Ophélie Jaëger L'albatros 35. Evasion (1/4).

35. Evasion (1/4).

Joséphine s’était rhabillée à la hâte. Une culotte et un long tee-shirt faisaient office d’uniforme à son évasion. Doucement, avec mille et unes précautions, elle avait refermé la porte dans son dos, et ses jambes ankylosées, courbatues, la portaient désormais difficilement jusqu’à une cuisine surpeuplée. Ici, tout n’était plus que bruits et bavardages. Un saut sans transition dans la normalité d’une Résidence éclectique et électrique, après le calme relatif d’une nuit rythmée seulement par les souffles et les gémissements étouffés.


A son entrée dans la pièce, la matinée était bien trop avancée pour que chacun de ses occupants ne la détaille pas de pieds en cap. Tous fixèrent un regard inquisiteur sur ses pieds abîmés, ses jambes nues, et sa coiffure atomique. Joséphine regretta d’avoir évité son reflet avant de s’extraire de cette chambre.


— Quoi ? grogna-t-elle à la cantonade armée de l’amabilité d’un teckel affamé.


Chacun eut la présence d’esprit de ne pas répondre à cette agression, et ils détournèrent le regard pour reprendre leur activité. Son estomac à l’agonie guida ses pas jusqu’à l’épaule d’un Basile s’affairant aux fourneaux. Joséphine y déposa une tempe, les yeux rivés sur le contenu d’une poêle que l’homme agitait de mains de maître.


— J’ai faim, annonça-t-elle en économie de mots, la bouche pâteuse.

— J’sais, lui répondit son ami le géant en déposant un baiser sur le sommet de son crâne. J’te prépare une assiette, et j’ai refait couler du café.


Cet homme était un ange qu’elle remercia d’un regard dégoulinant d’un amour inconditionnel. Joe ne s’écarta qu’à regret, et uniquement guidée par cette cafetière qui lâchait ses effluves salvatrices. Dans son dos, après quelques instants de silence, la parole se libéra à nouveau.


— Putain, y avait une bestiole qui beuglait c’te nuit, ça m’a réveillé plusieurs fois, se plaignait un résident qui portait sur son visage les marques du manque de sommeil.


Joséphine en rata sa tasse et le café se répandit sur le plan de travail sans qu’elle ne juge bon de réagir immédiatement.


— Joe ! s’impatienta Basile, une éponge à la main, écartant la jeune femme tandis que le liquide noir gagnait le parquet au sol.

— Pardon, j’suis pas bien réveillée.

— Toi aussi, t’as été dérangée par l’animal ? demandait le résident zombiesque.


Joséphine s’apprêtait à sauter à pied joint dans ce salut gracieusement offert par cette tête de mort-vivant dont elle avait oublié jusqu’au prénom, lorsqu’une chevelure blonde émergea de son mug pour braquer son regard bleu assassin sur elle.


— Evidemment, ça venait de sa chambre, annonça Céline en un claquement de langue.

— Non ! se défendit -bien mal- Joséphine en tentant une retraite stratégique dans sa propre tasse de café.

— Si !

— Absolument pas !

— Joe…


Y avait comme la menace d’une pelle dans la voix de Céline qui étirait la seule et unique syllabe comme on écartèle un supplicié. La blonde possédant la chambre mitoyenne de celle de Joséphine, personne n’oserait remettre en question la géolocalisation précise dont elle informait la tablée. Traîtresse ! Il fallait absolument que le cerveau de Joe lui fournisse une excuse recevable dans les prochaines secondes. Un cerveau en manque de sommeil. Un cerveau qui avait été secoué toute une partie de la nuit. Un cerveau qui ne lui offrait que du vent et l’âne Trotro, l’âne Trotro, trop trop rigolo, l’âne Trotro c’est l’ami qu’il nous faut, trop trop rigolo


— Ah si ! tenta Joe malgré tout. A un moment, me suis cogné le pied dans un meuble, en effet.


Tous les regards convergèrent en direction de Céline pour la riposte. Si la chef de meute acceptait cette excuse, les loups relâcheraient leur proie matinale. Connaissant la blonde, soit elle serait prise d’empathie et épargnerait Joe, soit…


— Ouais, moi aussi quand j’m’explose le p’tit orteil, j’suis prise d’un orgasme.


Joe en recracha son café au visage de l’homme-zombie. Putain, c’était quoi son nom déjà à lui ?


— Qui qu’a un orgasme ? tonna une voix trop joviale et trop connue en apparaissant sur le seuil de la porte.


Jules. Bordel, manquait plus que lui. Son jumeau tout sourire venait de lâcher un énorme sac de sport sur le parquet. Un sac tellement gros qu’il ne pouvait vouloir dire qu’une chose : Jules s’installait. Du moins, estimait-il qu’il allait passer tellement de temps à la Résidence que son séjour nécessitait un sac de voyage dont la fermeture éclair menaçait de claquer. Et puisqu’il n’avait pas de chambre attitrée et qu’il établissait ses habitudes dans celles de sa soeur… Ah non, non, non, non ! Joséphine eut la vision du corps masculin qu’elle avait abandonné entre ses draps. Un corps alangui, un corps dévêtu, un corps délicieux, un corps… STOP ! Jules ne devait pas entrer dans cette chambre ! Surtout pas ! Pas maintenant ! La panique s’empara d’une Joe au souffle court.


— Vous êtes chiants, j’me casse ! claqua-t-elle en se servant deux tasses de café avant de s’emparer de l’assiette préparée par Basile.

— Deux cafés ? interrogea malicieusement Céline-la-sadique.


Dommage que Joséphine eut les deux mains de prise, sinon son majeur aurait répondu à son amie à sa place. Au lieu de quoi, elle lui offrit un “gnagnagnagnagnaaaaa” des plus matures, avant de s’éclipser dans le couloir. Un couloir dans lequel elle attendit d’être hors de vue pour cavaler avec précipitation. Joe ne reprit son souffle qu’en refermant sa porte de chambre dans son dos. Les mains libres, elle fit cliqueter la clef dans la serrure, et pria pour que personne ne cherche à rentrer et ne l’interroge sur ce verrouillage plus qu’inhabituel.


Des inquiétudes qu’elle oublia bien vite en percevant ce corps que le danseur encore à moitié assoupi étirait façon chat depuis le matelas.


— Hey, murmura-t-il en se redressant sur un coude.


Et le cœur de Joséphine reprit son inquiétant martèlement. Ses cheveux en bataille, son regard flou, son sourire bancal, tout en lui la remplissait d’extase. Elle en abandonna ses offrandes sur la table de chevet et s’empressa de rejoindre le matelas. Elle progressa jusqu’à lui à genoux et ne s’immobilisa qu’à hauteur de ce cou qu’il déployait vers elle et ses lèvres qu’elle ne tarda pas à venir cueillir. Un baiser qu’il acheva dans un grognement en froissant le tissu du tee-shirt dans son dos.


— Pourquoi t’es habillée ? demanda-t-il de cette voix teintée de contrariété et déception.


D’un index il étira le col trop large du vêtement pour jeter un œil aux otages inaccessibles. Puis décida de les saluer au travers du tissu, tant pis, baisant tendrement les prisonniers du vêtement.


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