Fyctia

Le bois se réveille. Le vent accompagne les feuilles dorées au son des premiers travailleurs qui coupent les arbres. L'eau des rivières ruisselle et les poissons automnaux slaloment entre les rochers dans l'espérance de ne pas être attrapés pour le déjeuner. Les villages de Blutrot ouvrent les yeux pour accueillir cette nouvelle journée les bras ouverts. Les oiseaux gazouillent au rythme des rideaux qui se tirent dans les tipis.

De si tôt matin, les flèches qui fendent l'air et atterrissent dans les troncs ne peuvent appartenir qu'à une seule personne : Herwin Eiseuer. Son arc en main, la corde tendue et le regard déterminé, elle termine son entraînement auroral. Les habitants sont désormais habitués, à la fougue de la fille du chef. Les commères disent souvent qu'elle est bien du sang des Blutrot. Pas de doute là-dessus, elle a bien ce caractère audacieux et intrépide des archers.

Herwin se rend alors au tipi de son père, celui consacré aux affaires du clan. Avant d'entrer, elle s'arrête, tire son haut vers le bas, vérifie que sa ceinture se trouve bien droite et ajuste correctement son carquois sur son épaule droite. Une petite inspiration de courage et sa main entrouvre l'entrée du tipi.

— Automna à vous Père.

— Automna à toi Herwin. Je t'en prie entre.

Herwin s'exécute. Elle s'approche de son père et l'enlace.

— Viendrez-vous me voir ce soir au tournoi des archers ?

— Herwin... Nous en avons déjà parler. J'ai déjà beaucoup de retard dans mon travail, je ne peux pas me permettre un tel écart.

— Père ! C'est le tournoi le plus important du semestre ! Le meilleur archer sera élu. Vous savez que ce titre est important à mes yeux.

— Je ne peux vraiment pas Herwin.

— Je ne comprends pas ! Tout se passe bien ici ! Qu'avez-vous donc à faire ? Aucun conflit entre les villages, les récoltes sont bonnes, l'eau est abondante, le gibier est présent, les jeunes s'entraînent ! Rien ne va mal !

— Herwin...

— Non, Père ! Je ne comprends pas ! Vous ne voulez tout simplement pas venir me voir jouer, même si vous avez bien conscience que cela me tient à cœur.

— Herwin. S'il te plaît.

— Père ! Je suis en colère contre vous. N'essayez donc pas d'attendrir la haine qui me consume.

— Herwin ! Ne me parle pas sur ce ton. Reste donc bien à ta place et peut-être qu'au prochain tournoi, je trouverai utile de venir y assister. Tu n'es pas mature, tu n'es encore qu'une enfant capricieuse et j'avais visiblement tort à ton sujet. Je ne te lèguerai pas l'enseignement de la classe d'élite.

— Quoi ?! Père ! Non ! Vous ne pouvez pas ! supplie Herwin.

— Je le peux et je l'appliquerai. Ma décision est prise. Maintenant, laisse-moi travailler sur les notions qui posent problème au sein du clan et dont tu n'as pas l'air d'avoir conscience.

— Père...

— Quitte cette tente.

Herwin lui obéit, les épaules affaissées et le moral au plus bas. Son père a choisi la meilleure punition. Perdre cette opportunité la brise réellement. Jamais, elle n'aurait pu penser l'entendre affirmer de tels propos. D'un pas énervé, elle se rend auprès de l'écurie du village, elle récupère son lipizzan ayant le rare caractère pour sa race, d'être noir. Elle le sort de l'établissement et monte Dunkel. Il est temps pour elle de se défouler. Son père l'a mise dans une colère aussi noire que la robe de son cheval et si elle veut être à la hauteur ce soir pour le tournoi, elle va devoir retrouver la paix intérieure. Pour cela, rien de mieux qu'une bonne série de tirs aux Chutes lumineuses. Au galop, les sourcils froncés, elle slalome entre les arbres orangés.

Dès son entrée dans la clairière, sa colère semble déjà s'apaiser. Son sourire s'étire et son regard défile sur le paysage grandiose qui s'offre à elle. Les feuilles orange, marron ou grignotées semblent refléter une couleur bien plus noble, brillante, dorée. Les chutes d'eau au fond de ce cadre naturel tombent dans un bassin profond brasillant. Herwin descend de Dunkel et le laisse libre de ses mouvements. Elle se dirige d'un pas lent, toujours aussi fascinée par cet endroit qui a bercé son enfance et son adolescence, vers la piscine. Les chutes, cinq courants d'eau verticaux positionnés à différentes hauteurs, ont l'air de communier avec l'écosystème qui l'entoure.

Herwin enlève alors ses chaussures brunes et ses chaussettes. Elle relève son pantalon de chaque côté et trempe ses pieds dans l'eau chauffée par le Soleil. Ce soleil si précieux pour sa tribu. Dans les légendes concernant les Blutrot, le Soleil est l'entité astrale qui les protège et leur donne force et courage. Herwin ne croit pas réellement en une telle entité, mais elle aime les beaux jours. Lorsque le Soleil est moins chaleureux et qu'il laisse place à la pluie, les villages ne sont plus les mêmes.

Les doigts de pieds humides, elle jouit de ce moment qui la calme et lui rend toute sa sérénité dont elle a l'habitude. Elle marque ses pieds dans les sédiments et ferme les yeux. Herwin, le dos droit, extirpe une flèche de son carquois dorsal et retire son arc. Elle le tend et positionne sa flèche. Toujours les yeux clos, elle lève les bras en l'air vers la gauche et tire. Comme si un chronomètre venait d'être lancé, elle se dote à nouveau d'une flèche et tire 30° vers la droite. Elle recommence ainsi jusqu'à vider entièrement son carquois.

La fille du chef des Blutrot inspire puis expire lentement afin de sentir l'air circuler dans son corps. Elle récupère sa seule flèche restante, différente des autres, elle la colle contre son arc et reprend une inspiration avant de viser et de l'envoyer. La flèche fend l'air dans un sifflement qu'elle apprécie tout particulièrement. Son sourire se dessine sur son visage et ses yeux s'ouvrent dans un battement de cils joyeux. Ce sourire disparaît lorsqu'elle remarque qu'elle a raté sa cible. Encore. Son poing se serre autour du bois de son arc. Y arrivera-t-elle un jour ? Malgré sa détermination, elle doute de sa capacité à réussir ce tir. Elle a beau s'y entraîner depuis deux ans dans cette clairière, jamais elle n'a su toucher le rondin en bois entres les deux pierres. L'espace est si fin, si étroit qu'il est presque impossible d'y arriver. Déçue d'elle-même, elle ne prend même pas le temps de vérifier ses autres tirs. Elle pourrait être fière d'elle, aucune autre ne s'est enfoncée dans le décor. Elle est douée, mais pas assez à son goût. Dunkel s'avance vers elle et lui donne un coup de tête affectif pour tenter de la réconforter, mais son échec habituel sur cette épreuve lui mine le moral. Retour au point mort. Elle repense à la discussion qu'elle a eu un peu plus tôt avec son père. Elle n'aurait peut-être pas dû s'emporter aussi facilement, peut-être était-ce trop puéril ? Devrait-elle s'excuser auprès de lui ? Elle ignore si elle doit appuyer ses opinions ou se rabattre pour le plaisir de l'exactitude des propos de son père. Elle caresse le bois de son arc avec son pouce tout en réfléchissant à la situation. Son regard pétillant se durcit. Elle sait.