Ophélie Jaëger L'albatros 30. Muse (2/3).

30. Muse (2/3).

— C’est le plus beau jour de ma vie, s’exclamait Tasha dans son dos.

— N’exagère pas, y a la naissance d’Oona avant ça.

— Tu plaisantes ou quoi ? 27 heures de travail à hurler de douleur pour finir avec des points de suture à la ch…

— Ok, ok ! Pas besoin de rentrer dans les détails, j’étais là, l’interrompit Joséphine. Mais après ça, quand ils ont posé la petite chose contre ta poitrine…

— Bah encore heureux qu’il y a un truc un peu cool à la fin, parce que sinon la pérennité de l’espèce… Tintin !

— Ça peut pas…


Mais Natasha ne laissa pas son amie finir sa phrase. Elle avait précipitamment reposé son fer et contourné Joséphine pour lui imposer son regard furieux.


— Si ! Ça peut ! C’était une boucherie, une zone de guerre ! Il m’a fallu des semaines avant de pouvoir refaire pipi normalement. Pipi, Joe ! Le truc que tu sais faire à la naissance, moi je savais plus ! Alors oui j’aime ma fille. C’est même au-delà de l’amour tellement c’est ridiculement fort, mais non l’accouchement c’est pas juste un mauvais moment à passer qui te laisse un joli souvenir par la suite. C’est un putain de trauma !


Dans une grimace de dégoût elle laissa son regard flotter jusqu’à un point imaginaire où se déroulait le film souvenir d’un passé pas si lointain. Puis après un frisson traversant son échine, la Russe se recomposa un sourire franc et retourna à son atelier coiffure.


Un milliard de pinces plus tard fixant sa tignasse en chignon bas, Natasha lança sa nouvelle offensive. Palette et pinceaux en mains, elle arborait un sourire bien trop carnassier. Joséphine accusa un mouvement de recul.


— Laisse-toi faire, ça va bien se passer, disait Tasha.

— Pas besoin de me torturer, j’avoue tout ! scandait l’autre les deux mains en l'air.

— Oh, vraiment ?


Ses pinceaux en lévitation à quelques centimètres du visage de Joe, Tasha rayonnait. Plus encore que d’ordinaire.


— Alors vas-y, avoue que tu es croque-love du danseur !

— Quoi ? Non ! s’indigna immédiatement Joséphine.


Une exclamation qui n’eut pour résultante que l’ouverture de la palette et un pinceau que la Russe tamponna lourdement dans un fard couleur prune très sombre.


— Dommage, j’allais partir sur du léger et très naturel, mais finalement avec la couleur de tes yeux j’ai toujours voulu tenter le violet parme… Ou du kaki irisé ? Hum, j’hésite…

— Tu es d’une cruauté… s’insurgea Joséphine.

— Moi ? Et toi alors ? Je suis supposée être ta meilleure amie et ça fait des semaines que tu ne me dis plus rien !

— Parce que je n’ai rien à dire, voilà tout.

— Oh, s’il te plaît, Joe, pas à moi ! Tu ne vas pas me faire croire qu’il ne te plaît pas.

— En même temps, il plairait même à une nonne aveugle, alors…

— Tu marques un point, nota Natasha en tapotant ses lèvres du manche du pinceau. Mais une nonne aveugle n’aurait pas ses chances avec lui, alors que toi…


Alors qu’elle quoi ? Elle avait ses chances ? Oui, le baiser en était la preuve évidente, mais… Ses chances de quoi ? Qu’il réponde par la positive à ce désir qu’elle nourrissait ? Oui, c’était certain. Mais il y avait plus, ça allait bien au-delà, et c’était ce qui compliquait considérablement la situation. Joséphine voulait bien plus que cela, elle en avait pris conscience en l’embrassant. Elle ne saurait se contenter de juste ça. Elle voudrait tout. Elle réclamerait tout.


— Je l’ai embrassé, chuchota alors Joe.

— Mais nooon ! s’exclama Tasha en un sourire si radieux que Joséphine dû en fermer un œil. Et ?

— Et rien.


Et le sourire s’éteint.


— Comment ça, rien ? Ça ne t’a pas plu ? Oh bordel, il est à ranger dans la catégorie des beaux gosses décevants ? Non, j’attendais mieux de lui, je suis très déçue !

— Mais qu’est-ce que tu racontes ? Bien sûr que ça m’a plu. Ca m’a même un peu trop plu… reprit Joséphine en baissant la voix.

— Comment ça peut trop plaire ? chuchota Natasha à son tour. C’est pas supposé être un bon indicateur pour le reste ?


A mouvements prestes, et sans en avoir l’air, Natasha forçait la confidence tout en s’occupant du teint de son amie. Par petits coups de pinceau, elle appliquait d’infimes touches qui n’occulteraient en rien les tâches de rousseur.


— J’ai peur de moi, Tasha, je me connais.


Et la Russe la connaissait aussi. Elle savait tout des dysfonctions émotionnelles de son amie. De son incapacité à gérer ou ne serait-ce que modérer. Là où les autres se contentaient de trébucher, Joséphine sombrait. C’était comme si on avait oublié de lui apprendre à nager. Chaque relation se soldait par une noyade qui ne faisait que renforcer sa peur de l’eau. D'où leur faible nombre.


— Il est… trop, poursuivait Joséphine de son regard implorant. C’est pas juste un mec random avec lequel je saurais me contrôler. J’vais me perdre, et tu sais comment je deviens dans ce genre de cas ?


Oui… Explosive. Une bombe à retardement qui s’avérait être implacable et autodestructrice. Ses doutes bien trop présents se transformaient en voile qui teintait la réalité pour la lui rendre hostile, moqueuse et insupportable.


— Donc tu as décidé de vivre une vie complètement aseptisée afin de t’assurer de ne plus jamais prendre le risque de ressentir quoi que ce soit ? l’interrogea Natasha dans une brume de fixateur.

— Ressentir pour un mec qui est à la fois l’enfant chéri de ma grand-mère et, parallèlement, mon projet professionnel pour l’année à venir, tu avoueras que c’est un poil risqué quand même.

— Ok, mais… Tu l’as embrassé, non ? Donc tu ressens déjà. Tu vas pas pouvoir duper ton cerveau bien longtemps, ma chérie.


Natasha avait raison, mais Joséphine n’était pas encore prête à l’admettre. Elle devait conserver le contrôle, et elle l’avait en refusant de donner une suite à tout cela. Quelle que soit la suite en question. Dans ce flottement incertain entre deux prises de décision, elle avait une illusion de contrôle. Tout demeurait figé dans un arrêt sur image qu’elle faisait perdurer. Quatre jours déjà. C’était très court et long à la fois. Trop court pour faire son choix, l’assumer et l’édicter. Mais bien trop long pour l’autre pendant de ce baiser qu’elle n’avait plus jamais recontacté. “Je t’appelle” lui avait-elle dit. Elle n’avait pas précisé quand. Et Joséphine se raccrochait à ce tout petit élément.


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5 commentaires

Gottesmann Pascal

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Il y a un an

Tasha pousserait toutes les femmes à ne pas oublier la pilule. Mais elle est une excellente confidente pour Joséphine et donne des conseils parfaits.
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