Serina Le berger et le loup Chapitre 2 - Partie 1

Chapitre 2 - Partie 1

À deux kilomètres de là, Amaya arpentait la cuisine. Elle habitait avec son mari une maison construite récemment, la jeune femme ayant refusé tout net de s’installer dans l’ancien logis familial inoccupé depuis le décès de son beau-père. Elle avait souhaité garder une relative distance entre leur lieu de vie et celui du travail de fermier. Celui-ci envahissait bien trop le quotidien du ménage à son goût. Ils avaient aménagé un bureau afin qu’Amaya puisse prendre en charge la comptabilité du domaine. Elle s’ennuya vite dans cette campagne où il ne se passait pas grand-chose et elle se fit embaucher à l'épicerie du village. Là au moins rencontrait-elle d’autres personnes. La population vieillissait, mais il demeurait des couples plus jeunes dans les fermes alentours. Ceux-ci préféraient se rendre à l’hypermarché plutôt qu’à la supérette, où, pensaient-ils, les prix s'avéraient exorbitants ! Elle restait ainsi des jours, ne voyant que son mari, ses amis éleveurs, et des octogénaires venus chercher leurs denrées alimentaires. Certains ne se gênaient pas et la draguaient sans détour. Cela l’amusait. D’autres lui procuraient de la pitié. À l’instar de Louise, cette femme qu’on disait veuve, et qui souffrait d’une forme de démence. Elle portait des vêtements colorés et clinquants, se coiffait de grands chapeaux extravagants, et tirait un caddie rempli d’autocollants divers. Elle pouvait venir à l’épicerie plusieurs fois dans la même journée, puis on ne la revoyait plus pendant des semaines. On racontait qu’elle partait dans la forêt, où elle se livrait à quelques rites millénaires. Amaya ne prêtait pas foi aux ragots, elle sentait bien que Louise restait enfermée chez elle pendant tout ce temps. Lorsque les absences de Louise semblaient s’éterniser, Amaya rejoignait la maisonnette habitée par la vieille femme. Elle suspendait un filet de provision à la poignée de la porte d’entrée. Elle vérifiait quelques jours plus tard que le sac avait bien disparu. Elle espérait que Louise avait pu au moins avaler quelque nourriture.


Ce n’était pas son amie qui préoccupait Amaya ce soir-là, mais Édouard. Ils avaient quitté le chalet depuis de nombreuses heures. Il ne lui avait pas envoyé de message afin de la prévenir que tout se passait bien, comme à son habitude. Elle n’osait pas lui téléphoner, de peur de tomber sur sa femme. Elle se décida à allumer la télévision pour tenter de se changer les idées. Après tout, plusieurs raisons pouvaient expliquer le silence de son amant. Une panne de batterie, des problèmes de réseau, fréquents dans ce coin, ou l’oubli du portable dans sa voiture. Elle se releva plusieurs fois afin de vérifier la couverture mobile. Elle devait poser le cellulaire sur le rebord de la fenêtre de la cuisine pour qu’il fonctionne. Elle se servit un grand verre de vin rouge et retourna sur le canapé. Elle but tout en regardant les flammes jouer dans la cheminée. Elle se remémora leur rencontre. Édouard l’avait tirée d’un mauvais rêve. Son existence empruntait un chemin monotone et elle ignorait comment s’en dépêtrer. Goran ne se souciait plus d’elle depuis longtemps, en réalité depuis le rachat de cette fichue exploitation agricole. Le couple avait traversé des tempêtes, mais décider de s’installer ici et de vivre des revenus des moutons avait été la plus grande erreur qu’Amaya ait commise. Elle s’ennuyait ferme. Le jour où le berger l’avait présentée à ses parents, à son retour du service militaire, sa grossesse de six mois ne pouvait plus se dissimuler. Les géniteurs de Goran n’avaient pas caché leur mépris et avaient forcé la main à leur fils afin qu’il épouse Amaya. Ce n’était pourtant pas le but, mais Amaya se laissa guider sans broncher. Le jeune couple s’installa dans un appartement miteux et étroit au-dessus de la mairie. Au moins n’était-elle pas obligée d’habiter avec sa belle-mère ! Goran reprit son travail à la ferme et elle se contenta de l’attendre au foyer. Ils vivaient de façon simple, mais ils savouraient encore un certain bonheur à ce moment-là. Puis les évènements s’étaient enchaînés. Amaya avait éprouvé l’indicible chagrin de perdre le bébé. Une sorte de dépression s’empara d’elle et ne la quitta plus. Ce fut au tour du père de Goran de mourir. Celui-ci souhaitait reprendre la direction de l’exploitation. Il convainquit Amaya de placer l’argent de son héritage au profit de l’avenir du ménage, à savoir au rachat des parts des frères et sœurs. Il put ainsi conserver la ferme. Sa mère partit vivre à Toulouse, dans un petit appartement au rez-de-chaussée d’un immeuble récent, bien plus pratique pour elle. Amaya laissait Goran s’acquitter des décisions et se contentait d’un rôle secondaire dans leur couple. Son mari remarqua enfin qu’elle semblait s’ennuyer et lui proposa de trouver un travail. Cela lui permettrait de se changer les idées. Dès lors, elle jonglait entre ses attributions de femme au foyer, de secrétaire et de comptable du domaine, et celles de vendeuse à l’épicerie du village.

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