Ophélie Jaëger L'albatros 39. Tendresses (1/2).

39. Tendresses (1/2).

Dorian.


Un texto. Ou peut-être deux. Les lumières d’une ville de nuit. Le ciel noir voilé de gris sombre, et en-dessous quelques fenêtres éclairées jouant les scènes de vie de familles ordinaires un soir de Noël. Le zinc froid et si bruyant sur lequel il avait appris à progresser avec félinité. L’attente. Le tintement de la notification. Le grincement de la fenêtre en contrebas qu’on forçait à tourner sur ses gonds. Et enfin, la mansarde. Et elle. Sa chaleur, son odeur, sa peau. L’étreinte de ses bras. L’avidité de ses lèvres. L’étau de ses cuisses.


Il n’avait pas réfléchi, n’avait pas hésité. Avait-il seulement un autre endroit où aller ? La soirée achevée, il aurait pu, il aurait dû rentrer. Au lieu de quoi il avait grimpé sur les toits. Pas envie d’être seul cette nuit. C’était Noël après tout. Il voulait être avec elle, sans se l’expliquer encore totalement. Après quatre jours de torture, il avait besoin de vérifier son goût. Son souvenir était tenace, il n’en avait rien occulté, ce n’était pas sa saveur qui l’interrogeait autant, plutôt son incapacité à s’en rassasier. La délicatesse de son toucher, l’envoûtement de son parfum, la férocité de ses regards étaient autant de sucre fondant sur sa langue. Elle créait une dépendance qui n’occasionnait que manque en son absence.


Et, malgré le sentiment d’aliénation, il en désirait toujours plus.


Depuis les ténèbres protectrices, Dorian profitait d’une tendresse inédite. Les phalanges amantes allaient et venaient entre ses boucles brouillonnes. Elles flattaient, elles cajolaient, elles ébranlaient et déchiraient un peu plus ses dernières réticences. Elles ramenaient à la vie des besoins oubliés, volontairement occultés. Il n’avait jamais été de ceux qu’on chérissait. Adulé, il l’avait été quelques fois, et toujours de manière dérangeante. Objectifié également, très souvent. Mais ces caresses spontanées et désintéressées, il les goûtait pour la première fois de sa vie. Peut-être aussi parce qu’il s’y abandonnait pour la toute première fois.


— Tu devrais dormir, chuchota-t-elle sans cesser ses tendresses.


Oui, il devrait. Demain, l’épuisante valse des représentations reprendraient. Dans quelques heures, il serait sur scène à enchaîner les acrobaties sous les regards avides d’assoiffés de divertissements. Il serait une distraction, une dépense inutile mais qui faisait plaisir à madame. Et justement, quelques heures c’était bientôt. S’il fermait les yeux, s’il se laissait avoir par Morphée, ces quelques heures se transformeraient en peau de chagrin. Un souffle, un mouvement de paupière et on serait demain. Alors non. Non, il ne voulait pas dormir et broyer le peu de temps qu’ils avaient encore pour eux. Il n’était pas pressé de retrouver les toits. Dieu seul savait quand serait la prochaine fois. Dieu et Eliane.


— Dorian ? Je peux te poser une question ?


La douce hésitation de sa voix le força à quitter le nombril où il s’était établi quelques instants plus tôt. Il y planta ses lèvres avant son menton puis accrocha son regard au sien. C’était quoi cette question pour qu’elle use d’autant de précautions ? S’il ne descella ses lèvres, l’accord tacite résidait dans ses prunelles farfouillant les siennes à la recherche de ce qui pouvait bien pousser l’intrusive autrice à quémander une autorisation.


Dorian fronça les sourcils en percevant l’hésitation de cette bouche qui s’entrouvrait puis se refermait sans que le moindre point d’interrogation n’en jaillisse.


— Pourquoi tu ne supportes pas qu’on te touche ? lâcha-t-elle enfin d’une traite qui la priva d’oxygène un instant.


Elle avait une main dans ses cheveux tandis que de l’autre, elle redessinait les lèvres masculines de la pulpe de son pouce. Ses ongles grattaient les repousses d’une barbe dont le rasage remontait à plus d’une dizaine d’heures. Et au-delà d’apprécier et en redemander, il se laissait faire, non ?


— T’as l’impression que j’aime pas que tu me touches ? moqua-t-il en attrapant son pouce entre deux canines.

— Alors non, mais en effet, cette question viendra après. Je ne parlais pas de moi, mais des autres. Même si j’aimerais bien savoir aussi pourquoi moi je peux alors que Gwenaël peut pas, par exemple ?


Oh… ça. Son regard dut se voiler légèrement car l’expression de Joséphine se modifia d’autant. Lui qui se pensait doué pour ensevelir ses émotions, sa réputation d’indéchiffrable en prenait un coup. Ce n’était pas la première fois, ce ne serait pas la dernière, cette femme avait le don d’exploser les murs des plus coriaces forteresses. S’il entrouvrit bien les lèvres, il se retrouva bien vite contraint au silence par un index et un pouce lui pinçant la bouche.


— Et ne t’avise même pas de tenter de noyer le poisson en évoquant le sexe, tu as toujours accepté mon contact. Bien avant que le désir n’entre dans l’équation.


Elle relâcha ses lèvres, et il retourna blottir son oreille contre son ventre. Si elle souhaitait une réponse à ses interrogations, Joséphine devrait accepter qu’il ne parvienne à soutenir son regard le temps des confidences. Elle sembla s’en satisfaire, et patienta sagement en reprenant ses aller-retours contre ses boucles.


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15 commentaires

Mikazolinar

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Il y a 10 mois

C'est vraiment magnifique la manière dont tu décris les sentiments de Dorian

ambre_revant

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Il y a un an

Je me demande ce que Joséphine a fait de Jules pour que Dorian puisse se glisser dans sa chambre ni vu ni connu, par contre. Il ne dort plus dans sa mansarde ?

Ophélie Jaëger

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Il y a un an

Il dort chez Eliane, c'est son cadeau de noël pour sa sœur, mais j'ai complètement zappé de l'indiquer. Oups.

ambre_revant

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Il y a un an

c'est le souci avec les lecteurices pinailleuses comme moi...
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