Fyctia

Je cligne des yeux à plusieurs reprises, le souvenir m'a pris de court, j'en ai encore le souffle coupé. En arrivant à Miami j'avais occulté ces adieux et ces horribles émotions. Comment cette chemise qu’adorait tant Aloyse s’est-elle retrouvée ici dans ce coffre ? Pourquoi l'avoir laissé dans cet état. J'ai songé un instant à en parler à Harry et finalement l'idée de le contrarier à nouveau, m'a paru stupide. Je ne dois pas enfoncer davantage le couteau dans la plaie. Je me focalise sur Aloyse, détruisant mon amitié avec lui.

C'est sa voix qui me sort des songes, il se tient debout dans l'allée du train. Après la corvée, ce dernier a souhaité profiter du beau temps. Pour ma part, je grelotte encore de froid et m’enfonce dans le dossier de mon siège en espérant trouver de la chaleur

— Un latte bouillant pour l'américaine, se moque-t-il en me tendant un gobelet.

Je glisse mes deux mains autour, mes doigts effleurent ceux de Harry. Nous marquons une pause à l'unisson quand un coup de jus nous électrise.

— C'était un véritable coup de foudre ça, rajoute-il.

Harry s'installe dans le siège à mes côtés, l'air serein. Ses traits sont plus apaisés, son visage s'illumine et ses grands yeux bleus pétillent de malice. Quant à moi, je me sens ridiculement bête. D'abord parce que je l'ai envoyé traverser la moitié du ScotRail pour me trouver une boisson chaude et ensuite parce que je n'arrête plus de rougir. Bien sûr qu'il rigolait en parlant de coup de foudre, pourtant mon cœur, lui, a raté un battement et s'est mis à penser à la place de ma raison. Et si c'était moi que Harry avait choisi le soir de notre rencontre et pas ma meilleure amie, Aloyse ?

Mon cœur tambourine plus fort à mesure que cette idée fait son chemin dans mon esprit. De nouveau, la voix de mon ami m'oblige à quitter les nuages, pour atterrir à ses côtés.

— Tu ne buvais pas autant de café avant de partir, c'est la vie intense des USA ?

— En même temps, c'est le pays de la malbouffe et du service à emporter, alors tu passes devant une première boutique de café, puis une seconde. Et il y a tellement de saveurs différentes, les arômes s'échappent dans les rues, difficile de ne pas s'arrêter pour goûter à tout. J'ai découvert un café au caramel et au marshmallow délicieux lors de la période de Noël.

— C'est comment Noël là-bas ?

Je rejette la tête en arrière, inspirant une grande bouffé d'air, imaginant les saveurs de pain d'épices envahirent mes narines.

— Ça a son petit côté magique, des sapins sont plantés aux côtés des palmiers, tout est recouvert de guirlandes électriques multicolores. Les galeries marchandes se métamorphosent en véritable atelier du père Noël. Des lutins tous habillés de vert déambulent dans les boutiques. L’air est empli de saveurs de chocolat chaud, de pain d’épices Il y a une joie indescriptible qui se lit dans le regard des gens. C'est vraiment magique.

— Même sans la neige, sous un soleil de plomb ? questionne Harry.

— Tu sais à quel point je déteste le froid, j'ai l'impression que je vais perdre le bout de mes doigts.

Harry relève l’accoudoir entre nous et me tend ses deux mains, paume vers le ciel. Je l'interroge du regard ce qui le fait sourire davantage.

— Donne-moi-les, que je te réchauffe un peu avant notre randonnée.

J'obéis, pose mon café dans l'entre-gobelet et me laisse faire, sa chaleur me fait vriller. Ses gestes sont délicats, comme la caresse d'une plume. Un frisson hérisse le duvet de ma nuque quand il appuie plus fermement. Je suis à deux doigts de fermer les yeux et me laisser emporter par cette douceur, quand le téléphone de Harry sonne et brise l'enchantement. Encore un nouveau signe du destin, je ne dois pas me rapprocher de lui. Et si c'était Aloyse à l'autre bout du fil ?

Il se retire et attrape son mobile dans sa poche, c'est un numéro inconnu. Pourtant le soupir que laisse échapper Harry semble me prouver le contraire.

— Il faut que je réponde, excuse-moi, je serai de retour avant le terminus, m'avoue-t-il en quittant sa place.

Je l'observe s'éloigner de la rame, téléphone à l'oreille. Son visage s'est assombri, il a plissé ses yeux. Je n'aperçois que brièvement la grimace qu'il fait, alors que la porte du wagon se ferme derrière lui. Lasse, je m'avachie dans mon siège. Ma mère tenait à ce que je me comporte comme une vraie lady. Fière, coquette et élégante. D'un geste nostalgique, je passe ma main dans mes longs cheveux dorés. Elle trouvait qu'il n'avait aucune forme ainsi. Mais je m'en fiche, je suis libre.

Je pianote sur mon téléphone, fais défiler la liste de mes conversations. Avec le décalage horaire, difficile de suivre les conversations à plusieurs, je lis en diagonal ce qui se raconte. Un sourire se dessine sur mon visage, ils me manquent quand même. Mes amis américains me demandent souvent si je compte revenir après les vacances. Et j'évince toujours la question.

Mon téléphone vibre dans mes mains, c'est un appel entrant de Raven. Ma colocataire, ma binôme, mon double américain. Penser à elle me réchauffe le cœur, les amitiés se font et se défont. J'ai peut-être perdue Aloyse en quittant Londres, mais Raven m'a ouvert les bras. Je décroche d'une timide voix, craignant de déranger les autres voyageurs.

— Oui ?

— Salut ! Wow tu sais qu'il est super tôt ici ! Marre d'attendre tes réponses, ronchonne Raven en baillant.

— Je pensais que tu adorais regarder les levers du soleil depuis notre balcon.

— Ma belle il est cinq heures du matin ici. J'ai repoussé au moins dix réveils avant de trouver le courage de t'appeler, pourquoi t'es parti aussi loin ? raille-t-elle gentiment.

— C'est chez moi, soufflé-je.

— Non, ton chez toi c'est ici, à côté de moi ! Les surfeurs me regardent plus comme avant, les fêtes sont ennuyeuses et les journées sont longues.

— Tu n'es plus avec Farley ?

— Beurk, m'en parle pas, j'ai perdu mon temps avec ce crétin ! Et toi alors ? Je suis sûre qu'avec ta classe habituelle, tu as trouvé un petit British ultra sexy.

L'image de Harry se superpose à cette idée, je me mordille la lèvre inférieure.

— Non, je t'ai dit que je venais voir des amis d'enfance.

— Oh oui, le couple d'ami où tu portais la chandelle. Ils se bécotent pas trop ? Tu n’essuies pas la bave ? se moque Raven.

Je ris à mon tour.

— En fait, ils se sont séparés, avoué-je.

Je mords davantage ma lèvre.

— Ha ! T'es en train de t’empiffrer de glace avec ton ancienne meilleure copine - parce que tout le monde sait que c'est moi maintenant - pour oublier son crétin d'ex ?

— En fait, elle n’est pas là, c'est avec lui que je suis...

— Ohlala ! Encore mieux ! Tu as pris la place encore chaude de ta pote ?

Je suis surprise. Jamais je n'aurai volé Harry à Aloyse.

— Ça va pas, hors de question !

— Tu vas laisser filer cette chance ? Dis-moi qu'il est moche au moins !

Au même moment, le concerné réapparaît dans la rame. Mes joues s’empourprent en le détaillant de la tête aux pieds.

— Au contraire il est super beau...