Fyctia

Herwin défie son père du regard. Celui-ci semble presque impassible. Aucune colère ne se reflète sur son visage, pourtant elle le sait, il n'a pas apprécié cette petite initiative. Ce qui n'empêche pas la jeune fille de sourire fièrement. Elle quitte le camp, non sous des acclamations, mais sous une houle d'incompréhension. Les épaules droites jusqu'au bout, elle ne se plie pas à la honte qu'elle vient de produire pour son père, celui tant respecté. Cet affront envers le chef du village, par la main de sa propre fille, remet en question l'affirmation de son autorité. L'action de Herwin va poser un réel problème au sein du village, mais elle va également avoir un retentissement sur tous les autres villages, sur le clan.

Après avoir ramené Dunkel à l'écurie du village, Herwin se dirige vers son tipi. Elle a gagné ce tournoi, et pourtant, un pincement au cœur l'abstient de se sentir dans une forme de joie. Peut-être est-elle allée trop loin ? Son acte aura des conséquences envers son père et elle ignore s'il méritait réellement une telle ignominie. En arrivant devant son petit tipi blanc décoré de symboles de la couleur de ses cheveux ou du Soleil, elle replie le tissu qui sert de porte. Avant même qu'elle ne puisse entrer, une poigne forte lui tire le bras. Elle est propulsée en arrière et tombe sur le sol. Elle relève la tête, prête à s'énerver contre cette personne mal élevée. Pourtant, en voyant son identité, elle se ravise.

— Jeune fille, je n'ai jamais reçu tel outrage de quiconque. Je n'ose même pas imaginer comment une telle idée puisse t'être venue. Tu me déshonores et tu fais de même en jouant de cette façon. Je suis bien plus déçu par ta victoire que par cet acte irréfléchi et immature. Je ferai demande de rendre victorieux le deuxième de ce tournoi. Nous ne pouvons nous permettre de nommer une telle déception comme étant le meilleur archer.

— Pardon ? Père ! Vous n'êtes donc pas sérieux dans vos propos ? s'indigne Herwin.

— Il n'est pas meilleure punition que cette décision.

— Je crois donc que vous ne comprenez pas la raison de cet affront dont j'ai osé être la propriétaire. Vous m'humiliez en me prenant pour une enfant. Père, j'ai 19 ans et jamais, aucun majeur ici, ou dans n'importe quel village ne se trouve encore dans une telle situation de soumission envers ses parents. Comment osez-vous donc me couper les ailes et me considérer comme un bambin qui ne sait à peine tendre un arc ? Pour qui me prenez-vous donc ? Croyez-moi bien lorsque je vous affirme que vous vous déshonorez vous-même en m'infantillisant de la sorte ! s'emporte Herwin, les sourcils froncés et le regard dur.

Son père ne s'attendait pas à de tels arguments. Elle a toujours eu ce don depuis ses quinze ans de le mettre dans de délicates positions. Elle arrive à le décontenancer de façon tellement surprenante, même s'il a toujours réussi à le cacher. Elle a également un pouvoir de persuasion dont elle seule à le secret. Toutefois, pour lui, Herwin manque encore de maturité, elle joue encore l'enfant lorsqu'elle décide de se venger, de rendre la pareille à la même valeur. Elle n'est pas assez sage, elle n'est pas prête à partir de ce village. Elle a encore besoin des conseils protecteurs de son père, il en est convaincu. Pourtant, le regard embrasé de sa fille lui filerait presque la trouille.

— Père, je pense que vous n'arriverez jamais à me comprendre. Si vous souhaitez tant me punir par déshonneur alors vous ne valez pas mieux que mon immaturité. "La vengeance à la même valeur n'a rien de sage", c'est au nom de ces mots que vous me punissez et vous le savez, c'est ce que vous êtes en train de faire. Vous n'avez rien de sage, Père. Du moins pas autant que les comtés le pensent. Que se passerait-il pour vous alors, si vos sujets commençaient à douter de vous ? Ne faites pas l'enfant, Père. Assumez. Relevez-vous donc avec fierté, comme moi, j'en ai eu l'audace et la détermination. Montrez donc que rien ne peut toucher le dragon de feu, continue Herwin avant d'éclater de rire.

Son père est toujours aussi décontenancé par ses propos. Elle a su remarquer la faille de ses arguments et même prendre le dessus sur lui. Elle a bien son sang, le sang d'un chef, d'un leader. Comment peut-il débattre avec elle ?

— Bien. Tu as gagné, ma fille. Tu as bien plus de cartes en main que ce que tu prétends. Je ne ferai rien en conséquence de tes actes. Peut-être que cela fera taire les commères plus rapidement. Tu rejoindras dans une semaine la classe d'élite en tant que professeure. Je te fais confiance pour honorer cette gratification, cède finalement son père.

La lueur dans les yeux de Herwin semble alors changer. Elle est très heureuse de cette conclusion, elle ne s'y attendait pas vraiment, par ailleurs. Son père commence à quitter les lieux. Herwin se relève et tapote son short pour y enlever la terre. Avant qu'elle n'entre dans son petit chez elle, son père se retourne.

— Herwin.

— Oui ? lui répond-elle en se tournant vers lui.

— Tu sais, les problèmes "inexistants" dont je te parlais ce matin...

— Oui, dites-moi.

— Non... Rien. Repose-toi.

Son père part définitivement, la laissant sur sa faim. Herwin se pose dans son petit logis et mange de la viande séchée avant de s'allonger sur son lit de paille. La journée a été dure. Il est temps pour elle de rejoindre les bras de Morphée. Pourtant, les dernières paroles de son père trottent dans sa tête. Qu'avait-il voulu lui dire avant de partir ? Elle aurait peut-être dû insister...

Pendant ce temps, le chef des Blutrot arrive devant son tipi politique. Deux de ses gardes accourent vers lui, semblant inquiets.

— Que se passe-t-il ? demande le dragon de feu.

— Nous ignorons les raisons, mais les anciens sont de plus en plus touchés par la maladie. Nous n'arrivons pas à faire baisser leur température et certains nous quittent, rapporte le plus jeune.

— Quelle partie du royaume est touchée ?

— Je crains que le royaume ne le soit entièrement, répond l'autre.

— Dans notre village, nous n'avons encore aucun cas. Il me semblait qu'il n'y avait seulement qu'une cinquantaine de cas dans tout le royaume, la semaine dernière. Où en serions-nous ?

— Au moins cent cinquante, Chef.

Le dragon de feu entre à l'intérieur de son bureau et jette tous les dossiers sur le sol.

— Je veux que les enquêtes soient approfondies, je veux comprendre la cause de cette maladie ! Et surtout ! Je veux que l'on me trouve un remède le plus rapidement possible. Les bruits vont courir et les habitants seront tous affolés. En aucun cas, nous devons assister à cela. Est-ce bien clair ?

— Oui, Chef !!

Les deux gardes se hâtent pour rejoindre la cavalerie royale. Il le sait, il va devoir en parler à sa fille et trouver une solution. Si la maladie décimait également les plus jeunes, le clan risquerait de courir à sa perte. Il espère sincèrement que les enquêtes seront fructueuses et qu'un remède pourra être appliqué rapidement. Malheureusement, rien ne peut-être sûr.