Ophélie Jaëger L'albatros 43. Exil (2/3).

43. Exil (2/3).

Les traits sur le visage du danseur taciturne s’étaient métamorphosés, le faisant passer de géant colérique à enfant plein de doutes. L’expression de Yanis s’en modifia d’autant. Passé l’instant de surprise, ce dernier se recomposa une forme de détermination.


— Alors on en est là… constata-t-il avant de dispenser ses directives. Prends une douche, habille-toi, mais magne-toi, j’t’attends dans le couloir.

— Pourquoi ? ânonna simplement Dorian totalement incrédule face à cette aide inattendue qui se profilait.

— Rencarder les mecs cis-hétéros blancs sur les principes basiques de communications, c’est ma grande passion, répondit Yanis en soupirant.


Il avait déjà refermé la porte sur Dorian et sa solitude, lorsque sa voix perça malgré la cloison de bois.


— Et répond à cette pauvre fille à qui tu manques, crétin !


*

L’enseigne gigantesque aux néons annonçant “Empire Hotel” baignait le rooftop de ses lueurs rougeoyantes. Un rooftop déserté en hiver, mais où les trois hommes siégeaient emmitouflés dans leurs épais manteaux sous prétexte que Loup souhaitait encrasser ses poumons de toujours plus de nicotine et de goudron. En contrebas, le Theater qu’ils avaient quitté quelques heures plus tôt imposait sa pollution lumineuse. Il était minuit passée, et pourtant Manhattan brillait comme en plein jour. La ville qui ne dort jamais. Et pour cause, tout y est allumé en permanence, comment voulez-vous parvenir à dormir avec un projecteur en pleine tronche ?


Le regard au loin, mobile entre les mains, Dorian se demandait encore comment et pourquoi il avait accepté cette invitation. En était-ce seulement une ? Yanis ne semblait pas lui avoir laissé le choix. Une contrainte sous forme de main tendue que Dorian s’était empressé de saisir tant la perspective de la noyade lui léchait les pieds.


— C’était pas juste ton plan cul, alors, affirma Loup en tirant sur son cylindre mortel.


Il avait ôté un gant pour mieux pincer sa cigarette. Ses doigts, rouges vifs, ne devaient plus éprouver la moindre sensation, mais sacrifier une phalange ou deux semblait être le cadet de ses soucis. Dorian ne verbalisa pas sa réponse, il se contenta d’accrocher le regard de l’autre étoile avant de secouer la tête. Non, ce n’était pas un plan cul, ça ne l’avait jamais été.


— Je mise sur la meuf qui t’a hurlé dessus lors de l’audition pour ta carte blanche. J’ai bon ?


Dorian ne répondit pas plus à cette interrogation. Son silence le faisait à sa place.


— C’est qui ? chercha à s’informer Yanis auprès de son compagnon.


Les deux hommes occupaient un transat sur lequel ils étaient assis côte à côte, tandis que Dorian leur faisait face, deux transats plus loin. Entre eux, leurs bières achetées à la supérette du coin. Cette ville qui ne dormait jamais offrait cet avantage : des commerces ouverts 24h/24.


— C’est vrai, ça, c’est qui ? renchérit Loup à destination du danseur, cette fois. Comment elle a eu autant accès aux coulisses ?

— Elle écrit ma biographie, concéda Dorian.


Le hoquet de surprise de son collègue anima les sourcils du danseur qui lui imposa son courroux. Mais Dorian n’impressionnait plus personne.


— Ca, c’est un livre que je veux lire ! s’exclama l’autre étoile. La sortie est prévue quand ?


Il se marrait, se moquait, à peine dissimulé derrière le goulot de sa bière de mauvaise qualité. Dorian ne s’en vexa pas. Il n’en avait plus la force, et puis… c’était probablement mérité. Il préféra reporter son attention sur l’enseigne trop grande, trop lumineuse. Concours de qui a la plus grosse, catégorie hôtelière.


Qu’est-ce qu’il foutait là ? Pourquoi avait-il accepté de les suivre ? Il n’avait aucunement l’intention de se confier, mais la solitude lui devenait trop pesante. Les soirées et nuits seul, enfermé dans l’enclave de sa petite chambre, ne faisaient qu’offrir le loisir à son cerveau de cavaler toujours plus loin dans la profondeur des limbes.


— Pourquoi elle n’est pas là ? demanda finalement Yanis pour rompre le silence qui s’étirait.


Dorian haussa les épaules. Ce n’était toujours pas très clair. Joséphine n’avait pas su comment justifier cette absence, voilà tout.


— Tu lui as proposé au moins ?


Loup se montrait moins précautionneux que son compagnon. Ses questions tranchantes et son ton grinçant ne faisaient que témoigner du portrait qu’il s’était fait de Dorian. Un portrait pas totalement juste, mais pas complètement faux non plus.


— Plus ou moins.


Le ricanement qui s’échappa des lèvres de Maixent fut étouffé par la paume de son amant.


— Comment ça ? chercha à se renseigner ce dernier. Comment on peut plus ou moins proposer quelque chose à quelqu’un ?

— Je lui ai juste demandé si elle avait un passeport, et la suite elle l’a devinée.


Pourquoi le contemplaient-ils de cette façon ? C’était si difficile à comprendre ? Bouche légèrement entrouverte, paupières qui avaient oublié de ciller, Yanis et Loup affichaient leur indécente incrédulité.


— Attends, attends… Qu’est-ce que tu lui as dit exactement ?


Yanis appuya sur chacune des syllabes de son adverbe, comme pour mieux se faire comprendre de l’handicapé des sentiments qui lui faisait face. Dorian en lâcha un énième soupir. Oui, décidément, il aurait mieux fait de décliner cette invitation.


— Bah ça ! s’agaça-t-il. Puis elle m’a demandé si j’étais sérieux, j’ai répondu “pourquoi pas ?” et voilà… Elle est à Paris, et moi j’suis là, comme un con frigorifié à me coltiner un interrogatoire qui sert à rien à part assouvir votre curiosité.


C’était exactement l’effet qu’il se faisait : une bête de foire sous l'œil inquisiteur de promeneurs en manque d’activité. Peut-être avaient-ils épuisé tout Netflix et le catalogue VOD de l’hôtel ? Peut-être étaient-ils en couple depuis si longtemps que la seule présence de l’autre n’était plus suffisante ? Qu’importaient les raisons qui les avaient poussés à le traîner sur ce toit glacial, ce ne seraient jamais les bonnes dans l’esprit matrixé de Dorian.


— Tu ne lui as donc pas demandé de te suivre, alors, annonça un Loup formel.

— J’ai fait quoi, alors ? se braqua-t-il.

— Tu as cherché à te rassurer, toi, affirma Yanis dans une ébauche de sourire débordant d’empathie.


Face au regard d’incompréhension de Dorian, il soupira à son tour.


— Ce que je veux dire c’est que tu aurais pu lui dire que tu avais envie qu’elle t’accompagne, reprit-il calmement. Au lieu de quoi tu as opté pour la négation. “Pourquoi pas ?” c’est comme si tu la challengeais de te fournir toutes les raisons de surtout pas t’accompagner. Tu pars avec la conviction qu’elle ne voudra pas et le maigre espoir que peut-être que… Dans tous les cas, t’es déçu et tu ne la rassures pas.


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