Ophélie Jaëger L'albatros 36. Textos (1/3).

36. Textos (1/3).

Un ongle de pouce entre deux dents, les yeux fixés sur la page blanche, Joséphine venait d’effacer pour la huitième fois son début de phrase. C’était toujours nul, sans cesse forcé, et jamais très fluide. Ça ne venait pas. Rien ne venait. Comme si son crâne n’était plus capable que de former des mots d’une simplicité abyssale dans des phrases dénuées de tout intérêt. Son attention se reporta sur l’écran de son téléphone qu’elle raviva d’un bout d’index. Non, toujours pas. Cette énième vérification ne servait à rien, Joe avait remis la sonnerie, elle aurait été avertie si elle avait reçu un appel ou à défaut, un texto. Pourtant, elle ne pouvait s’en empêcher. Tout comme elle ne pouvait contraindre son cœur à cesser ses martèlements angoissés. Pourquoi stressait-elle de la sorte ? Elle paniquait à l’idée qu’il l’appelle, et paniquait aussi à l’idée qu’il ne l’appelle pas. 23h45. Elle n’était pas parvenue à pondre la moindre ligne de toute la journée. Elle expulsa sa frustration contre l’écran d’ordinateur qu’elle fit claquer sur le clavier. Elle n’était bonne à rien. Tant pis, il ne fallait surtout pas forcer. Epuisée par la nuit précédente, aller dormir semblait une bonne option. Mais comment s’y résoudre en l’absence d’un signe de lui ?


Joséphine échoua entre ses draps, s’y enroula, les huma, puis s’agaça. Ca sentait comme lui. Son parfum était partout. Elle rejeta la couette mais enfonça sa tête dans l’oreiller. Comme une junkie qui tente de se sevrer, le manque se faisait douloureux. Il fallait qu’elle fasse taire ses pensées, qu’elle anesthésie son cerveau. La télécommande en main, elle alluma le petit poste qui ne servait qu’à ça : l’abrutir. Elle fit défiler les chaînes jusqu’au programme qu’elle cherchait. Un fait divers bien glauque. Une joggeuse démembrée, une mamie séquestrée, un enfant… Non, pas les enfants. C’était son seul veto. Pour le reste, plus l’histoire était sordide, plus sa vie lui apparaissait comme idyllique. Un petit jeu de dupe dans lequel elle revêtait le costume de l’enquêteur et déplorait en premier lieu l’incompétence de l’assassin, et ensuite seulement son inhumanité. Dans cet ordre.


  • Jean-Marc Généreux 20/12/23 - 23h55. Tu dors ?


La sonnerie la tira de sa léthargie criminelle, et instantanément son cœur intensifia son crescendo. Un sourire étira ses lèvres en découvrant son texto. C’était trois fois rien, et pourtant ces deux mots changeaient tout. Et la valse hésitation débuta. Devait-elle répondre ? Oui, bien sûr ! Mais quoi ? Et sous combien de temps ? Devait-elle s’empresser de pianoter au risque de laisser entendre qu’elle attendait depuis des heures ? Ou bien valait-il mieux laisser les minutes s’étirer et jouer la feinte nonchalance ?


  • Joséphine 20/12/23 - 23h56. Je devrais…


Non, elle avait déjà dépensé son quota de silence envers Dorian. Elle ne lui en imposerait pas plus.


  • Jean-Marc Généreux 20/12/23 - 23h58. Mais ?


Mais tu me manques. Mais je tourne en rond dans ces draps imprégnés de ton odeur. Mais j’attendais ton appel en stressant comme une conne. Mais on en est où ? Qu’est-ce qu’on est ? On se revoit quand ? Donne-moi une date, un lieu, une heure, que je puisse me projeter au-delà de ce mur d’interrogations.


  • Joséphine 21/12/23 - 00h02. Mais à la place, je me renseigne sur les meilleures techniques pour se débarrasser d’un corps sans laisser de traces. J’hésite entre l’acide et les porcs. Tu en penses quoi ?


  • Jean-Marc Généreux 21/12/23 - 00h05. Ou sinon, t’as pensé au châtiment corporel ? La mort c’est définitif et bien trop rapide, alors que la punition physique, tu peux l’étirer dans le temps.


