Fyctia

La crinière de son lipizzan entre les doigts, elle le dirige vers le camp d'entraînement. Elle doit y retourner fièrement et ne pas se laisser humilier. Les moqueries ne doivent pas la toucher. La seule façon pour elle de rabattre le claquet de tous ces tireurs dont ce Johanas, est de gagner cette compétition. À ce moment-là, on verra bien qui déshonore qui dans sa famille. Elle descend de son cheval et se pointe sur le camp extérieur où tous s'entraînent déjà. Elle retire son arc et prend une flèche afin de commencer elle aussi sa préparation au tournoi.

Elle peut entendre à plusieurs reprises des chuchotements derrière elle mais elle ignore absolument toute phrase qui oserait atteindre son tympan. Elle doit se concentrer et surtout leur montrer qu'elle est respectable et que rien ni personne n'a le droit d'oser l'humilier. Elle sent le regard insistant de Johanas derrière elle, il a la rage qu'elle soit revenue et elle le sait parfaitement bien. Il n'aura pas le dernier mot, seuls les héros, les gentils ont le dernier mot dans les romans d'aventure ou dans les films d'action. Dans ce village, c'est à elle que doit revenir le rôle d'héroïne, et non à Johanas. Pour elle, il est hors de question que ce soit l'égocentrique qui gagne ce soir. Même si ce n'est pas elle, cela ne doit pas être lui. Dans tous les cas, lors du tournoi, elle sera gagnante grâce à son plan, elle gagnera contre son père et c'est cela qui l'importe plus actuellement. Il est temps qu'elle s'affirme auprès de lui, même si cela doit porter des conséquences désastreuses.

Jusqu'aux dernières minutes, tous les archers tirent des flèches dans des cibles fixes ou même mouvantes. L'appel du commencement au tournoi se fait par l'entraîneur et toute la troupe se dirige vers le lieu où va se dérouler le tournoi. Seule Herwin quitte le camp d'elle-même et se rend aux Chutes lumineuses avec son ami Dunkel.

Elle se hâte vers le bassin et enlève ses armes, puis ses vêtements boueux pour se nettoyer dans cette étendue turquoise. Elle met la tête sous l'eau et profite de ce moment apaisant. Chaque ondulation des vagues provenant de la rencontre des chutes avec la piscine lui procure un sentiment de vie. Ces mouvements aquatiques détendent chaque parcelle de sa peau tirée par la colère. Son corps entier devient calme, il fusionne avec l'humeur de la nature. Les poissons colorés du bassin viennent lui faire des petits baisers au niveau de ses jambes. Herwin rit aux chatouilles que cela lui provoque. Si seulement elle pouvait rester ici. Jamais, elle ne pourra se sentir mieux que lors de ces moments où elle et la Nature fusionnent afin de gagner en force et calme.

Après plusieurs brasses, elle sort de la piscine et récupère dans une sacoche accrochée à Dunkel, les vêtements qu'elle avait prévus dès ce matin pour le tournoi. Elle enfile alors son top brun sans manche et son short noir avant de lacer ses chaussures. Pour Dunkel, cela semble être aussi un moment de paix, il broute l'herbe avec une tendresse qui lui est propre. Les plus jeunes du village ont peur de lui de par sa couleur noire profonde et sa robe luisante. Même son regard sombre paraît colère et haine, et pourtant, il est aussi crème qu'un lapin. Il est de nature calme, réfléchi et doux. Rien en lui n'aspire réellement la guerre ou le mal. Les apparences sont quelques fois trompeuses et Dunkel en est la preuve. Il a cette concordance avec la personnalité de sa cavalière qui leur permet de former une unité. L'un est l'extension de l'autre et ainsi, ils atteignent les cibles voulues, se battent en harmonie et surtout, ont un rythme commun qui les mène à la victoire. Cela fait quinze ans qu'ils sont unis, depuis le premier jour, celui du choix du compagnon. Chaque année, chaque enfant ayant quatre ans est invité à la cérémonie du choix de son compagnon. Tous les enfants sont choisis par un jeune cheval et un lien se crée lors de cette cérémonie avec une série d'activités leur permettant d'apprendre à se connaître. Les parents supervisent cette fête et aident leur enfant à créer ce fameux lien. Chaque année, ce moment est attendu par les familles, c'est une journée qui unit les liens familiaux et qui dessine des sourires sur les visages. Herwin ne s'en rappelle pas, elle était trop jeune, mais elle chérit tous les jours, les moments qu'elle passe avec son compagnon.

L'heure tourne et la compétition a déjà commencé. Herwin récupère ses vêtements sales et les met dans la sacoche, puis replace ses armes dans le dos avant de repartir pour le tournoi. Sur le chemin, ses cheveux sèchent et semblent onduler dans l'air par la vitesse du lipizzan. Sa tignasse rousse, de la même couleur que la plupart des feuilles des arbres, se fond dans le paysage de la forêt. Herwin est à sa place en automne, elle vibre dans son environnement et son cœur bat en harmonie avec celui de la nature qui l'entoure. Cette dernière lui donne sa force, sa détermination et c'est grâce à cette symbiose qu'elle se donnera à fond ce soir. Les sourcils prononcés, le regard profond et le sourire aux lèvres, elle accueille cet air frais que le crépuscule apporte à l'intérieur de ses poumons. Elle se sent prête à tout déchirer.

— Père, vous verrez. Je ne suis plus une enfant, chuchote-t-elle pour elle-même.

Lorsque Herwin arrive enfin sur les lieux du tournoi, celui-ci a déjà fait passer la plupart des participants pour la première manche. Dans les gradins, les villageois crient pour encourager leur tireur préféré. Les banderoles de toutes les couleurs et les musiciens mettent une ambiance de fête dans ce lieu de chacun pour soi. La fille du chef descend de son cheval et passe ses mains dans ses cheveux. Ils ne sont pas attachés, loin d'être lisses à cause du vent, mais ils sont sauvages, comme elle actuellement.

Elle inspire profondément et entre au cœur du stade. Un silence se fait alors dans les tribunes. La deuxième manche allait débuter, son entrée au dernier moment risque de faire parler d'elle pendant plusieurs jours. Johanas qui jusque là affichait un visage souriant en voyant qu'elle n'était pas venue, tire désormais une tête presque issue d'une scène d'horreur. Il aura bien cru jusqu'au dernier moment qu'elle s'était démontée après sa menace. Pourtant, il n'en est rien et son arrivée le met dans une colère irritante. Herwin ignore complètement les réactions aux alentours. Elle ne s'excuse pas pour son retard, elle ne demande pas à l'organisateur si elle peut tout de même participer, elle ne demande pas les règles de la première manche. Elle ne fait rien de tout ça. Elle ne pipe pas mot. Elle reste de marbre, toujours avec cet air déterminé qui déstabilise presque chaque participant. Elle se fiche de tout cela, elle se sent forte, elle se sent légitime, elle se sent elle.