Hedgye Le Baron noir Chapitre 10

Chapitre 10

Quatre ans auparavant


Je secoue ma bouteille de déodorant pour en extirper le reste du gaz. L'odeur des îles devrait réussir à masquer celle des frites de chez O'Frenchie. Déjà trois mois que je bosse dans ce snack de rue pour me payer ce départ. Presque fraîche, je rejoins à la hâte ma meilleure amie déjà installée à la terrasse d'un café. Aloyse a les yeux rivés sur un catalogue de voyage, je connais les pages cents et cent-une sur le bout des doigts à force de les relire. Mon cœur palpite quand j'y repense. Encore un an et je serai assise dans l'avion, direction Miami.


— J'ai bien cru que tu ne viendrais pas, m'avoue mon amie.


— Il y avait beaucoup de monde aujourd'hui, tu sais dès l'approche des beaux jours...


— Tu comptes travailler longtemps dans cet endroit ? Tu enchaînes les services, tu dors peu et le pire dans tout ça, c'est que je ne vois plus.


— J'ai besoin de ce job Alo', assuré-je en prenant place en face d'elle.


— Pourquoi faire ? Tes parents ne te donnent-ils pas assez d'argent ?


Je préfère garder le silence, à bientôt vingt ans, mes chers géniteurs m'hébergent, me nourrissent et me donnent suffisamment pour vivre. Pas pour partir. Ma décision est prise depuis longtemps, septembre prochain, je changerai de vie. Mais je sais qu'Aloyse tentera de me garder ici. J'ai besoin de changer d'air, je risque de péter les plombs. Je suis debout sur le précipice d'une falaise et plus rien ne me retient. Harry et elle ne comprennent pas ma souffrance. Je la garde au creux de mon cœur. Mon mal-être devenu si oppressant, la raison me rappelle que je ne dois pas tout leur dire.


— Alors qu'est-ce que tu regardes ? demandé-je pour contrer ses multiples questions.


— Et bien, commence-t-elle en mordillant sa lèvre et jouant avec les pages glacés du catalogue, ça fait bientôt quatre ans qu'on est ensemble avec Harry et j'aimerai vraiment faire un voyage pour marquer le coup.


Une étincelle brille dans ses yeux, quand moi je sens mon cœur s'assombrir. J'ai aussi besoin de m'évader. La tête en avant, je tente de lire les caractères à l'envers. Je reconnais aussitôt la ville de lumière, sa majestueux Tour Eiffel et son avenue des Champs-Élysées.


— La ville des amoureux ? dis-je.


— Qu'est-ce que j'en rêve ! On pourrait se promener la main dans la main sur le Champ de Mars, accrocher un cadenas sur le pont des Arts. Je m'y vois déjà !


— Et vous partez quand ?


Aloyse marque une pause, elle soupire et referme le bouquin, la déception se lit alors sur son visage. Est-ce que j'aurai dit quelque chose de mal ?


— Harry ne va jamais penser à m'offrir ça, il va sûrement m’acheter un bijou.


Je gigote sur ma chaise, je reconnais bien le ton de mon amie. Je sais exactement ce qu'elle désire, mais, bien que je les adore, je préférerai qu'ils apprennent à vivre sans moi. Car dans un an tout va changer. Aloyse me lance un regard suppliant.


— D'accord... Tu veux que j'aille lui parler ? finis-je par abandonner.


— Mieux ! Je veux que tu lui souffles l'idée Erny, qu'il m'en fasse la surprise !


Pour l'effet de surprise on repassera. Je hoche la tête tout en glissant dans le fond de ma chaise. Si leur amour ne m'inspirait pas autant, je ne ferai pas un dixième de ce qu'ils me demandent. J'ai dû courir acheter des bouquets de fleurs sous la pluie après une dispute, téléphoner aux aurores pour réserver un table le jour de la Saint-Valentin.


— J'irai le voir demain dans ce cas, conclus-je, interpellant le serveur pour commander un diabolo grenadine.


*


Je rumine en poussant ma bicyclette dans le sommet de la côte, je déteste me rendre chez Harry. La pente est trop ardue pour que je puisse m'y rendre et je refuse de perdre de l'argent dans les transports en commun. Je m'arrête devant la maison. Harry est assis sur les marches en béton, la tête plongée dans son téléphone portable. Un paquet de chips est entamé à ses côtés. Il devrait vraiment faire attention, mais qui suis-je pour le juger ? Moi qui mange si peu.


