Fyctia
Chapitre 13
Quatre ans auparavant
— Il est hors de question que tu partes à Miami, cingle mon père en reposant son journal sur la table.
Je l'observe avec dédain, je me moque de leur avis. J'ai décidé de partir, je ne passe pas des heures chez O'Frenchie pour leur payer un superbe cadeau à Noël. Mon plan de Miami dans les mains, je froisse les contours, prenant une grande inspiration.
— Je partirai en juin, j’ai déjà réservé mon vol.
Je marque une pause, affronte mon père du regard et ajoute d’un ton déterminé :
— Aller uniquement
Ce dernier se moque de moi, avachi sur sa chaise en bois prête à céder, son journal devant lui, un éternel verre de scotch posé à côté. Ma mère quant à elle fronce les sourcils, ils digèrent mal l'annonce que je viens de leur faire. Mes parents - si je peux utiliser ce terme - sont des crétins, ils veulent me protéger d'un monde qu'ils disent insécurisé, sur le point de mourir. L'essor d'internet me mettant davantage en danger. Tout ce qui n'est pas créé de la main de Dieu est mauvais. Je suis trop influençable selon eux, ils considèrent que je n'ai pas à aller ailleurs que le chemin qu'ils ont prévu pour moi.
Sauf qu'ils m'étouffent, je me noie en leur compagnie, je voudrais hurler toute la colère qu'il engendre en me punissant au moindre écart.
— Tu n'as pas entendu ton père Ernestine ? Tu n'iras nulle part et cet été nous avions prévu de te mettre en colonie de vacances.
— Pardon ? Dans ton camp d'esclaves catho ? On s'ennuie à mourir là-bas !
— Ne désobéis pas ! Ces vacances te feront le plus grand bien, rajoute mon père en sirotant son verre de vin.
— Vous rêvez ma parole ! Redescendez de votre planète de fous, je n'irais pas dans cette espèce de secte de grands malade qui prie à longueur de journée.
Le dialogue de sourd qu'adore mes parents. Je me sens remontée à bloc, une telle rage de vivre me prends les tripes, je ne me laisserai plus faire. Je ne supporte plus d'être leur marionnette, tout ça pour pavaner aux yeux des voisins.
— Et tu comptes aller à Miami pour faire quoi ? La vie aux Etats-Unis est dangereuse, imagine que tu puisses pendant l'espace d'une seconde être victime d'attentat !
— Maman, il n'y plus eu d'attentats depuis des années, si tu sortais un peu dehors, au lieu de rester cloîtrer dans ta cuisine.
— Ne parle pas sur ce ton à ta mère, me corrige mon père.
Je frappe des deux poings sur la table, le verre à pied de mon père se brise sur la table et le reste de liquide rougeâtre se répand sur son journal. La patience de mon paternel commence à franchir ses limites, je veux qu'il craque, qu'il me gifle si sort que les services sociaux se retrouvent devant sa porte de maison qu'il prend tant de temps à embellir.
Mensonge, illusion d'une famille parfaite. Ma mère mime un essoufflement soudain, son souffle au cœur est prétexte à tout pour attirer l'attention vers elle. C'est entièrement de sa faute si elle a choisi cette vie.
— Tu vois comme ta pauvre maman souffre de ton comportement, elle ne supportera pas que tu t'éloignes d'elle.
D'un bond je me lève de table, projetant ma chaise en arrière. Poings serrés contre la taille, je défie mes géniteurs d'un regard noir. Je prendrais la fuite s'il le faut.
— Je m'en contre-fiche pas mal ! osé-je dire.
Ma mère lâche un hoquet de surprise quand mon père décide enfin à se lever. Je garde la tête haute alors qu'il m’attrape le bras avec force pour me traîner hors de la cuisine. L'instant d'après sa main heurte ma joue violemment, je retiens le torrent de larmes qui menace de s'effondrer. Mon visage rouge picote, mon cœur s'emballe, je serre si fort les poings que mes ongles déchirent la chair de ma paume.
