Fyctia
Chapitre 19
Je suis tant troublée par la ressemblance que je n'entends pas ce qu'il me dit, je le vois articuler sans comprendre le sens de ses propos. Je cligne des yeux à plusieurs reprises, quand il pose sa large main sur mon bras.
— Ça va ? Tu es toute pâle ? C'est mon invitation qui te fait ça ?
Quelle invitation ? Je n'ai pas souvenir qu'il m'est proposé quoique ce soit, et je ne connais pas son nom. Je jette un regard autour de moi sans retrouver Harry, est-ce que ce serait raisonnable de déjà prendre une pause dans mon nouveau rôle d'espionne. L'homme en face de moi ne me laisse pas le choix, quand il interpelle son groupe d'ami.
— Vous l'avez effrayé les mecs c'est pas cool, leur annonce-t-il.
Il se tourne vers moi, pose son verre sur un coin de table et me tend la main. Je la fixe, on dirait celle d'un ours, des poils noirs sur le dos de la main et une chevalière en or orne son majeur.
— Je suis Grégor, désolé de t'avoir fait peur.
Je saisis sa main fébrilement, ma toute petite poigne écrasée dans la sienne. Il m'offre un sourire et j'essaie de le lui rendre alors que mes doigts craquent contre sa paume.
— Ernestine, ajouté-je.
— Pour me faire pardonner, je t'invite Ernestine. Une petite bière ?
Je grimace n'aimant décidément pas cet alcool, il me renvoie immédiatement des images de Nick. Et l’amertume qui irrite le fond de ma gorge à chaque fois me rappelle à quel point j'aurai dû m'arrêter à temps. Mais Grégor ne semble pas remarquer mon appréhension, car il se rend directement vers un serveur et lui commande des boissons. Il m'indique au barman d'un geste du menton et je me sens rougir comme une gamine.
Je réalise que j'ai vraiment l'air d'une cloche en observant ma tenue, converses blanches aux pieds, jean troué aux genoux et anorak vert kaki sur le dos. Mes cheveux attachés sont encore trempé et je cache mon nez dans l'écharpe que j'ai enroulé autour de mon cou. Les mains emmitouflées dans mes manches, je me vois désormais mal mettre un lapin à Grégor. Ce dernier revient vers moi, deux verres pleins. Il boit d'une gorgée une bonne quantité de sa seconde bière pour verser le reste dans la première. Celle que j'ai failli ruiner.
La pinte entre les doigts, je le suis pour retrouver sa bande de copain. Tous attelés à une table ronde plus tellement droite. Ils me scrutent tous lors de mon arrivée et se décale pour m'offrir une place sur le banc. Je m'y installe, regardant sans relâche autour de moi afin de trouver Harry. Est-ce que je suis dans le bon bar au moins ?
Je bois une première timide gorgée de ma boisson, sa robe rougeâtre m'interpelle. Elle est très peu pétillante et je n'ai pas l'impression de boire de l'alcool.
— C'est à la cerise, je trouve que ça te va bien, me charme Grégor.
Mon sourire caché derrière la mousse de ma boisson, je tente de masquer la teinte rosée de mes joues. J'aime beaucoup sa manière brutale de dire les choses. Il me fait penser à un ours avec ses poils frisés sur le torse qui dépassent de son haut.
— D’où tu viens Ernestine ?
— De Miami, je mens tout en reprenant une gorgée de ma bière.
Les autres garçons de la table se tournent vers moi, ils lancent des vannes sur les américains et croient déceler un accent très prononcé quand je leur adresse la parole. S'ils savaient.
— Et qu'est-ce qu'une si belle américaine vient moisir dans un bar d'habitué à Édimbourg ? questionne l'un d'entre eux.
— Je suis en mission, avoué-je tout sourire.
Mon verre se vide plus vite que je ne le pense, je m'humecte les lèvres, curieuse de leur réaction. Ils s’esclaffent, l'un d'entre eux me tend son verre pour trinquer en se marrant.
— Une espionne, c'est trop génial ça ! Alors dis-nous 007, quels sont tes supers gadgets cachés dans tes poches ?
— Est-ce que tu vas envoyer un fumigène et disparaître ?
— Ou mieux est-ce que tu as une superbe combinaison sous tes fringues qui te permet de monter aux murs.
— Moi c'est plutôt au rideau que je voudrais la faire monter avec ce joli sourire, fait remarquer Grégor.
Je rougis au sous-entendu et détourne la tête. Il n'est pas vilain, mais il me rappelle trop Nick et je suis venue pour trouver Harry. Et peut-être même Aloyse. Ne répondant rien, je les laisse changer de sujet, le brun me regardant d'un œil affamé. Pour m'occuper, je bois, encore et encore. L'amertume de la bière glisse dans le fond de ma gorge. Regarder au loin commence à devenir compliqué, un mal de tête s'installe.
— Je vais prendre l'air, déclaré-je mon verre vide en main.
— Tu devrais reprendre la même !
D'un geste peu assuré je me relève, mes jambes tanguent et je cherche un repère pendant un moment. Courage Erny. J'avance lentement, tenant de toutes mes forces mon verre contre moi. La porte d'entrée restée ouverte, je sens le courant d'air froid passer dans ma nuque. Je me dirige vers l'extérieur, pousse sans prendre le temps de m'excuser plusieurs personnes.
Enfin dehors, j'inspire à plein poumons. La ville est encore plus animée à l'extérieur. Des effluves de tabac me remontent jusque dans les narines. Les lumières de la nuit éclairent les bandes regroupées en cercle. Chacun d'entre eux ont une bière ou une clope à la main. Les voitures peinent à passer dans la rue. Certains s'amusent à taper aux carreaux des vitres, rendant dingue le chauffeur. Je longe le mur et m'y adosse quelques mètres plus loin.
J'observe les groupes d'amis rirent aux éclats, de l'alcool dans le sang, de la nicotine plein les poumons. Mais surtout la joie d'être ensemble ne quitte pas leur visage. D'horribles flashs de nos soirées avec Nick m'envahissent. Il devrait être là à côté de moi. Passant sa main dans mes cheveux pour me réconforter.
Cette bière était immonde, elle me donne le tournis et m'oblige à repenser à lui. Tournant ma tête sur ma droite, je regarde le mur vide. Je crois y voir le fantôme de Nick, son éternel sourire charmeur qui m'a toujours fait craquer et sa main dans la mienne. Jamais une soirée n'a été aussi morose sans lui. Je scrute ma main, le verre vide et le laisse tomber contre les pavés. Le fracas interpelle les personnes autour de moi.
Le verre se brise comme mon cœur à cet instant, je craque. Toute cette bonne ambiance, ces rires, la sensation que procure l'alcool dans mes veines. Tout me rappelle Nick. Tout m'oblige à me souvenir de sa mort. Je l'ai laissé mourir, parce que j'avais de nouveau trop bu. Parce que je pensais que la liberté s'acheter avec de l'alcool. Mais la véritable liberté, je l'ai volé à mon ami. Et c'est la mort qui s'en ait emparé.
Je sanglote bruyamment, passant ma main sur mon corps pour me rassurer. Comme il l'aurait fait. Je suis secouée de spasmes, ma vue est complètement voilée par mes larmes. J'ai l'impression que l'on me demande si ça va. Je hoche la tête, mes lèvres tremblotent, je suis incapable de parler.
Je sens alors, deux mains prendre mon visage en coupe et un souffle chaud s'écraser sur ma joue.
— Erny, je suis là... Calme-toi.
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