— Hey ! Qu'est-ce qui t'amène jusqu'ici ? lance Harry en se relevant pour m'aider à soulever mon vélo.


J'ouvre la bouche et la referme aussitôt. J'aurai tellement de choses à dire, mais je ne dois pas m'éparpiller. Le soleil périclite déjà à l'horizon, je vais rentrer tard, grignoter sur l'heure du couvre-feu et être puni pour le reste du mois.


— J'avais envie de te voir, avoué-je.


Harry m'invite à la rejoindre sur les marches, je m'installe à côté de lui, observant les nuages prendre une couleur teintée de rose et d'orange. Les odeurs de barbecue chaud s'échappent dans le quartier et chatouillent mes narines. Je salive, mais je sais qu'une poêlé de brocolis au goût infâme m'attend ce soir.


— J'adore cette ville, soupire Harry.


Je la déteste, chaque quartier me retourne le ventre. Je hais la météo capricieuse de Grande Bretagne, j'ai horreur de la nourriture. Même les devantures rouges me donnent mal à la tête.


— Il n'y a pas d'autres endroit que tu aimerais voir ? rebondis-je à ses propos.


— Non, je suis heureux de vivre ici, ma vie me plait. J'ai Aloyse à mes côtés. Et puis je t'ai toi aussi.


Harry me sourit et frotte sa main sur ma cuisse. J'apprécie la douceur du geste.


— Et tu n'aurais pas envie de voyager ? Pour un séjour en amoureux ?


— Tu voudrais partir avec moi ? m'interroge Harry en cillant à plusieurs reprises.


Je rougis légèrement, je me suis peut-être emballée trop vite en voulant lui souffler cette idée de vacances avec Aloyse.


— Non, on n’est absolument pas compatibles en plus, je voulais dire avec Aloyse !


Harry rit et je me sens encore plus stupide.


— Aloyse ne t'aurait pas missionné pour insuffler une idée pour notre anniversaire ?


Je lève les bras au ciel, lâchant cette fois-ci un lourd soupir. J'ai tout foiré comme d'habitude. Ce qui n'empêche pas Harry de rire plus fort, il tente de passer son bras autour de mon épaule mais je me braque.


— Tu sais que tu peux me dire la vérité Erny...


— Il faut que tu l'invites à aller sur Paris, elle en rêve. Elle serait tellement déçue, elle avait des …


— Erny, je vais te dire quelque chose, me coupe Harry en saisissant mon genou pour m'obliger à le regarder.


Tournée vers lui, je prends le temps de le détailler. Je n'ai jamais fait attention à son physique, ni à aucun des garçons d'ailleurs. Pourtant la lueur dans ses yeux qui pétillent me trouble. Est-ce que c'est ça l'amour ? Est-ce que c'est ça dont Aloyse me parle souvent.


— Une relation amoureuse se fonde à deux, elle se vit et se construit ainsi. Il y a parfois des hauts et des bas, des moments plus sombres et difficiles à passer. Mais l'amour est un sentiment indescriptible, et il n'y a pas besoin de se couvrir de cadeaux ou partir loin pour prouver à l'autre personne que l'on aime. Ça passe aussi par des gestes simples du quotidien.


Il replace une mèche de cheveux derrière mon oreille et termine :


— Tu n'as pas à te soucier de ça Erny, je m'occupe du cadeau d'Aloyse.

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6 commentaires

EmilyChain

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Il y a 6 ans

Hum... Elle a eu son cadeau mais peut-être un peu trop brutal pour le coup xD

Hedgye

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Il y a 6 ans

On se le demande ! 0:)

Elodie Solare

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Il y a 6 ans

Mais est ce qu elle est morte ??????

Landry

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Il y a 6 ans

De conter* rolala, l'autocorrection du téléphone portable. :'(

Hedgye

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Il y a 6 ans

Merci beaucoup ma belle ! En effet les actes d'hier ont des conséquences sur demain

Landry

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Il y a 6 ans

Un chapitre tout en douceur qui décrit les tendresses du passé... et les quelques péripéties sous-jacentes qui vont rejaillir quelques années plus tard. Une délicatesse que tu as su bien tisser de par tes mots et ta manière de compter. ♥
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