  • Jean-Marc Généreux 21/12/23 - 00h06. Je suis désolé, je viens seulement de sortir de scène. Je n’ai pas eu une minute à moi.


Il disait vrai, Joséphine le savait. La période des fêtes était comme un tunnel sans fin dans lequel les artistes sprintaient d’une date à l’autre, d’un horaire à l’autre. Dorian danserait presque tous les soirs, avec quelques relâches éparses. Les familles qui se retrouvaient avaient soif de sorties. Ballets, concerts, théâtres, toutes les salles étaient prises d’assaut et rivalisaient d'inventivité pour proposer toujours plus de dates que le voisin. Ainsi, Dorian pouvait être amené à danser à 15h puis à 20h dans la même journée.


  • Joséphine 21/12/23 - 00h09. Je sais. Mais je note quand même l’idée des châtiments corporels, ça peut servir.


  • Joséphine 21/12/23 - 00h10. Et demain, tu bosses comment ?


Manière détournée de s’informer de la possibilité ou non de le revoir. Était-ce trop tôt ?


  • Jean-Marc Généreux 21/12/23 - 00h25. Comme aujourd’hui, Giselle deux fois.


  • Joséphine 21/12/23 - 00h26. Garnier ou Bastille ?


Sur un malentendu, Bastille ne se trouvant qu’à un jet de pierre de sa petite chambre…


  • Jean-Marc Généreux 21/12/23 - 00h27. Garnier


Chiotte !


  • Jean-Marc Généreux 21/12/23 - 00h27. Tu veux venir ?


  • Joséphine 21/12/23 - 00h28. Je ne peux pas, je suis la gardienne des Enfers pour les prochains soirs.


  • Jean-Marc Généreux 21/12/23 - 00h34. Le fameux babysitting ? Combien de soirs ?


  • Joséphine 21/12/23 - 00h35. Pour l’instant les 3 prochains, mais j’ai encore une dette de 7 soirées.


  • Jean-Marc Généreux 21/12/23 - 00h42. Tu es donc déterminée à nous tirer une balle dans le pied… Ok.


Nous. C’est tout ce que Joséphine remarqua, nota, et caressa du bout du doigt, un sourire niais accroché aux lèvres.


  • Joséphine 21/12/23 - 00h44. Et en matinée ? On est quand même supposé se voir pour avancer sur ta biographie.


  • Jean-Marc Généreux 21/12/23 - 00h45. Je pensais t’avoir fourni pas mal de matière la nuit dernière, t’as besoin de plus ?


  • Joséphine 21/12/23 - 00h46. Han, le degré zéro de la subtilité ! Même pas je réponds à cette évidence, et m’en vais rédiger le chapitre 25 intitulé “l’appétit sexuel de l’Albatros, ou comment il m’a fracturé le bassin”.


L’instant d’après la tête courroucée d’un Dorian les mains sur les hanches s’affichait sur tout l’écran de son téléphone. La photo de contact n’aurait su être mieux choisie qu’en cet instant, pour cet appel en particulier. Joséphine laissa échapper un rire discret avant de faire glisser le bout de son index sur répondre.

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11 commentaires

DANYDANI

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Il y a 9 mois

La tendresse enfin avouée s’installe, ...j’adore leurs réparties tel un ping pong ininterrompu. Les vacheries cryptées fusent, et c’est, torture toi les méninges en essayant de déchiffrer mes remarques

Mikazolinar

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Il y a un an

Elle est chou la Joe qui tombe amoureuse

Marion_B

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Il y a un an

Bon j'avais eu peur d'avoir raté un chapitre mais non...donc on a pas la conversation entre Joe et Dorian?? Frustrant!

Ophélie Jaëger

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Il y a un an

Ah ? C'est bon à savoir, ça... Faudra que je pense à l'ajouter en réécriture du coup. Et ça me donne des idées que je n'avais pas au moment de l'écriture, d'ailleurs. P't'être même un petit piment supplémentaire ?

Marion_B

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Il y a un an

Oh un piment téléphonique! c'est bon ça
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