Ophélie Jaëger L'albatros 40. Mystères (4/4).

40. Mystères (4/4).

Son panier sur le côté, il s’employait avec une grâce et une fluidité qu’elle ne pensait pas possible dans une activité aussi banale du quotidien, à se pencher et se relever pour extraire un à un ses achats et les déposer sur le plateau de pesée. C’était comme si toute sa vie, du lever du soleil jusqu’à ses derniers mourants rayons se trouvait chorégraphiée. Une comédie musicale sans le son, un ballet de tous les jours. Il alla même jusqu’à extraire une carte de fidélité de son portefeuille, tout en arquant un sourire amusé mais malhabile. Joséphine nota aussi cette lèvre qu’il malmenait entre ses dents, ses phalanges qu’il faisait craquer entre deux achats bipés. Tout cela plus la perte de temps qu’il venait de leur imposer via ces courses partiellement inutiles…


— Crache le morceau, Jézéquel, ordonna-t-elle en lui prêtant main forte pour la mise en sac.

— Ok, va pour Knacki, consentit-il en fronçant les sourcils face à tant d’emphase pour un nom de chien imaginaire.

— Je ne te parle pas de Chipo, je te parle de ta nervosité.


Dorian suspendit ses mouvements. Plus rien ne demeurait sur le plateau de pesée, il ne restait qu’à payer. Sa carte bancaire dans une main, celle de fidélité de l’autre, le danseur l’observait, elle, un seul sourcil en lévitation tandis que l’autre s’affaissait en creusant un pli soucieux. Joséphine en lâcha un soupir de tragédienne antique.


— Chipo ?


Deuxième soupir.


— Le chien.

— C’est plus Knacki ?

— Pupuce, Knacki, Chipo, Merguez, Trouduc, entendons-nous bien, ce chien n’aura pas qu’un seul prénom. Et en public tu l'appelleras Cthulhu pour booster sa confiance en lui, parce qu’on parle d’un teckel quand même.

— Ok, articula-t-il docilement comme un négociateur en pleine prise d’otages. Autre chose ?


Il noyait le poisson ? De frustration, Joséphine enchaîna sur son troisième soupir, se faisant toujours plus l’effet d’une éolienne, puis s’empara, d’autorité, de la carte bancaire pour en activer le sans contact. Le sac de courses dans une main, elle rangea de l’autre moyen de paiement et ticket de caisse dans la poche arrière du danseur. Son impatience manifeste se matérialisa ensuite dans le martèlement de ses pas en direction des portes automatiques. Dorian la rattrapa sur le trottoir, récupérant le sac en papier et sa main par la même occasion. Craignait-il qu’elle ne s’échappe ?


— Je ne suis pas nerveux, consentit-il à répondre après un instant de silence.

— Ton trac est en train de me contaminer, là.


S’obstiner à nier l’évidence en devenait presque insultant pour l’autrice si observatrice. Et les signes de son agitation ne faisaient que s’accentuer à mesure qu’ils progressaient sur l’avenue. Déjà qu’elle ne savait pas où ils se rendaient, rien dans ce comportement n’aidait à éteindre le début d’incendie dans l’imaginaire de Joe. Les scénarios catastrophes étant son domaine d’expertise, les scènes façon flash sous son crâne la tractaient vers toujours plus de lugubres. Elle ne voyait juste pas le rôle que jouerait la gelée de coings dans ces programmes.


— D’accord, je suis peut-être un peu inquiet.

— Inquiet de quoi ? chercha-t-elle à savoir en obliquant un regard en sa direction.


Il hésitait. Il malmenait à nouveau cette lèvre que Joe aurait voulu faire sienne. Ses doigts resserrèrent leur prise autour de la main masculine, son corps flanqua le sien. Joe incitait à la confidence.


— Inquiet que tu puisses être déçue…

— Déçue de…? interrogea-t-elle avant de comprendre. De ton programme de ce soir ?


Son silence fut un aveu. Il pinça les lèvres et évita ce regard qu’elle cherchait désespérément de son côté. Dorian n’avait pas besoin de le lui confirmer verbalement, la réponse était là, évidente, gravée sur chaque expression de son visage. Une église toute proche tonna ses coups de cloches. Plus qu’une heure avant demain. Plus qu’une heure avant l’année suivante.


— Du moment que je suis avec toi, je suis contente, avoua-t-elle dans un haussement d’épaules.


Un aveu spontané et presque anodin, qu’elle regretta immédiatement. Merde ! C’était trop tôt, beaucoup trop tôt pour pareille confession, n’est-ce pas ? Elle était encore supposée laisser deviner sans dire, et sans rien dire de tel, qui plus est. Risquait-il de prendre peur ? Pouvait-elle rétropédaler et feindre la nonchalance ? Que pourrait-elle bien ajouter afin de nuancer ses dires précédents ? “enfin, toi ou un autre” ? Bon sang, où étaient Céline et sa pelle lorsqu’on avait besoin d’eux ?


Dorian souriait. Un sourire discret, timide, et quelque peu nuancé par cette nervosité que ses mots n’étaient pas parvenus à atténuer. Pourtant, Joséphine ne le remarqua pas tout de suite. Après avoir tourné une fois, puis deux dans quelques rues les isolant un peu plus des larges artères, elle nota un certain sentiment de déjà-vu. Elle connaissait cet endroit. C’était là, quelque part au fin fond de sa mémoire. C’était diffus et incertain. Dans ce dédale haussmannien, rien ne ressemblait plus à une rue qu’une autre rue. Et pourtant, celle-ci lui disait quelque chose. Joe était anxieuse aussi, mais ce sentiment n’était pas sien, il appartenait à un souvenir. Cette rue diffusait en elle une nervosité passée. Ce ne fut qu’une fois devant la grande porte cochère, au numéro 12, qu’elle réalisa.


— Tu m’emmènes chez toi ?


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22 commentaires

WildFlower

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Il y a 10 mois

Je reste sur ma faim, j'attends la découverte de l'appart moi ^^ bon Joe par contre faudrait qu'elle arrête de faire sa timorée là, il attend que ça Dorian en plus, et heureusement qu'elle lui a pas sorti ce qu'elle a pensé parce que c'est ça qui l'aurait fait fuir en fait XD

Ophélie Jaëger

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Il y a 10 mois

Bah c'est déjà pas mal ce qu'elle vient de lui dire. Après oui, évidemment, le Dodo, il a besoin de biiiiiiiiiiiiiiien plus que ça pour se rassurer, et Jojo ne mesure carréééééééééééééééééément pas les efforts qu'il fait de son côté. Du coup, elle se réfrène à mort pour ne pas déborder et le faire paniquer, alors que lui fait tout pour qu'elle se sente suffisamment en confiance pour déborder justement... Plan galère, leur truc ! xD

WildFlower

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Il y a 10 mois

Non mais je voulais dire heureusement qu'elle lui a pas sorti genre "enfin toi ou un autre" 😭

Marion_B

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Il y a 10 mois

Bon Joe stp ne part pas en courant...

Ophélie Jaëger

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Il y a 10 mois

Non, t'en fais pas, elle est bien trop curieuse pour fuir maintenant ;)

Marion_B

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Il y a 10 mois

AH ah j'en étais sure!
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