Fyctia
41. Duplex (4/4).
Ce fut dans cette tenue, un chignon en équilibre précaire sur le sommet de son crâne, qu’elle traversa la petite chambre et alla se pencher au-dessus de la balustrade.
— Dis, je peux t’emprunter des vêtements ? Je n’ai pas pris de changes.
Dorian, toujours dans la position où elle l’avait laissé quelques longues minutes plus tôt, quitta un instant l’écran des yeux pour relever le nez en sa direction.
— Placard de gauche dans la chambre, énonça-t-il distraitement.
Joséphine avait déjà la tête dans les tee-shirts soigneusement pliés et rangés lorsque la voix masculine se fit entendre à nouveau.
— Alors pardon, je crois avoir ouvert un truc que j’étais pas supposé voir, mais… C’est quoi, ça ?
Ça ? Comment ça ? Quel ça ? Et surtout, qu’est-ce qu’il n’était pas supposé voir ? Rapidement, son cerveau entreprit de faire l’inventaire de tous les dossiers et sous-dossiers présents sur son Mac. Problème, n’étant pas la nana la plus organisée de la Création, mais plutôt l’adepte absolue du “non, garde ça, on ne sait jamais”, Joe n’avait qu’une très vague idée de toutes les merdouilles accumulées. Oh mon dieu ! Est-ce qu’elle avait conservé les montages débiles avec la tête de Dorian sur le corps d’une danseuse burlesque ?
— C’est juste une blague pour faire chier Maxence, mentit-elle avec la même précipitation dans ses mots que dans cette descente d’escalier. J’hésitais avec les cache-tétons aussi, mais j’ai jamais trouvé d'images qui correspondaient suffisamment.
— De quoi tu parles ? l’interrompit-il depuis le canapé.
— Non, toi de quoi tu parles ?
C’était pas les montages idiots ? Qu’y avait-il de plus compromettant que cela ? Plusieurs hypothèses émergèrent simultanément dans son esprit durant les trois mètres qui la séparaient du sofa. Seigneur, pourquoi fallait-il qu’elle conserve tout ?
— Le dossier “L’Albatros 2”, énonça-t-il en retournant l’écran en direction de la jeune femme.
Joséphine en poussa un soupir de soulagement qui n’eut pour effet que de faire dresser un sourcil suspicieux au danseur.
— C’est quoi ? insista-t-il alors qu’elle récupérait son bien et en parcourait quelques lignes.
— Des souvenirs consignés.
— Amandine et Florian ?
— Oui, non, ça c’est juste pour si jamais mon frère ou quelqu’un d’autre tombait dessus.
— Quel codage sophistiqué, t’as pris les cours de subtilité avec Eliane ?
Joséphine laissa entendre un éclat de rire avant de le ravaler dans une déglutition sonore en croisant le regard réfrigérant de Dorian. Mister Freeze était de retour, et il ne lui avait pas tant manqué.
— Tu écris un livre sur nous ? grinça-t-il entre ses mâchoires serrées.
— Alors, oui mais non… commença-t-elle avant d’être interrompue.
— En gros, j’suis quoi pour toi ? De la matière première pour Pulitzer ?
Un nouvel éclat de rire incontrôlé qu’elle ravala en même temps que son sourire nerveux. La colère froide qui émanait brusquement de cet homme n’était ni feinte, ni surjouée. Elle traduisait tout autre chose. Une forme de défiance que Joe commençait à envisager à force de pièces de puzzle disséminées au cours des derniers mois. Le tableau n’était pas encore entier, mais une vision d’ensemble s’en dégageait assez distinctement. La jeune femme referma son ordinateur et s’en débarrassa sur la table basse avant de s’en aller se poser face à lui.
— Alors non, il ne s’agit pas d’un livre, ni même d’un manuscrit, c’est plus de l’ordre du journal intime, commença-t-elle doucement. J’ai déjà du mal avec l’idée d’avouer à ma grand-mère qu’on couche ensemble, tu me vois sérieusement publier un livre dans lequel j’étalerais toute ma vie privée ?
Le givre sembla fondre légèrement lorsque l’homme secoua la tête après un instant de réflexion. Aussi, Joséphine s’enhardit-elle, avançant encore un peu à genoux sur la longueur du canapé. Elle avait à peine eu le temps d’enfiler un tee-shirt au hasard avant de débouler dans le salon, et ses jambes nues n’hésitèrent qu’un peu avant de se poser de part et d’autre du bassin masculin.
— Je t’ai promis de ne rien publier sans ton accord, reprit-elle. Ça ne vaut pas que pour la biographie.
— Alors, c’est quoi le but ? demanda-t-il enfin d’une voix qui retrouvait son timbre chaud.
— Ne pas oublier ?
Si Dorian n’ajouta rien, le fait qu’il l’attrape par la taille pour l’obliger à accompagner sa chute dans la profondeur du canapé fut bien plus parlant que n’importe quel mot échappé d’entre ses lèvres. Contre son torse, ensevelie dans cette étreinte salutaire, Joséphine relâcha enfin la pression en un rire qui la fit tressauter entre ses bras.
— Un Pulitzer, carrément, se moquait-elle doucement.
Loin de se détendre, Joe sentit l’homme hésiter. Pas dans ses gestes qui cadenassaient l’étreinte de ses tendresses, mais il émanait de lui une nervosité qu’elle percevait sans la voir.
— Faut que je te parle d’un truc, lâcha-t-il après un silence pesant qui sembla durer l’éternité.
Et Joe se crispa à son tour. Qu’importaient ces doigts habiles qui lui malaxaient la nuque, ou bien cette main experte qui réchauffait son échine. La nervosité de Dorian suivie d’une forme de “il faut qu’on parle”, firent retomber son cœur au fond de son estomac.
— Je vais partir en tournée…
4 commentaires
Marion_B
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Il y a 10 mois
WildFlower
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Il y a 10 mois