Fyctia
46. Plan B (1/4).
Dorian aurait préféré demeurer sur place et attendre l’intervention d’un serrurier. Mais à presque 20h en plein Paris, ils allaient en avoir pour des heures rien qu’à attendre que l’artisan daigne se pointer. Et puis, ça allait lui coûter un rein dont il aurait sûrement besoin. Non, hors de question. Pas quand la solution à ce problème se trouvait à quelques stations de métro. Neuf pour être précis. Dix-huit minutes dans la touffeur de cette boîte de conserve. Et, bizarrement, Joséphine n’avait fait qu’en apprécier chaque seconde. Rien à voir avec l’inconfort de son aller. Le retour avait une autre saveur lorsque la proximité forcée était avec lui.
Tout n’était plus qu’indolent silence et tendresses dispensées du bout des lèvres. Du moins, jusqu’à ce que la voix métallique annonce la station “filles du calvaire” et que, comme pour mieux coller au contexte, Joséphine ne redresse le nez en direction de son vis à vis immédiat.
— Par contre, je ne te demanderai qu’une seule chose, dit-elle en plantant doucement son menton contre le buste de Dorian.
Une onomatopée curieuse et un soulèvement de sourcil masculin plus tard, elle enchaînait :
— Quoi qu’il arrive, promet-moi de ne pas me quitter avant la parution de ta bio, implora-t-elle. On est quand même impliqué dans un accord professionnel, et je ne saurais pas gérer un cœur brisé en plus du reste.
— Ton cœur ou le mien ? questionna-t-il, l’air de rien en déplaçant délicatement une mèche de ses cheveux.
Joséphine savait exactement ce qu’il cherchait à faire. Elle ne savait que trop les mots qu’il avait besoin d’entendre. Et malgré cette conscience accrue, elle en était encore incapable. Elle aurait souhaité les lui offrir, parvenir à les exfiltrer d’entre ses lèvres avec la même efficacité que lui. Quelque chose bloquait. Peut-être le fait qu’il les attende, justement ? Ou peut-être qu’elle savait qu’une fois prononcés, elle ne pourrait plus revenir en arrière et les reprendre. Non pas qu’elle nourrisse le désir d’effacer quoi que ce soit à ces derniers mois. Le bon, le mauvais, elle chérissait chacun des instants qui les avaient conduits à ici et maintenant. Mais… C’était comme se foutre à poil devant l’autre ! Et ça aussi, il l’avait toujours mieux maîtrisé qu’elle.
— D’accord, finit-il par répondre face à son silence. Mais toi aussi, promets-moi un truc…
Joséphine s’empressa d’hocher de la tête, trop contente d’échapper à sa précédente question.
— Me fais pas de mal, s’il te plaît, supplia-t-il dégoulinant d’une vulnérabilité si sincère que Joséphine en échappa un rire nerveux.
— Je ne peux pas te promettre ça alors que c’est évident que je vais t’en faire. Pas volontairement, hein, entendons-nous bien mais… Disons qu’on a pas l’air super doué pour la communication, donc déjà on part avec un handicap…
Il s’était crispé. Sous ses doigts, sous son menton, elle sentit l’intégralité du squelette de cet homme se tendre puis se figer. Il semblait si grand désormais.
— Dorian, tu vas me faire du mal aussi. Tu ne le souhaiteras pas, mais ça va arriver. Et c’est pas grave parce qu’on apprendra de chaque erreur et on grandira ensemble. J’suis pas experte en relation, mais si j’sais une chose c’est que tu dois pas attendre de moi que je te sauve, tout comme j’attends pas de toi que tu me répares. J’vais faire ça toute seule comme une grande et ça va me prendre du temps, mais… T’es une sacrée motivation.
Le danseur étira un sourire comme conscient de ce qu’elle taisait et hurlait simultanément. Les mots, c'était son domaine, pourtant, comme dans l’expression, Joséphine était le cordonnier aux semelles pourries. Dès qu’il s’agissait d’elle et de ce qu’elle ressentait, le champ lexical se restreignait, la gorge se serrait et plus rien ne sortait. Peut-être que si elle le lui écrivait ? Elle se promit de trouver le temps d’ajouter un chapitre à son journal, celui dans lequel elle consignait compulsivement toute leur histoire. Ensuite, elle le lui ferait lire et, alors, peut-être qu’il comprendrait de lui-même ?
— Un jour, il faudra quand même que tu m’expliques comment tu t’es retrouvé chez Eliane ? demanda-t-elle une fois à l’air libre et justement en route vers ladite Eliane.
S’il n’y avait pas d’urgence à ce récit, elle le notifiait de la fin de l’ère des secrets et des non-dits. Plus rien ne devrait être laissé à la libre interprétation de l’autre, puisqu’ils n’étaient doués que dans la projection de scénarios catastrophes.
— Il n’y a pas grand-chose à en dire si ce n’est qu’elle a accepté de faire ce que personne n’avait voulu faire jusque-là.
— T’aimer ? proposa Joséphine en ne le quittant pas des yeux au point de foncer droit vers une poubelle.
— Non. Enfin, oui, ça aussi, je suppose, rétorqua-t-il en lui attrapant le bras pour lui éviter l’obstacle. Elle a surtout placé mes intérêts avant les siens. Sans elle, je ne serais pas Dorian Jézéquel.
Il s’était immobilisé sur le trottoir afin de mieux mimer le nom en haut d’une affiche invisible. Un nom que Joséphine imaginait sans mal pour l’avoir vu imprimé en lettres d’or lors de sa soirée carte blanche. La manière qu’il avait de se distancer de son personnage de lumière tira, chez la jeune femme, un sourire amusé.
— Tu serais qui, alors ?
Il sembla réfléchir un instant, puis se remit en mouvement.
— Tu te souviens d’Emma ?
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