte qu’elle ne portait pas de soquettes. Elle se dirigea vers le salon encombré et chercha en vain une paire propre sur le canapé. Au lieu de cela, elle trouva son vieux lecteur CD. Génial ! Elle frappa dans ses mains. Elle enfila les écouteurs dans ses oreilles et enclencha la marche. Encore un miracle, l’appareil fonctionnait à la perfection et un titre de Lady Gaga emplit ses tympans. Louise tapa du pied en rythme et se mit à chanter. “Ouah ouah oh là là, ouah ouah.” Elle éclata de rire. Elle se sentait heureuse lorsqu’elle se souvenait de quelque chose d’aussi banal qu’une mélodie. Ses absences devenaient de plus en plus fréquentes et sa mémoire semblait s’estomper chaque jour. Elle adorait cette chanson. Elle repensait à une enfant qui idolâtrait ce titre, et de tous les disques de cette chanteuse. Peut-être était-ce sa propre petite-fille ? Ou celle d’une voisine ? Louise n’aurait su dire. Elle vivait seule depuis fort longtemps. Si elle disposait d'une famille quelque part, ses membres ne se souciaient pas d’elle. Elle oublia les chaussettes qu’elle cherchait deux minutes auparavant et quitta la demeure sans verrouiller la porte.


Le titre suivant s’enclencha et elle chanta à tue-tête, provoquant un hurlement à la mort d’un chien. Elle voulut lui crier de se taire, mais se ravisa. Elle se dirigea d’un pas léger vers la forêt, inconsciente de la nuit qui tombait. Elle connaissait l’endroit sur le bout des doigts, elle pensait — mais était-ce réel — qu’elle avait toujours vécu dans sa petite maison à la sortie du village. Par instant, elle revoyait une femme — sa mère ? — qui tricotait sous le porche, sur le banc de pierre et un homme — son père ? — qui bêchait le jardinet protégé par une longue balustrade en bois. La barrière avait aujourd’hui triste mine. Cela désolait Louise quand elle profitait d’un moment de lucidité, pourtant elle ne possédait pas de l’argent nécessaire pour entretenir l’extérieur de son habitat. Elle sifflota gaiement tandis que le titre suivant s’enchaînait et elle se remit à chanter de plus belle. Elle se souvenait très bien de ce tube, “Ça m’énerve”, elle connaissait les paroles par cœur. Elle espéra que c’était sa petite-fille qui lui avait fait découvrir cette chanson et qu’elle viendrait bientôt la voir.


Un mouvement attira son attention à la sortie du chemin. Elle fronça les sourcils en reconnaissant Goran Oveja. À tous les coups, il préparait une mauvaise farce. Elle baissa le volume et l'observa. Elle décida de le suivre, elle voulait comprendre ses motivations à parcourir la campagne au lieu d’être chez lui avec son adorable femme Amaya. La pauvre petite, elle en avait du mérite d’avoir épousé un tel plouc ! Elle coupa son lecteur CD et s’engagea sur le chemin qui menait vers la forêt. Elle contourna les deux dernières maisons du village. Des chiens aboyèrent sur son passage. Un homme, Albert peut-être, Louise ne pouvait lui donner un nom, s'avança sur son perron.


— Louise, quelle heure pour te promener !


— La nuit n’est pas encore tombée, j’en profite pour me dégourdir les jambes. À mon âge, on a tendance à s’ankyloser.


— À qui le dis-tu. Tu devrais faire attention, sortir seule le soir, tout de même, ça peut s'avérer dangereux.


— Penses-tu. Qui oserait s’en prendre à une vieille astiquée du ciboulot comme moi ? Je ne possède rien à voler.


— On agresse pour moins que ça aujourd’hui. Et puis tu peux rencontrer le fauve.


— Le fauve ?


— Le loup, celui qui éventre les agneaux.


— Ah celui-là. Je n’en ai jamais vu et je gage qu’il ne s’attaque pas aux humains, et encore moins aux adultes.


— Les éleveurs ont juré sa mort, d’ici peu, on n’en entendra plus parler.


— Pauvre bête. Ne peut-on pas trouver d’autre solution ?


— Je ne sais pas. Les autorités ont voté pour le maintien du loup dans la région. Et la préfecture et le département, avec à sa tête le député Chevallier-Bloch, ont refusé d’allouer des subventions aux fermiers.


— Pourquoi des aides ? Afin de racheter des moutons ou des veaux ?


— Voyons Louise, ils souhaitent faire financer la sécurisation de leurs installations. Tu ne suis pas l’actualité !


— À vrai dire, je m’en moque. Ne devrait-on pas endormir ce loup et le déposer ailleurs, loin d’ici ?


— Cela pourrait suffire à calmer les paysans du coin, mais je crains qu'ils n'aient avancé cette proposition et que les autorités n'aient rejeté cette option également.


— Cette histoire finira mal Albert.


— J’en ai peur. Mais je m'appelle Jules, Louise. Ne te souviens-tu pas ?


— Je confonds les prénoms à présent. L’âge, tu vois bien. Je poursuis ma route avant qu’il ne fasse trop sombre. Passe une belle soirée, Jules.


— Bonne promenade à toi, Louise, et surtout, montre-toi prudente.


Louise s’éloigna de son pas léger. Jules la regarda disparaitre au coin du chemin, songeur. Elle avait oublié que, certaines nuits, lorsqu’elle se sentait seule, elle se réfugiait chez lui.

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