Ophélie Jaëger L'albatros 32. Servante (4/4).

32. Servante (4/4).

— Mais c’est aussi plutôt utile dans mon métier, reprit-elle en retirant une autre attache. Il paraît que l’hypersensibilité renforce l’empathie, ce qui nous rend plus conscients des émotions des autres. Plus à même de les décrire aussi…


A la quatrième pince extraite de longue lutte, les doigts masculins s’immiscèrent à leur tour.


— Tu permets ? s’enquit-il alors qu’il avait déjà une attache entre deux doigts.


Joséphine hocha de la tête en silence, et le danseur se glissa dans son dos. Délicatement, ses phalanges sondaient l’intérieur de la structure, avisaient une pince ou deux, et libéraient les ondulations aux reflets fauves qui s’en venaient dévaler les épaules nues.


— C’est pour ça que je peux parfaitement comprendre que tu sois terrifié par moi, reprit-elle les paupières closes l’esprit assiégé par ces doigts habiles qui se faisaient caresse. Moi aussi, je suis terrifiée de moi-même.

— Raison pour laquelle tu ne m’as pas appelé, marmonna-t-il doucement en accrochant la dernière pince.

— J’ai paniqué, confirma-t-elle. Il y a beaucoup d’enjeux, trop d’enjeux.

— Le livre, Eliane…

— … Maxence, un contrat d'édition qui m’engage jusqu’en 2026…

— … Le réchauffement climatique, les Jeux Olympiques, un requin dans la Seine…


Alors que Joséphine s’apprêtait à renchérir, elle s’interrompit en réalisant la teneur de ses propos. Il se moquait d’elle ? A force de contorsions, elle parvint à réaliser une volte face et lui imposer son impressionnant courroux digne d’un chiot soupe au lait.


— Je suis très sérieuse, Dorian !

— Et je n’en doute pas, mais rien dans ce que j’entends ne mérite ta panique. Le livre n’est pas une obligation, si tu ne veux plus le faire, tu ne le fais pas. Un contrat, ça se casse. Maxence on s’en fout, et Eliane… Quoique tu fasses, Eliane sera toujours Eliane.

— Et toi ?

— Moi ? répéta-t-il bêtement en haussant ses sourcils façon accent circonflexe au-dessus de ses yeux.

— Oui, toi… Toi… insistait Joséphine à gestes amples englobant l’intégralité du danseur. Toi, t’es tellement… T’es si… toi ! Comment je suis supposée gérer ça, moi ?

— Oh, tu veux me gérer, alors ?


Le sourire en coin qui ne cessait de s’étirer pour coloniser les lèvres masculines toutes entières, gagna son regard. Joséphine en bafouilla quelques ripostes inaudibles. Non, ce n’était pas ce qu’elle avait voulu dire. Non, elle n’aurait jamais osé parler de lui en ces termes. Même si dans l’absolu, oui, évidemment que… Non ! Stop ! Terrain glissant ! Faites demi-tour ! Faites demi-tour ! Joséphine s’apprêtait à rendre son discours moins confus et plus distinct lorsqu’une voix tonna des profondeurs de la salle.


— Hey, qu’est-ce que vous faites là ? scandait un homme depuis le fond du parterre. Qui vous a autorisé à rallumer la salle ?

— Merde ! Didier ! paniqua Dorian en se redressant sur ses jambes.

— Qui ?

— C’est le gardien, le dîner doit toucher à sa fin, l’informa-t-il sans quitter des yeux la figure d’autorité qui approchait dangereusement.

— On n’a pas le droit d’être là ?

— Disons que… Vaut mieux éviter qu’il me découvre ici.


Et après une grimace d’excuse, Dorian quitta le proscenium, Joséphine sur ses talons.


— Comment vont tes pieds ? s’enquit-il dans la précipitation après avoir ramassé les escarpins abandonnés aux côtés de la Servante.

— Mieux ? s’étonna-t-elle après quelques pas.

— Parfait ! Alors cours !


Dans l’urgence, l’homme attrapa le poignet de la jeune femme et y verrouilla ses doigts. Joséphine se retrouva tractée un instant, avant que ses foulées ne se règlent sur celles du danseur. Il les guidait. Elle vérifiait par-dessus son épaule la progression de l’ennemi. C’est alors qu’elle la remarqua, abandonnée sur la scène. Toujours à demi pleine.


— La bouteille de champagne ! geignit-elle.

— Tombée au champ d’honneur !


D’un coup d’épaule il ouvrit une porte, et ils débouchèrent sur le dédale habituel. Il la conduisait vers sa loge ? Dorian ne ralentit pas l’allure. Ils traversaient les couloirs le souffle court, le rire aux bords des lèvres. L’urgence n’avait plus rien de réelle, mais elle parcourait encore les veines de la jeune femme, pulsant au rythme de son palpitant frénétique. Au détour d’une énième courbe, elle reconnut les portes caractéristiques. Oui, Dorian la menait à sa loge. Son cœur chavira avant elle. Un lieu clos et privatif, c’était risqué. Voulait-elle prendre ce risque ? Considérait-elle cette hypothèse comme un risque, d’ailleurs ? Ses questionnements cessèrent en même temps que sa course lorsque son nez percuta un dos.


Aïe !


Dorian s’était immobilisé et reculait en la faisant reculer jusqu’à la précédente bifurcation. Dans l’angle d’un mur, il l’y accula et, d’un index contre ses lèvres, lui intima le silence. Elle suivit son regard, pencha la tête juste assez pour repérer la porte d’une loge au loin. Une porte contre laquelle un poing délicat s’en venait toquer.


— Dorian ? tintait la voix d’une Eliane incertaine. Joséphine ?

— Elle nous pense ensemble ? chuchota ladite Joséphine depuis sa cachette.


L’unique sourcil que souleva Dorian à son attention la fit se sentir idiote. Eliane les savait ensemble, nuance. Qu’allaient-ils faire ? Demeurer coincés dans l’angle d’un mur jusqu’à ce que la vieille dame se lasse ? Joséphine jeta un nouveau coup d'œil discret et vit Eliane tirer son portable de sa pochette. Alors, elle comprit.


— Ton téléphone ! s’affola-t-elle en tapotant le torse du danseur à la recherche de la proéminence caractéristique.


A force de recherche, elle le débraillait et il se débattait sans comprendre.


— Qu’est-ce que…? murmurait-il en luttant vainement contre Shiva.


La sonnerie en provenance de sa poche intérieure les figea et répondit à sa question.


— Merde, laissa-t-il échapper pour la deuxième fois en dix minutes. Ok, je suis comment ?


D’une main, il tentait de remettre sa mise et lisser ses cheveux malmenés. Beau, avait-elle envie de lui répondre. Mais ce n’était pas ce qu’il cherchait à savoir, n’est-ce pas ? Eliane approchait, guidée par la sonnerie du portable. Il fallait faire vite. Pourquoi ? Ils ne faisaient rien de mal après tout, et Eliane les savait déjà ensemble. Alors pourquoi ce besoin vital de cacher l’évidence ? Parce qu’elle n’appartenait qu’à eux et qu’il aurait toujours dû en être ainsi ? Probablement. Alors Joséphine esquissa un sourire tendre.


— Parfait, lui répondit-elle avant de le pousser et le jeter sous les projecteurs.


Le projecteur. La fosse à un seul lion. Eliane.


Tu as aimé ce chapitre ?

8

8 commentaires

WildFlower

-

Il y a un an

Ah bin dommage ils avaient amorcé un beau rapprochement ^^ et cette petite montée d'adrénaline 👌🏼
Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.