Ophélie Jaëger L'albatros 41. Duplex (1/4).

41. Duplex (1/4).

Joséphine n’avait su contenir son excitation. Elle avait tenté. Elle avait lamentablement échoué. Dans cette cour qu’elle avait foulé une première fois plus d’un mois en amont, où elle avait renversé son café entre les pavés, et croisé la route de monsieur Patrick, elle trottinait, cette fois, pinçant ses lèvres avec force pour s’empêcher de se mettre à ricaner bêtement. Elle ne savait de quoi elle se réjouissait le plus, la perspective de passer une soirée rien qu’à deux, sans chichi, sans fioriture, ou bien le fait qu’elle allait entrer là où même Eliane n’avait été autorisée à mettre un pied ?


Dans l’ascenseur, elle tenta de garder contenance. Les mots tus meurtrissaient ses joues et sa langue à force de mordillements. Et ses joues, justement, se gonflaient de cet enthousiasme qu’elle taisait. Pourtant, tout le reste de son corps s’agitait, s’animait comme celui d’une enfant définitivement trop ravie et impatiente. Résiste, résiste, lui hurlait France Gall, ne laisse pas tes émotions déborder. Trop tard, ses lèvres cédèrent en un bruit de bouche des plus distingués : un pet buccal, quoi.


— Je suis tellement soulagée, lâcha-t-elle à toute vitesse. J’avais tellement peur que tu m’entraînes dans un truc prout-prout, ou pas d’ailleurs, mais tout plein d’inconnus alors que, je sais que ça ne se voit pas comme ça, mais je suis profondément asociale et casanière.


Une digue avait lâché. Dorian, tel un village condamné, finirait englouti sous les eaux à l’exception du clocher. Il profita d'une respiration douloureuse et urgente de Joséphine pour desceller ses lèvres, mais la diatribe féminine reprit avant qu’il n’ait le temps de former le moindre souffle.


— Je me suis imaginée des trucs, mais des trucs ! Tu préfères pas savoir. Et j’me suis fait violence pour venir, hein, parce que j’ai cherché des excuses pour annuler pendant des jours, j’ai même envisagé de simuler un malaise parce qu’un 31 décembre aux urgences, quelque part, c’était plus séduisant que l’angoisse de pas savoir, alors que…


Les lèvres du danseur fondirent sur la bouche hyperactive et colmatèrent la brèche aussi efficacement qu’un employé de chez Carglass. Si l’amorce s’avéra fougueuse, la poursuite du geste se fit tendresse et dévotion. Exprimait-il son propre soulagement contre cette commissure qu’il picorait de baisers ?


— Respire, chuchota-t-il contre sa joue.


La pointe de son nez se balada contre une pommette, puis une tempe, avant que ses lèvres ne se redéposent sous forme de baiser en suivant le même parcours.


— D’accord, consentit-elle. Et merci. Je ne suis pas déçue.

— J’ai cru comprendre, oui, ricana-t-il à l’instant où l’ascenseur atteignait le septième étage. La prochaine fois, je te préviens avant, c’est noté.


La prochaine fois. Ca sonnait ravissant à son oreille, comme la promesse d’une bille de plus sur le boulier de leur relation. Dorian la précéda dans le couloir, et elle nota le nombre de portes -deux- et la hauteur sous plafond -dantesque-. Ils étaient au dernier étage de cet immeuble cossu. Des chambres de bonnes, encore ?


— Pourquoi tout ce mystère, alors ? demanda–t-elle par-dessus le cliquètement des clefs dans la serrure.

— Parce que je n’étais pas sûr de moi, pas sûr de réussir à t’emmener jusque-là, ou même que tu le veuilles. Après tout, c’est le 31, t’étais en droit d’espérer plus de festivités.

— Tu m’offres ton antre, qu’est-ce qui pourrait être plus festif que ça ?


Lui si avare en détails et confessions, qui ne disait rien de lui jusqu’à cette enfance qu’il lui taisait encore, se trouvait sur le point de lui ouvrir son lieu de vie, et tout ce que cela pouvait représenter d’intime. C’était le 14 juillet sous les ondulations de Joséphine. Un feu d’artifice qui faisait crépiter son impatience contre ses tympans et dans sa cage thoracique.


— Tu attends quoi ? la rappela-t-il alors tandis qu’elle patientait sur le seuil bien après qu’il l’ait précédé dans l’appartement.

— Une invitation en bonne et due forme, exigea-t-elle menton bien haut.

— T’es quoi ? Un genre de vampire qui me fera regretter ma décision ?


Elle le devinait plus qu’elle ne le discernait soulever un unique sourcil dans la pénombre de cette entrée qu’il n’avait toujours pas illuminé.


— C’est important, attends, tu m’invites chez toi !

— Joséphine, s’il te plaît, tu ne veux pas m’aider à rendre ça plus… anodin ?


Non. Pas cette fois. Joséphine ne bouderait pas son plaisir dans le but de tromper la vigilance des traumatismes masculins. Et le soupir de l’homme au comble du désespoir témoignait du fait qu’il l’avait bien compris.


— Tu veux que je te porte pour la traversée du seuil pour plus de solennité ?


Son sarcasme n’effleura qu’à peine l’autrice, qui opina du chef avec enthousiasme. De guerre lasse, Dorian déposa le sac de courses dans l’entrée et revint sur ses pas. S’il s’apprêtait à lui offrir un porté tout en souplesse et élégance, la petite furie ne lui en laissa pas le temps, sautant à son cou en criant “Ice Tea !” là où d’autres entonneraient un “Timber !” Dorian la réceptionna et planta ses lèvres dans sa gorge. Joséphine n’était pas dupe, elle savait que par ce geste, il se cachait, refusait d’être le témoin direct de sa découverte et de la myriade d’émotions qui la traverserait et s'imprimerait, impudique, sur ses traits. Le danseur s’empressa de franchir le seuil à l’aveugle et dans son dos, d’un bras étendu, Joe envoya la porte claquer sa fermeture.


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10 commentaires

WildFlower

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Il y a 10 mois

Ils sont choupinous 🥰

Marion_B

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Il y a 10 mois

Doucement les gens ya un je t'aime qui va sortir la je sens..
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