Serina Le berger et le loup Chapitre 2 - Partie 2

Chapitre 2 - Partie 2

Elle retrouva le sourire au contact des clients. Goran récupérait la compagne qu’il avait rencontrée. Il se rapprocha d’elle dans une faible mesure. Mais les obligations de la ferme accaparaient tout son temps et Amaya se trouvait bien souvent seule le soir, à soupirer d’ennui. Elle rêvait d’une vie trépidante, de sorties, de danses, de voyages. Ces loisirs lui étaient désormais interdits. Les agriculteurs évitaient de prendre des congés. Un matin qu’elle tentait d’empiler les légumes d’une jolie façon sur les étagères, la sonnette de la porte du commerce avait tinté. Édouard était apparu.


— Puis-je vous être utile ?


— Je cherche des épices, disons, un peu spéciales.


— Quels genres ? Nous en avons plusieurs à disposition. Muscade, poivre, cannelle…


— De l’anis, de la poudre d’anis.


— Je n’en ai pas, mais je suis en mesure de vous en commander, nous attendons une livraison à la fin de la semaine.


— Ce serait très gentil à vous.


— Pouvez-vous me donner votre nom ?


— Édouard, Édouard Chevallier-Bloch. Et vous ?


— Amaya.


— Il semblerait que nous soyons appelés à nous revoir Amaya. Je repasserai samedi matin.


Comme prévu, Édouard était revenu afin de récupérer son flacon. Elle l’interrogea sur l'utilisation de cette poudre, et il lui récita une recette de pain d’épices. Elle rit. Elle n’imaginait pas un tel homme, en complet veston, s’adonner à la cuisine, a fortiori des pâtisseries ! Depuis ce jour, Édouard se présentait au magasin dès qu’il en trouvait l’occasion. Amaya revivait. Enfin, quelqu’un lui montrait qu’elle n’était pas qu’une écervelée qui s’était fait engrosser par le premier venu. Il la sortait de son quotidien, en lui parlant du monde, de politique, de Toulouse, sa ville natale, si proche et pourtant si lointaine aux yeux d’Amaya. La jeune femme était subjuguée. Elle surveillait la porte avec anxiété dès que la sonnette retentissait et cachait mal son agacement lorsqu’un retraité entrait. Cela faisait rire Louise.


— Voyons ma petite, qu’est-ce que tu peux bien guetter ainsi ?


— Rien du tout, je me demandais combien de chalands passeraient aujourd’hui.


— Combien ? Je jurerais que vous n'en attendez qu'un seul.


— Que racontez-vous, Louise ? Je suis une femme mariée.


— Certainement mon enfant. Et pourtant…


— Et ? Vous m’agacez à la fin avec vos insinuations.


Soudain, Louise redevint sérieuse. Elle prit les mains d’Amaya entre les siennes et planta son regard dans ses yeux.


— Promets-moi une chose Amaya.


— Laquelle ?


— Engage-toi à te méfier de ce politicard qui traîne bien souvent dans le coin.


— Que voulez-vous dire ?


— Tu sais de qui je parle. Prends garde à cet homme, il abrite des secrets.


Puis Louise se mit à rire. Elle lâcha Amaya et tourna sur elle-même, dans une sorte de danse bizarre. Amaya soupira. Elle ne devait pas prêter trop d’attention à ses avertissements, car la vieille femme souffrait de crises de sénilité récurrentes. Mais au fond d’elle, elle ne pouvait s’empêcher de ressentir un trouble.


Amaya se releva et se rendit jusqu’à la porte. Elle attrapa un gilet sur le porte-manteau de l’entrée et le jeta sur ses épaules. Elle sortit. La nuit était tombée. De la fumée s’échappait des cheminées de plusieurs maisons aux alentours. Le village semblait paisible. Le calme à l’extérieur tranchait avec le tumulte qui régnait dans le cœur d’Amaya. Elle suffoquait d'angoisse. Édouard ne l’avait jamais laissée dans le silence. Chaque jour, elle recevait un message, un signe de sa part. Ce soir, rien. Ils s’étaient quittés depuis plusieurs heures et depuis, elle n’avait aucune nouvelle. Louise savait-elle quelque chose sur Édouard ? Voyait-il une autre maîtresse ? Il traînait une réputation d’homme à femmes, et, bien qu’Amaya ne veuille pas écouter les racontars des villageois, elle ne pouvait s’empêcher de s’interroger. Ils avaient convenu de ne pas se poser de questions sur leurs vies privées respectives. Elle n'ignorait pas qu’il était marié et qu’il retrouvait son épouse chaque soir dans leur maison de Toulouse. Petit à petit, ils s’étaient confiés l’un à l’autre, mais était-elle assurée qu'une troisième personne n'était pas entrée dans la danse ? Cette pensée la mortifia. Un émoi inexplicable la saisissait en présence d'Édouard, trouble qui ne pouvait se comparer à celui éprouvé pour Goran. Ce n’était pas une amourette de jeune femme qui s’était éteinte dans la routine des noces, non, c’était un sentiment fort, intense, et elle ne s’imaginait pas sa vie sans Édouard.


Elle avança de quelques pas en direction du chemin et observa les environs. Au loin, on pouvait apercevoir la forêt dense qui bordait la plupart des champs de Goran. Elle n’ignorait pas qu’il était caché quelque part en bordure de bois, à attendre le loup qui décimait son troupeau. Il ne le manquerait pas, elle connaissait ses talents de chasseur. Devait-elle agir ? C’était ni plus ni moins qu’un meurtre, le canidé faisant partie d'une espèce protégée. Les autorités avaient voté son maintien dans la région. En parlerait-elle à Édouard ? Il enragerait et voudrait faire punir le fautif. Le député alerterait alors la gendarmerie. Goran serait emprisonné le temps d’une garde à vue. Puis il écoperait d’une peine et d’une amende, chose qu’il ne pouvait pas se permettre. Quel imbécile ! Il avait le don de se fourrer dans les situations les plus improbables. Elle décida de ne rien dire, après tout, il s’agissait des affaires de son mari et elle évitait de s’en mêler. Ainsi ne pourrait-il pas lui reprocher d’avoir tenté de lui nuire de quelque façon que ce soit.

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1 commentaire

DOM75

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Il y a 7 jours

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