— File dans ta chambre au lieu d'essayer de jouer les rebelles Ernestine, je n'ai plus la patience de jouer à ça, déclare mon père.
Il ne tente même plus d'être autoritaire. Il m'a mis une baffe simplement pour me rappeler que c'est lui le chef de famille, mais je suis la maîtresse de mon destin. Et je prendrais mon envol comme je l'ai décidé. Je grimpe les escaliers deux à deux, traînant mes pieds au sol.
En pénétrant dans ma chambre, je découvre que mon téléphone laissé en charge sur mon lit ne cesse de vibrer. L'écran s'allume et j'aperçois depuis la porte, que je prends le temps de claquer, que le nom d'Aloyse s'affiche. Puis il s'éteint, je m'en saisis découvrant des dizaines de messages.
Aloyse : Harry et moi on s'est disputés...
C'est vraiment qu'un con !! Je crois qu'on a atteint le point de non-retour.
Je souffre tellement Erny.
J'arrête pas de pleurer.
Je lui en veux tellement !
Je fais défiler la longue liste, désolée Aloyse mais je n'ai pas le cœur à t'entendre critiquer Harry et le couvrir d'amour dans l'heure qui suit. J'ignore les appels en absence, et je laisse tomber sur mon lit. De nouveau, l'impression de me noyer me surprend. J'ai mal dans la poitrine, je suffoque, un couinement s'échappe de ma gorge à défaut qu'un hurlement de rage.
J'éclate en sanglot, je me sens seule face à l'immensité du monde, abandonnée de tous. Toujours là pour tendre la main, mais qui m'aidera un jour à me relever ? Je ne suis qu'une ombre qui passe dans la ville, sans attache, qui vogue sans relâche. Je cherche, comme l'oiseau voyageur, une branche sur laquelle me poser. Mon mobile sonne de nouveau, je soupir et essuie les larmes aux coins de mes yeux. L'appareil s'acharne, à croire qu'elle ne va pas me laisser.
Téléphone contre la hanche, je l'attrape et décroche, ma voix trahissant une colère que je ne peux plus masquer :
— Quoi encore ?
— Oh quel accueil ! s'exclame une voix à l'autre bout du combiné.
Je grimace, je n'ai pas remarqué que je venais de répondre à Harry. Est-ce qu'il va aussi me parler de leur dispute ? J'avoue être trop démoralisée pour leur venir en aide, je n'ai aucunement envie de faire le pigeon voyageur toute la nuit.
— Aloyse m'a dit que vous vous étiez disputé, je pense pas pouvoir vous aider cette fois-ci, balancé-je d'une traite.
—Hey hey Erny... Je voulais juste prendre de tes nouvelles, tu semblais nerveuse en quittant les cours aujourd'hui.
La remarque me touche plus qu'elle ne devrait. C'est vraiment adorable de sa part, est-ce que c'est pour cette raison qu'Aloyse et lui se sont disputés ?
— Mes parents et moi, on est en froid, pour la énième fois... avoué-je.
— Tu veux en parler ?
J'hésite, je n'ai pas envie de leur avouer pour Miami. Eux aussi risquerait de mal le prendre. Le téléphone contre mon oreille, je serre mon ourson en peluche contre moi.
— Non mais j'aimerai bien un câlin... dis-je à demi-mot.
Si Aloyse apprenait que je viens de demander à son petit-ami, l'amour de sa vie, de me prendre dans ses bras pour me consoler, elle ne me le pardonnerait jamais. Pourtant je meurs d'envie, moi aussi, de ressentir un peu de douceur ce soir.
— J'arrive dans ce cas.
Mon cœur se remplit de joie, pour une fois qu'on s'intéresse à moi.
5 commentaires
Sand Canavaggia
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Il y a 6 ans
EmilyChain
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Il y a 6 ans
Kalehu
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Il y a 6 ans