Ophélie Jaëger L'albatros 35. Evasion (4/4).

35. Evasion (4/4).

Mais quel connard ! Ça ne lui viendrait pas à l’idée de l’aider à se révéler ? Surtout que c’était en partie à cause de lui que les muscles de ses jambes se trouvaient en grève reconductible.


— Te donne pas tant de mal, mon garçon. Va plutôt l’aider à se relever avant que les locataires de l’immeuble la prennent en pitié et lui jettent des pièces, disait Eliane depuis le salon peut-être ?

— Hey, mais t’es au courant que je t’entends, là ?


Agacée, Joséphine acheva de se redresser et ramassa rageusement la robe restée au sol. Dans le salon surchargé, Eliane s’étendait sur un divan, une tasse à café entre ses doigts manucurés. Tiens, elle avait fait installer le sapin de Noël ?


— Vous parvenez à ne pas vous croiser une seule fois en cinq ans, et vous voilà tous les deux, ce matin, en même temps dans mon appartement, si c’est pas fascinant la vie ! soliloquait la vieille dame avec théâtralité.

— Je passais juste te rendre les affaires que tu m’as laissées, poursuivait Dorian comme totalement hermétique au fait qu’Eliane n’était pas dupe.

— Dans tes vêtements d’hier ? nota Eliane en lui jetant un œil torve. Comme c’est attentionné de ta part !

— Est-ce si surprenant que je ne sois pas rentré chez moi ? Je n’étais pas loin, j’en ai profité pour passer.


Joséphine hocha la tête machinalement devant tant d’honnêteté dissimulée. Elle écoutait d’une oreille tout en fouillant le sac que Dorian avait abandonné sur la table de la salle à manger. Son téléphone entre les mains, elle consulta les nombreux messages et les appels en absence. Dorian et Eliane poursuivaient leur partie d’échec, mais Joséphine n’y prêtait plus vraiment attention. Le portable à la main, elle s’approchait et observait ce sapin biscornu, doté de touffes de branchages par endroits, et d’autres zones quasi rachitiques. Eliane avait encore choisi le plus moche, l’esseulé, celui qui allait passer Noël près d’une benne à défaut d’avoir trouvé une famille pour l’aimer. Et que dire de la décoration ? Joe ignorait tout de la charte graphique initiée ici, mais elle était chargée, très chargée. Enfin, surtout sur le bas du sapin, car le haut demeurait presque à nu, avec quelques décorations éparses.


— T’as fait ça quand ? demanda Joséphine interrompant leur dialogue de sourds pour l’occasion. Y avait rien, hier.

— Ce matin, avec Oona pendant que tu t’étais enfermée à double tours dans ta chambre.


D’accord, elle était au courant de ça, aussi ? Il était temps de battre en retraite avant qu’elle ne doive prétexter à nouveau d’avoir regardé un porno.


— Et c’est sur petit ton passif-agressif des familles que je tire ma révérence. Merci pour le sac, merci pour le portable, je vous laisse à votre conversation cheloue et je retourne me coucher.


Pour l’occasion, Eliane se redressa de son sofa et jeta un regard curieux à sa descendance. Si l’agacement semblait authentique chez Joséphine, c’était probablement parce qu’il l’était. Sous un microscope, sa vie privée se trouvait réduite à peau de chagrin. Jusqu’à présent, elle n’y avait prêté que peu d’attention, mais désormais que Joe avait quelques petites choses à dissimuler… Oui, ça avait tendance à la tendre un peu.


— Dorian, le salua-t-elle froidement d’un signe de main.

— Joséphine, répondit-il d’un hochement de tête.


Si elle quitta l’appartement, Joe ne remonta pas jusqu’au sien. Au contraire, elle redescendit les degrés, et s’installa sagement sur l’une des marches de l’escalier menant du rez-de-chaussée au premier étage. Elle s’attendait à patienter plus longuement, mais Dorian ne tarda pas à la rejoindre. Ou du moins, tomba-t-il sur elle tandis qu’il s’apprêtait à quitter l’immeuble.


