Fyctia
36. Textos (2/3).
Les deux talons contre l’assise de la chaise, les orteils battant l’air, Joséphine percevait l’agitation d’Eliane dans son champ de vision. La vieille dame allait et venait, tirait des guirlandes usées de boîtes qui l’étaient tout autant, inspectait des décorations d’un autre âge qu’elle reposait en soupirant, scrutait le sapin souffreteux en le plaignant, et apostrophait sa petite-fille qui ne l’écoutait pas vraiment.
— Tu pourrais me répondre, quand même, se plaignait-elle d’ailleurs en échouant sur la chaise en face de celle de Joséphine.
La jeune femme releva le nez de son téléphone portable, et ne remarqua qu’à cet instant, la guirlande en guise de boa autour du cou d’Eliane, et les boules de noël accrochées à ses oreilles.
— Et elle disait quoi, Tata Yoyo, au juste ? se moqua Joe en tentant de réprimer un sourire beaucoup trop présent.
— Je te demandais ton avis sur l’idée d’un secret santa ?
— Pour quoi faire ?
— On sera nombreux, je ne voudrais pas que certains aient beaucoup de cadeaux et d’autres rien.
Ses longs doigts manucurés pianotaient contre le bois lustré de la longue table. Eliane semblait réellement soucieuse pour une fois. Si elle avait l’habitude d’être l’hôtesse de grandes réceptions, la mondaine absolue des fêtes les plus attendues, celle qu’elle organisait cette fois revêtait un aspect inédit. Noël. La fête familiale par définition. Comment cette femme dont le fils unique lui échappait et qui avait raté toutes les petites enfances de sa descendance pouvait se sentir à la hauteur de cette charge ? Eliane doutait pour la première fois. Eliane s’inquiétait, elle s’interrogeait et interrogeait une Joséphine pour le moins inattentive.
— Pourquoi certains en auraient plus que d’autres ? demanda Joséphine en s’efforçant de suivre un tant soit peu la conversation.
— Bah toi, par exemple, tout le monde sera tenté de te faire un cadeau, mais quelqu’un comme Dorian ?
Pardon ?
— Dorian ? répéta-t-elle bêtement en se retenant très fort de récupérer son portable pour interroger le danseur. Mais… Il a pas une représentation ce soir-là ?
— Non, je lui ai arrangé un soir de relâche, tu ne savais pas ?
Elle avait l’air de savoir, franchement ? Mais plus important…
— Dorian est au courant ?
Joséphine ne parvenait à déterminer s’il s’agissait d’une bonne ou d’une mauvaise nouvelle. Certes, elle avait désormais une date et un horaire approximatif quant à leurs retrouvailles, une perspective qui anéantissait quelques doutes, mais dans quel contexte ? Lui, elle et tous les autres. Donner le change sur une courte matinée l’avait épuisée, qu’en serait-il sur toute une soirée dans le huis clos du salon surchargé d’Eliane ?
— Je l’en ai informé ce matin, oui, rétorqua justement cette dernière. Et c’est quoi cette tête ? Tu vas me reprocher d’inviter mon gamin pour Noël alors que je suis sa seule famille ?
Une main sur son cœur, l’autre pointant un index accusateur en direction de Joséphine, Eliane actait le retour de la tragédienne et de ses surenchères.
— Oh s’il te plaît, pas avec moi, riposta une Joséphine qui n’en pouvait plus de ces manigances égoïstes. Il enchaîne les scènes comme un taré et son seul soir de relâche, tu lui imposes un dîner cerné par des inconnus alors qu’il déteste la foule. Tu fais pas grand cas des besoins de ton gamin, on dirait…
8 commentaires
WildFlower
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Il y a un an