Fyctia
35. Evasion (2/4).
— J’allais pas aller chasser notre repas à moitié nue, riposta-t-elle en désignant l’assiette et les mugs d’un mouvement de bras.
Intrigué, l’homme releva nez et menton, suivit du regard la direction de l’index, et en avisant l’assiette pleine de pains perdus, repoussa l’obstacle Joséphine face contre le matelas et se jeta sur les denrées. La jeune femme protesta mollement, pour la forme, en se relevant, puis s’étira afin de récupérer sa propre tasse de café. Dos enfoncé contre les oreillers malmenés par la nuit, le regard ailleurs, la jeune femme tendait l’oreille à l’agitation perceptible malgré la porte close. Une porte qui ne les protégerait plus très longtemps, et transformerait leur cachette secrète et douillette en étroite prison suffocante. La journée était à la fois trop et pas assez avancée. Ils ne pouvaient espérer la moindre désertification des pièces communes avant la nuit tombée. Et Jules aurait forcé sa porte bien avant cela. Joe redoutait déjà l’instant où son jumeau tenterait de faire tourner la poignée et exigerait qu’elle s’explique quant au fait qu’elle s’était enfermée à clef. Non, il fallait exfiltrer Dorian avant que cette prémonition ne se réalise.
— Qu’est-ce qu’il y a ? questionna justement ce dernier conscient qu’elle n’était plus tout à fait là.
— Il faut que tu partes, répondit-elle machinalement.
Joséphine fixait toujours la porte de son regard vide, et ne retourna dans le bon espace-temps que lorsqu’elle entendit le danseur s’étouffer avec un bout de brioche.
— Tu as vraiment le don de me rendre indispensable, toi, gronda-t-il en se redressant à son tour dans une position semblable à la sienne. Et tu fais quoi de ton projet de séquestration jusqu’au nouvel an ?
— Oh non, ne te méprends pas, si ça ne tenait qu’à moi, tu resterais ici jusqu’à Pâques, mais…
— Mais t’as pas le cardio pour assumer ?
— Quoi ? Non, c’est faux, j’ai parfaitement… commença-t-elle à s’indigner avant de surprendre son sourire en coin. Arrête, je suis sérieuse, j’essaye de trouver une idée pour t’exfiltrer avant qu’ils ne prennent d’assaut ma chambre.
— Qui “ils” ?
Calmement, comme hermétique à la panique qui agitait la jeune femme, Dorian poursuivait son festin d’un air trop tranquille qui commençait à exaspérer Joséphine. N’avait-il pas conscience de ce à quoi il l’exposait si on le trouvait ici ?
— Mon frère pour commencer, il a débarqué avec un gros sac ce matin qui tend à prouver qu’il compte plus ou moins s’installer.
— Il vit où normalement ?
— Il a un appartement à Palaiseau juste à côté de l’école polytechnique, mais puisqu’il a abandonné les cours et qu’il n’ose pas le dire au Général… Je crois qu’il le sous-loue à un pote d’un pote pour se faire un peu d’argent, et… Et pourquoi je te raconte ça ? On s’en fout, c’est pas le sujet ! S’il te trouve ici…
— Il va vouloir me casser la gueule pour laver ton honneur ?
Joséphine demeura interdite un instant avant de laisser échapper un éclat de rire.
— Genre il est de taille ? railla-t-elle son propre frère.
— Je suis danseur pas boxeur, je n’irais pas très loin avec des entrechats.
— Cela dit, avec quelques fouettés bien placés, ricana-t-elle.
— Je note que tu as appris les termes techniques, releva-t-il dans un regard en coin.
— Pas le choix, elle aurait l’air de quoi ton autobiographie si tu y confonds piqué arabesque et grand jeté ?
— Donc elle est toujours d’actualité ? L’autobiographie, je veux dire.
— Dorian, s’impatienta-t-elle, tu penses pas qu’il y a plus urgent, là ? Si mon frère ou n’importe qui d’autre te trouve ici, j’ai pas fini d’en entendre parler ! Et j’trouve que tu ne m’aides pas beaucoup à chercher une solution, là !
— Peut-être parce que je sais déjà comment sortir d’ici discrètement.
L’effet d’annonce fut accompagné du geste, puisque Dorian reposa sa tasse, quitta l’assise du matelas, et exposa toute son impudique nudité à la lumière du jour filtrant depuis la large fenêtre. Dos à Joséphine, il étira ses bras, fit rouler ses épaules et craquer quelques cervicales. La jeune femme ne savait plus où porter le regard. Cette nuit, dans la pénombre, elle avait deviné plus qu’elle n’avait vu. A présent, elle détaillait, analysait, mémorisait. Et suffoquait un peu, aussi.
— J’ai quand même le temps de prendre une douche ? demanda-t-il en désignant la petite cabine habilement dissimulée dans le coin de la pièce.
Joséphine se contenta d’hocher la tête sans un mot, à peine une déglutition un peu trop sonore. Quelques secondes plus tard, le bruit de l’eau emplissait la mansarde et les cheveux dégoulinant contre son front, la tête de Dorian refit son apparition.
— Et tu as le temps de la prendre avec moi ? chercha-t-il à savoir.
Mais sans lui laisser le temps de répondre ou même de réfléchir à sa question, il étira un bras et n’eut aucun mal à se saisir du poignet féminin. L’instant suivant, Joséphine se trouvait trempée, le tee-shirt congloméré contre ses formes, le dos collé contre la faïence, et les lèvres et mains masculines opéraient une remontada sur l’intégralité de son corps.
Les coups contre la porte ne se firent pas attendre, mais les perturbèrent à peine. Dans un effort digne du cours Florent, Joséphine répondit qu’elle était sous la douche, ce qui n’était pas un mensonge, et leur accorda un sursis de quelques minutes supplémentaires. Guère plus. Aussi, lorsque Joe parvint à s’extirper de ce délicieux traquenard, ce ne fut que pour le suivre à la trace tandis qu’il ramassait et enfilait ses vêtements de la veille, sans jamais cesser de l’acculer de ses interrogations. Son interrogation, puisqu’une seule lui parasitait le crâne en cet instant. Lancée à pleine vitesse, ricochant contre toutes les parois en une boucle perpétuelle :
— Comment tu vas sortir de là ?
Il n’existait qu’une seule issue : la porte. Derrière laquelle le couloir ne menait qu’à un seul endroit, la pièce commune. Il n’existait aucun moyen de l’éviter, aucune solution pour le cacher. Joséphine envisagea bien de créer une diversion, mais laquelle ? Peut-être que si elle refilait un couteau à la petite Oona, alors… Non, mais ça va pas bien ? Alors elle en était réduite à ça ? Armer une gosse et prier pour qu’elle embroche quelqu’un afin de semer un peu de confusion ? Joséphine ne fut tirée de ses sombres desseins qu’en se prenant le vent glacial de plein fouet. Dorian venait d’ouvrir la fenêtre en grand, et l’autrice se trouvait toujours à moitié nue.
— Tu fais quoi ? demanda-t-elle en enfilant un pull à la hâte.
— Je pars, répondit-il nonchalant en enjambant l’encadrement de l’ouverture.
11 commentaires
Marion_B
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Il y a un an
ambre_revant
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Il y a un an