Fyctia
46. Plan B (2/4).
Emma… LA Emma de Brest ? Oh oui, elle s’en souvenait. Trop bien même. L’embarras de ce souvenir lui remonta aux joues. Joe les sentit chauffer si fort qu’elle y appliqua ses paumes fraîches dans le vain espoir de contenir l’incendie.
— Quoi ? interrogea-t-il avec curiosité en s’immobilisant à nouveau.
Dans la lueur du réverbère, il semblait comme auréolé de perfection. Joséphine se faisait l’effet d’une idiote rougissante qui se découvrait une bonne étoile de la taille d’une planète.
— J’ai cru que… Emma et toi… Enfin, tu vois, quoi ?
Non, il ne voyait pas. Il ne voyait pas du tout et c’était ça qui se voyait bien. Joséphine allait devoir lui expliquer. Pourtant, les mots refusaient de sortir, aussi se surprit-elle à lui mimer avec les doigts ce qu’elle les avait imaginés en train de faire. C’était probablement pire que de simplement l’énoncer à voix haute puisque, après un instant de flottement, Dorian se jeta sur ses mains pour en interrompre le mouvement perpétuel en les avalant dans ses grandes paumes.
— Non, eurk ! s’insurgea-t-il avec dégoût. Emma est comme une sœur, enfin !
Et Joséphine était supposée le savoir parce que…?
— Emma, Gwen, James… On est tous passés par la même famille d’accueil, on a grandi ensemble. C’était pas le foyer le plus aimant du monde, mais pendant quelques années, j’ai connu un genre de fratrie.
Avec une infinie précaution, il entrouvrit ses paumes et s’assura d’un coup d'œil que Joséphine avait cessé ses perturbants mouvements. Satisfait, il libéra ses mains, mais s’empara de l’une d’elle comme pour mieux éviter toute récidive.
— Et donc, Emma ? insista Joe avec curiosité.
À Brest, Gwenaël lui avait déjà confié qu’ils étaient ce qui se rapprochait le plus d’une famille. Cependant, l’entendre de la bouche de Dorian avait une tout autre saveur. Comme ce bonbon que sa mère lui promettait en récompense d’une journée sans crise, lorsqu’elle était encore cette enfant aux émotions débordantes. Elle en anticipait le goût des heures durant, avant d’enfin le laisser fondre contre sa langue pour ne pas en perdre une miette.
— Emma était la plus jeune, reprit-il le regard porté au loin sur l’écran de ses souvenirs. J’ai été le premier à partir de cette famille. Pour Paris et l’école de l’Opéra. Gwen a eu dix-huit ans l’année suivante. Emma y est restée. Sans nous. Et tellement plus longtemps que nous.
Les yeux perdus dans le vide, Dorian laissa le silence étirer sa dernière syllabe. Le froid s’infiltra malgré le gros manteau de Joséphine et elle ne su dire si son frisson n’était dû qu'à février ou bien un peu aussi à cette suite qu’il taisait et qu’elle imaginait sans mal.
— Bref, s’il n’y avait pas eu Eliane, je pense que je serais comme Emma, conclut-il enfin en passant une paume sur ses traits froissés d’inquiétude. Je serais même pire qu’elle. Emma se sabote, là où moi je verserai plus dans l’autodestruction.
Dorian n’exagérait pas. Elle pouvait le lire sur les traits de son profil en contre-jour et à son regard fixé sur le néant. Joe ne su que dire. Les mots lui faisaient, une nouvelle fois défaut. Aussi se faufila-t-elle contre son flanc avant d’enrouler un bras contre sa taille. Elle ne posa plus la moindre question, il s’était déjà bien plus raconté en dix minutes que durant les quatre derniers mois. Et puis, ils arrivaient à destination.
Par habitude, passé le digicode, Dorian relâcha toute prise sur Joséphine, et ils grimpèrent les escaliers chacun de leurs côtés. Lui contre la rampe de gauche, elle contre la rampe de droite. Comme si cette distance physique pouvait contrebalancer le fait qu’ils se trouvent ici, ensemble, épuisés, échevelés, et passablement frigorifié concernant le danseur.
— Attends, ordonna-t-elle à voix basse une fois qu’ils furent devant la porte d’Eliane.
Sans plus d’explication, Joe l’attrapa par la main et le tira vers les étages supérieurs.
— Qu’est-ce que tu fais ? chercha-t-il à s’informer lorsqu’il fut certain d’être hors de portée de voix de la vieille dame.
— Tu verras…
Dans un sourire florentin, elle l’attira jusqu’au dernier étage, jusqu’à la porte de la colocation qu’elle poussa sans effort. Les éclats de voix en provenance du salon les informèrent de la localisation exacte du plus gros de la bande. En temps normal, Joséphine se serait empressée d’en profiter pour prendre la direction de la mansarde sur la pointe des pieds. Au lieu de quoi elle laissa apparaître sa tête par-delà l’embrasure de la porte menant à la pièce de vie.
— Hey, Jules est là ? demanda-t-elle à la cantonade.
Ils étaient tous affalés devant la télé. Certains sur le canapé, d’autres sur les fauteuils et autre pouf, mais Joséphine ne distinguait son frère nulle part.
— Non, il est de service au bar, ce soir, lui répondit Basile sans tourner la tête vers elle.
— Mais il a dit de te dire de passer le voir sinon il menace de lancer une Amber Alert, l’avertit Céline qui lui tournait le dos.
Ils ne s’étaient pas croisés depuis deux jours et Jules songeait à un enlèvement ? Toujours dans la mesure, son jumeau. Dans son dos, Dorian qui croyait avoir compris le projet, s’évertuait à piquer sa nuque de baisers. Et ça n’aidait pas. Ou peut-être que si ?
— Vous regardez quoi ? interrogea-t-elle brusquement en récupérant la main de Dorian pour l’entraîner à sa suite dans le séjour.
— Armageddon, répondit un mec au sol dont elle avait oublié le prénom. Encooore…
— Parle mieux du meilleur film de tous les temps, toi, ok ?
Céline, depuis son fauteuil s’enflammait. Natasha reniflait dans un mouchoir et Basile pinçait des lèvres. Ils devaient être une petite dizaine, amassés dans ce coin télé, et Joséphine fut contrainte d’enjamber quelques corps afin de se positionner devant la télé, dans l’espoir d’attirer leur attention. Céline hurlait déjà en faisant de grands gestes. Joséphine n’entendait plus. Elle tracta Dorian à sa suite, et lorsqu’il lui fit face, perplexe au milieu des insultes, Joe relâcha sa main.
— Tu fais quoi ? lu-t-elle sur ses lèvres plus qu’elle n’entendit les mots.
— Je t’assume.
En un sourire, elle chercha à rassurer celui qui détestait être exposé. De la pointe de ses pieds, elle s’en vint cueillir ses lèvres qu’il ne lui refusa pas. L’instant suivant, deux paires de bras cadenassaient leur étreinte. C’était doux, c’était tendre, et la seconde suivante ça ne l’était plus. Parce qu’ils s’étaient manqués, parce qu’ils avaient tant de choses à extérioriser, l’échange gagna un peu trop en intensité.
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