— Ça s'est plutôt bien passé, ironisa-t-il à voix basse.

— J’aime ma grand-mère de tout mon cœur, dit-elle en se relevant, mais je voudrais tellement lui faire ravaler son petit sourire.


Il aurait été plus simple de ne pas chercher à berner tout le monde, de ne pas se lancer dans cette comédie éreintante et pas très concluante, mais Joséphine ne savait pas bien elle-même ce qu’il se passait, alors comment et pourquoi devrait-elle l’expliquer à d’autres ? Tant que cela demeurait dans l’enclave secrète de la mansarde, ça n’appartenait qu’à eux. Sans intrusion, sans inquisition, sans questionnement relatif à l’avenir. C’était trop tôt pour tout cela. Joe ne cherchait qu’à faire taire son cerveau, ce n’était pas pour permettre à d’autres de le rallumer pour elle.


La pulpe d’un index se planta entre ses sourcils, et tenta d’y effacer le pli soucieux.


— Arrête de réfléchir, ordonna le propriétaire du doigt.


Facile à dire pour lui. Il était celui qui partait rejoindre un quotidien qui ne portait aucune trace, quand Joe devrait regagner cette résidence qui ne parlerait que de lui, cette chambre qui portait partout son odeur. Elle savait d’avance qu’elle n’aurait aucun répit jusqu’à ce qu’ils conviennent d’une prochaine fois. Si prochaine fois il y avait. Elle demeurerait en apnée d’ici là.


— Je t’appelle ce soir ? proposa-t-il comme en accès limitée à ses pensées.


Rassurant, mais pas assez, il ne faisait que gratter la surface de ses angoisses. Et en plus, Joséphine détestait le téléphone. C’était toujours plein de silences gênés et de pressions inutiles. Mais c’était toujours mieux qu’un check de mains en partant après une nuit pareille. Aussi hocha-t-elle de la tête docilement.


Lorsque Dorian captura ses lèvres pour un énième au revoir de dernière minute, elle se laissa faire. Pire, Joséphine chercha à l’intensifier comme pour mieux s’approprier un territoire ou simplement piller ce qui pouvait encore l’être et marquer de son souvenir une bouche, une mâchoire et un cou déjà bien malmenés par les assauts nocturnes. Tout à leurs occupations, ils n’entendirent pas la porte d’entrée de l’immeuble grésiller son ouverture puis claquer sa fermeture. Pas plus qu’ils ne perçurent les pas approchant puis les dépassant.


— Jojo, Dorian… salua une Natasha sur son passage.


Ni surprise, ni intriguée, la Russe poursuivait sa route jusqu’à l’étage supérieur sans faire grand cas de ce à quoi elle venait d’assister. Comme piquée au vif, Joséphine s’arracha à l’étreinte, repoussa le danseur qui manqua y abandonner son sacro-saint équilibre et cavala dans l’escalier à la suite de son amie.


— Tasha, beuglait-elle en accrochant la rampe armée de l’énergie du désespoir. T’as rien vu, Tasha !

— Je suis ouverte à la négociation, répondait son amie épuisée par une nuit de travail.

— Combien de babysittings contre ton silence ? paniqua-t-elle avant de se pencher par-dessus la rampe pour percevoir celui qu’elle avait abandonné un étage plus bas. Appelle-moi ou je te tue !

— Dix soirées, poursuivait Natasha.

— Cinq !

— Douze !

— Huit !

— Quatorze !

— Ok, va pour dix…


Tu as aimé ce chapitre ?

13

13 commentaires

WildFlower

-

Il y a un an

Elle est dure en négoce Tasha ^^ bon, j'espère que Dorian ne va pas se sentir blessé que Joe veuille à ce point là cacher leur relation...

Ophélie Jaëger

-

Il y a un an

Ah, ça... On arrive aux 80% dans pas longtemps... J'dis ça...

Marion_B

-

Il y a un an

Hey je paris sur un Dorian qui appelle et une joséphine qui ne répond pas...
Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.