Ophélie Jaëger L'albatros 35. Evasion (3/4).

35. Evasion (3/4).

Aussitôt, Joséphine fut sur lui. Ses deux bras encerclèrent un bassin et toutes ses maigres forces tentèrent de faire contrepoids. Il lui prenait quoi, bon sang ?


— C’est pas drôle, on est au septième étage !

— Oui, je suis au courant, donc évite de me faire perdre l’équilibre, s’il te plaît, grogna-t-il en se délestant des deux bras féminins.


D’un demi tour assuré, il crocheta ses longs doigts contre le zinc de la toiture et esquissa un sourire qui se voulait rassurant, mais qui n’eut absolument pas l’effet escompté.


— Tu m’expliques ? s’égosillait Joséphine à voix basse, ce qui transformait sa voix en un râle suraiguë.

— Je vais passer par les toits.

— T’es dingue ? Il a probablement plu, c’est glissant, t’es en chaussures de ville, tu vas mourir et j’devrais quand même expliquer la présence de ton corps éparpillé façon puzzle sur le trottoir. Elle est naze, ta solution !


Dorian laissa échapper un éclat de rire qu’une nouvelle bourrasque transporta jusqu’à Joséphine.


— J’ai l’habitude, ne t’en fais pas. Un peu plus loin, le toit donne sur l’immeuble mitoyen. L’accès n’est jamais verrouillé, il est très simple de se faufiler à l’intérieur, lui expliquait-il à grand renfort de gestes supposés lui désigner ce dont il parlait et qu’elle ne voyait pas.

— Comment tu peux savoir tout ça ?


Frissonnante, elle s’approcha un peu plus lorsque Dorian se décida à s’accroupir contre le chambranle vétuste. D’une main, il chassa une mèche humide de devant le visage féminin, et s’en alla la ranger délicatement derrière une oreille.


— C’était ma chambre, avant, avoua-t-il en jetant un dernier coup d'œil à l’intérieur de la mansarde. Eliane se faisait rapporter mes moindres mouvements par les autres résidents. J’avais pris l’habitude de gratter quelques libertés en jouant les chats de gouttières.


Si Joséphine ne disait rien, la perplexité devait se lire sur son visage. D’accord, il avait quelques bons arguments, mais est-ce qu’un couloir et une pièce de vie valaient autant de risques encourus ? Peu importait les regards, les moqueries, les incessants interrogatoires, tout était préférable à une chute idiote de sept étages par un danseur qui se prenait pour un funambule.


— Fais-moi confiance.


Un ordre qu’il ponctua du geste tandis qu’il ne lui offrait aucun autre choix. L’instant d’après, il se hissait sur ses bras, et l’intégralité de son corps s’effaça au profit d’un paysage sans intérêt. Joséphine aurait voulu lui hurler dessus, mais même ça lui était interdit. Aussi, une paume contre sa bouche, elle s’approcha de la fenêtre et se rompit le cou pour espérer apercevoir le toit. Ce fut la tête du suicidaire qui s’imposa.


— Donne-moi ton sac et les escarpins, exigea-t-il en agitant un bras dans le vide.

— Pourquoi ? voulut-elle savoir tout en s’affairant malgré tout.

— Je vais aller les rendre à Eliane en sonnant à l’interphone.


Génie ! Cela éviterait à Joséphine de devoir expliquer comment elle se trouvait en possession de ses effets personnels, dont son téléphone portable, alors que sa grand-mère les avait délibérément abandonnés aux mains du danseur. A gestes précipités, elle ramassa le tout, sac, escarpins et cape, puis les escamota jusqu’au chat perché qui réceptionna le tout avec dextérité.


— Tu m’accordes une quinzaine de minutes, et tu pourras récupérer le tout chez Eliane.


Joséphine hocha la tête et tendit ses lèvres lorsque des coups à la porte précipitèrent la fuite. La peur au ventre, elle referma la fenêtre puis examina les lieux. Une tornade semblait s’être abattue sur la petite pièce. Tant pis pour les draps froissés ou les vêtements et serviettes humides qui jonchaient le sol. La jeune femme concentra ses efforts sur les preuves évidentes d’une nuit de débauche avant d’enfiler un jean et d’ouvrir la porte sur un Jules qui n’en pouvait plus de patienter.


— Il est où ? tonnait-il en écartant sa sœur d’un coup d’épaule.

— Qui ?

— Le mec !

— Quel mec ?


Son frère transformé en chien de la brigade antidrogue, fourrait son nez partout avec suspicion. Pourtant, la mansarde n’offrait pas un milliard de cachettes possibles, et après avoir regardé dans la cabine de douche et sous le lit, Jules avait achevé de faire le tour de la pièce.


— Céline dit qu’elle a entendu des trucs…


Les bras croisés, il faisait face à sa sœur et la sondait du regard. Joséphine ne savait que trop qu’elle ne pouvait tenir le moindre mensonge très longtemps, encore moins lorsqu’il s’agissait de son jumeau. Si Jules étendait un peu trop son silence inquisiteur, elle allait tout lâcher, Dorian, cette nuit, et même ses rollers qu’elle avait bousillés puis enterrés dans le jardin quand ils avaient neuf ans. Il fallait qu’elle y mette un terme et vite, très vite.


— J’ai maté un porno, lâcha-t-elle finalement dans la panique.


Une réponse qui eut le don de faire battre en retraite l’inquisiteur. Une main plaquée sur chaque oreille, il chantonnait par-dessus comme pour mieux s’anesthésier et oublier ce que Joséphine venait de dire. Il avait probablement les images en tête, et la jeune femme ne put retenir un rire sadique. Profitant de la diversion, Joe s’empressa de ramasser la robe échouée au sol et, son bien sous le bras, abandonna son frère sous la mansarde.


Ses pieds nus dévalèrent les marches. Joe ne prêta que peu d’intérêt à la clameur qui s’échappa en même temps qu’elle par la double porte de la Résidence. Elle ne pensait plus qu’au danseur glissant de toit en toit. Il lui avait demandé d’attendre, mais elle en était incapable, et avalait les étages jusqu’à celui d’Eliane, jusqu’à cette porte contre laquelle elle prit appui d’une main, le coeur à l’agonie, le souffle asthmatique.


Sans lui laisser le temps d’une expiration, le battant s’ouvrit et Joséphine privée d’appui s’étala contre la moelleuse moquette aux pieds d’une Eliane dont le regard sondait l’espace du palier.


— En bas, l’apostropha Joséphine depuis le sol comme si sa grand-mère avait pu manquer sa chute.

— Toi, je sais oui, mais l’autre ?

— Quel autre ? interrogea Joe en tentant de se redresser.


L’interphone grésilla, et étendant une main arthritique en sa direction, avant même de s’en emparer, Eliane soupira un bien las :


— Lui…


D’un index, elle déverrouilla l’entrée du bâtiment en roulant des yeux, puis tourna les talons, abandonnant la porte grande ouverte à une Joséphine qui n’avait pas achevé de se relever.


— Je pensais que ça te ferait au moins un peu plaisir de me savoir en vie, tonna ladite Joséphine à quatre pattes.

— J’suis ravie, lui répondait la voix sarcastique d’Eliane depuis le couloir.


Ce fut cet instant précisément que choisit Dorian pour atteindre l’étage et marquer l’arrêt en découvrant la scène. Une réaction spontanée qu’il chassa rapidement et se remit en mouvement.


Nonna ? appela-t-il en enjambant Joséphine. T’as installé une nouvelle gargouille ?


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