Fyctia
Chapitre 1
Les grognements des tracteurs s’estompèrent peu à peu, et les bruits de la nuit s’intensifièrent. Le silence s’accentua. La lune éclairait la campagne et une ombre se glissa dans l’épais sous-bois. L’homme se fondait dans le paysage. L’arme, en bandoulière sur l'épaule, cognait contre son flanc. Il avait pris sa résolution. Il brûlait d’impatience à l’idée de semer la terreur chez sa victime, de lui faire payer ses crimes. Il était déterminé à en finir une fois pour toutes, et à savourer chaque instant de sa vengeance. Il contourna un champ où paissait un troupeau de moutons. Un chien émit un grognement à proximité. Un Patou. L’individu n’ignorait pas la nécessité de se méfier de cette race. Le « Montagne des Pyrénées » se montrait impressionnant lorsqu’il défendait son cheptel. L’homme ne risquait rien et sourit en pensant à son animal. Zeus, une bête loyale et douce, méritait toute confiance dès que la sécurité des ovins se trouvait menacée. Zeus reconnut son maître et se recoucha au centre du troupeau. Il semblait dormir, mais il restait vigilant. Au moindre bruit, à une minuscule odeur portée par le vent, au plus petit signe de danger, il se précipiterait sur l’ennemi sans aucune hésitation. Il reprenait enfin sa place avec le cheptel après une vilaine blessure à la patte. Une sale histoire. Goran avait remarqué la disparition de Zeus un soir tandis qu’il nourrissait les moutons. Il l’avait sifflé, inquiet. Le Patou restait introuvable. Le lendemain, à la lueur de l’aube, le berger s’était enfoncé dans la forêt à sa recherche. Il craignait le pire. Son chien ne s’éloignait jamais seul. Il suivait Goran ou s’asseyait devant la maison à attendre ses maîtres lorsqu’il ne se couchait pas au milieu du troupeau. Goran scrutait les sentiers tout en avançant d’un pas prudent, les branches brisées, les feuilles arrachées, à l’affût du moindre indice qui révélerait le passage d’un animal. Il sifflait et appelait Zeus à intervalles réguliers. Après deux bonnes heures de marche, il avait entendu un gémissement. Il s’était arrêté et s’était concentré sur le bruit. Il avait émis une longue stridulation entre ses dents. Un jappement sourd lui répondit. Il se précipita et trouva Zeus couché sur le flanc, la patte coincée dans un piège à mâchoires. Il jura. Foutus braconniers. Même s’il se livrait lui-même à cette activité illégale, il prenait soin de ne laisser aucun engin de ce genre derrière lui. Il jugeait cette méthode barbare et cruelle, et veillait à ne pas en faire usage. Il s’agenouilla, s’empara d’un bâton qu’il utilisa pour désarmer l’appareil et libéra le membre de Zeus. Goran transporta l’animal, qui pesait environ cent trente livres, jusqu’à ce qu’il atteigne une voie où il avait garé son 4x4. La sueur dégoulinait sur son front et l’effort fourni lui promettait de belles courbatures dès le lendemain. Enfin, il aperçut sa voiture. Il déposa le chien sur la banquette arrière avant de filer à la clinique.
L'entaille s’était infectée. Le vétérinaire préconisait un repos de plusieurs jours, voire de plusieurs semaines si nécessaire. Le berger avait laissé le Patou à la maison pendant un certain temps, allongé devant la grande cheminée avec sa patte bandée. L’obliger à avaler ses antibiotiques — Zeus semblait flairer les cachets dissimulés dans la nourriture — constituait une épreuve, mais il avait fini par guérir. Le médecin avait donné le feu vert : il pouvait reprendre le travail. Goran avait expiré, avec un sentiment de soulagement. Il ne supportait pas de voir un être souffrir. De plus, Zeus rusait : il savait se faire plaindre afin qu’Amaya, sa maîtresse, le caresse et le cajole. Il s’était empâté en quelques semaines, signe évident qu’elle lui filait des sucreries malgré l’interdiction de son mari. La présence exceptionnelle de l’animal à la maison le soir avait changé leurs habitudes et ils se querellaient en de multiples circonstances à son propos. Amaya prodiguait des manières d’éducation douces, tandis que le berger n’hésitait pas à recourir sans remords à la punition. Zeus avait compris vers lequel des deux se diriger quand il avait commis une bêtise depuis tout petit. Amaya donnait l’apparence de le gronder alors que Goran le privait de ses confiseries préférées. Devenu adulte, Zeus n’avait rien perdu de ses talents pour amadouer sa maîtresse et en usait de façon excessive. Le jeune homme le soupçonnait d’attendre qu’il tourne le dos pour se faire câliner.
La blessure du chien avait eu des conséquences désastreuses sur la gestion du bétail. Zeus, enfermé dans la petite maison, ne pouvait plus s’acquitter de sa tâche de protecteur. Le loup avait décimé une partie des agneaux malgré les rondes de Goran. En un mois, six avaient péri, avant que le berger ne se décidât à intervenir. Le carnage devait cesser. Peu importait le prix. Zeus revenu, le carnassier rôdait toujours aux alentours, mais au moins ne s’attaquait-il plus aux bêtes de front. Goran n’ignorait pas qu’à la moindre occasion, le fauve tuerait de nouveau. Il contourna un gros buisson de ronces et de branches et s’installa au pied d’un chêne. Il bénéficiait ainsi d’une vue étendue sur le champ et sur le cheptel.
Goran patienta longtemps. Il pensa à Amaya. Était-elle couchée ? Leur couple n’était plus aussi soudé depuis un moment. Il avait conscience de ses propres lacunes, mais rejetait ses fautes sur son métier. Son troupeau l’accaparait chaque jour. Le travail ne manquait pas du côté du hangar ou dans les pâtures. Seul l’hiver lui laissait quelque répit. Le reste du temps, il menait une activité assidue auprès de l’association des éleveurs. Il était en permanence occupé et avait plus ou moins délaissé Amaya.
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