Ophélie Jaëger L'albatros 39. Tendresses (2/2).

39. Tendresses (2/2).

Par où commencer ? Comment débuter un récit qu’il s’était toujours refusé à conter ? Ca n’avait rien de sordide ou innommable, il existait bien pire ailleurs. Mais c’était son histoire, ses déboires, c’était ce qui avait fait de lui l’homme bancal, l’inachevé. L’albatros qui ne savait pas marcher.


— Mon psy te dirait qu’il s’agit d’un mécanisme de défense, né d'une nécessité d'autoprotection, qui m'amène à avoir des conduites d'évitements se traduisant par de l'isolement, repli sur soi et aversion du contact physique.


Elle retint sa respiration. Les doux mouvements de son abdomen avaient cessé contre l’oreille de Dorian. Il s’en inquiéta un instant. Ces termes techniques, ce charabia médical n’était pas une manière de survoler sa question. Au contraire. Ce diagnostic, son diagnostic c’était aussi l’aveu qu’il était conscient du problème et qu’il travaillait à sa résolution avec plus ou moins d’efficacité. L’aveu de sa faiblesse, de cette faille qu’il occultait au monde pour paraître inébranlable. Il était Achille traçant une cible évidente contre son talon. Et il ne comprenait pas encore pourquoi. Risquait-elle d'y décocher sa flèche ?


Joséphine expira, et Dorian s’enfonça plus avant dans l’étreinte de son corps.


— Et toi, tu me dirais quoi ? demanda-t-elle en réaffirmant ses tendresses.

— Que j’ai un peu de mal à faire confiance ?

— Pourquoi ?

— Parce que j’ai appris qu’il y avait une contrepartie à tout. Une tape sur l’épaule, une étreinte, une poignée de main ne sont jamais rien que ça. Y a toujours une attente derrière. Je ne veux plus rien devoir à personne.


Dorian laissa le silence s’étirer. Un doux silence uniquement rythmé par leurs respirations et la pluie battant la fenêtre. Ce silence n’avait rien d’oppressant. Il semblait naturel. Serein.


— Et moi ? finit-elle par s’enquérir après lui avoir accordé un peu de répit.

— Je ne sais pas, soupira-t-il. Je ne me l’explique pas encore tout à fait.


Parce qu’elle avait raison sur un point : le désir n’expliquait rien. A moins qu’il l’ait inconsciemment désirée dès le premier instant ? Cette toute petite furie qui avait débarqué en pleine salle de répétition cet après-midi là. Cette boule d’énergie solaire. Non, pas solaire. Radioactive. Une boule de destruction lancée à pleine vitesse dans son quotidien bien ordonné. Une fantaisie, une douce folie qui, d’autorité, avait éradiqué le morne de ses habitudes. Était-ce possible ?


Oui.


Il releva le nez pour s’en assurer. Elle, ses cheveux en friche, ses tâches de rousseur, son nez qu’elle retroussait en cet instant. Elle, sa lèvre inférieure qu’elle mordillait, sa gorge au parfum enivrant, ses seins nus.


— Quoi ? demanda-t-elle face à l’inquisition de ce regard qu’il promenait sur elle.


Dorian aurait voulu lui répondre qu’elle était simplement sublime. Précieuse. Un feu follet devenu constante de sa vie. Mais il ne savait pas faire. On ne le lui avait jamais appris. Il n’avait jamais été qu’attentes désespérées et désillusions avilissantes. Lui qui avait été ballotté de foyer en foyer, de familles d’accueil cupides en tuteurs versatiles. Lui qui n’aspirait qu’à un peu de stabilité… Était-il en train de s’éprendre d’une volatile flammerole ?


Alors oui, il se garderait bien de lui avouer cela.


A regret, il quitta l’étreinte de ses cuisses et se hissa jusqu’à ses lèvres qu’il captura à de multiples reprises dans le but de s’en sevrer un instant. Vaine tentative.


— Et toi, si tu me disais pourquoi tu me caches ?


Il se laissa rouler sur le flanc, échouant sur les oreillers contre lesquels Joséphine prenait appui. Il l’observa imiter sa position pour lui faire face. Elle ne se démontait pas, même dans le rôle de l’accusée elle demeurait féroce.


— C’est mieux ainsi, assura-t-elle en venant quérir ses lèvres dans le but d’adoucir le propos.

— Pour qui ?


Son frère savait, Natasha savait, Eliane n’était pas dupe, son amie blonde terrifiante s’en doutait. L’obliger à jouer les chats de gouttière pour rejoindre ses draps n’avait aucun sens. S’il passait cette porte, personne ne pousserait le moindre hurlement de surprise.


— Laisse-moi du temps, souffla-t-elle contre sa bouche.

— Combien ? parvint-il à expirer lorsqu’elle libérera ses lèvres au profit de son cou puis sa gorge.


Joséphine picorait son torse lorsqu’elle releva le museau en sa direction. Le bout de ses cheveux jouaient encore de leurs pinceaux contre sa peau, titillant un épiderme qu’elle venait de réveiller de ses lèvres.


— On n’est pas bien là ? éludait-elle armée d’une moue qui ne souffrirait d’être contrariée.


Si, évidemment que si. Mais était-ce suffisant ? Pas totalement. C’était hors du temps, comme un mobile suspendu par des fils au-dessus de la vie. Ca n’existait qu’ainsi et ici. Jamais hors-les-murs de cette mansarde tantôt délicieuse, tantôt étouffante.


Joséphine mordit son propre sourire vorace tandis que sa main, fourbe, se glissait sous les draps. La réaction masculine ne se fit pas attendre, et un soupir d’aise s’extirpa de la bouche de celui qui venait de clore instantanément ses paupières.


— Qu’est-ce que tu fais ?


Interrogation stupide alors qu’il savait très bien ce qu’elle faisait et dont il ressentait l’effet parcourir l’intégralité de son système nerveux. Encore un contact qu’il était bien loin de lui refuser. Surtout pas.


— Ton psy te dirait qu’il s’agit d’un conditionnement de type pavlovien… singea-t-elle en lançant volontairement le crescendo de l’enclave de sa main.


Le sursaut fut immédiat, né de ses doigts ou de son insolence, et dans un rire ténu, Dorian la fit basculer sous son poids.


— Jolie diversion, souffla-t-il ses deux bras le maintenant en lévitation au-dessus d’elle.

— Ça fonctionne ? voulut-elle savoir sa lèvre inférieure coincée entre ses dents.

— Pour l’instant.


Oui. La mansarde. Et elle. Sa chaleur, son odeur, sa peau. Ses regards, ses mots, ses gestes. L’étreinte de ses bras. L’avidité de ses lèvres. L’étau de ses cuisses. Oui, c’était suffisant pour l’instant.


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17 commentaires

WildFlower

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Il y a un an

Lui s'ouvre un peu mais elle persiste à ne rien dire... Effectivement ce chapitre est tout doux, la tendresse qu'ils ont l'un envers l'autre est touchante, mais Joe ne résoudra pas tout par cette basse stratégie ^^ Comme le laisse présager cette fin de chapitre, ça sent le pâté !

Mikazolinar

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Il y a 10 mois

Je suis d'accord ! Elle en devient presque frustrante Joe à continuer de fuir.

Ophélie Jaëger

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Il y a 10 mois

Elle aurait besoin de consulter la psy de Dorian, y a quelques démons à terrasser, là aussi.
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