Fyctia
30. Muse (3/3).
— Bon, vous en avez pas bientôt terminé ? scanda la voix d’Eliane depuis le couloir avant que cette dernière ne fasse son apparition.
Dans une robe fourreau à sequins, perchée sur des talons que Joséphine n’aurait jamais supportés, la vieille dame était absolument renversante.
— J’veux être Eliane quand je serais plus grande, soupira une Natasha fascinée.
D’un même mouvement, ladite Eliane clipsa son bracelet en forme de serpent autour de son poignet, et consulta sa montre.
— Monsieur Madani ne devrait plus tarder, nota-t-elle avant de jeter un regard à sa petite fille. Ajoute un peu de rouge sur ses lèvres, mais du sans transfert, tu seras mignonne. J’ai déposé une cape en laine sur le sofa pour toi, Joséphine, puisque tu ne supportes pas la fourrure.
Quelques gouttes de N°5 plus tard, Eliane s’éclipsait en faisant claquer ses talons contre le parquet.
— C’était un bracelet Bulgari ? ânonna Tasha. Et c’est qui monsieur Madani ?
— Son chauffeur, répondit Joséphine en tentant d’enfiler ses escarpins.
— Joe, il est temps que tu me dises la vérité à présent, s’emporta la Russe en attrapant son amie par les épaules. C’était quoi le métier de ta grand-mère ? Princesse ? Agent Secret ? Princesse-Agent Secret ?
— Muse, l’interrompit Joe.
— Arrête avec ça, c'est même pas un métier, s'agaça Natasha.
— Sur plusieurs décennies, elle a inspiré de très grands artistes qui l’ont couverte de cadeaux onéreux. Paraît que cet appartement lui aurait été offert par Warhol.
— Warhol comme dans Andy Warhol ?
— Il paraît, répéta simplement Joséphine en haussant ses épaules nues. Difficile de savoir avec Eliane.
Ses objets de torture aux pieds, Joe tenta quelques pas malaisés avant d’enfiler la cape.
— Tu devrais prendre exemple sur ta grand-mère, reprit Natasha en lui imposant une dernière touche de carmin sur ses lèvres. Un danseur, ça a besoin d’une muse aussi, non ?
Dans un dernier soupir, Joséphine partit à la recherche de cette grand-mère. Elle patientait dans le hall d’entrée, sa fourrure sur les épaules, sa cigarette à la main. Deux choses que Joséphine avait en horreur.
Devant l’immeuble, la luxueuse berline attendait sagement. Si monsieur Madani n’était pas, à proprement parler, le chauffeur d’Eliane, cette dernière l’avait aidé à monter son affaire alors qu’il n’était encore que chauffeur de taxi surexploité dans une grande compagnie. Depuis, l’homme estimait avoir une dette inestimable envers Eliane et se rendait toujours disponible pour la conduire dès que l’occasion se présentait.
— Monsieur Madani, le salua-t-elle tandis qu’il lui tenait la portière ouverte.
— Madame Eliane, inclina-t-il légèrement la tête.
— Comment va votre fille ? se renseigna Eliane une fois qu’il fut au volant.
— Fort bien, merci, même si elle se réjouissait de rencontrer votre petit-fils…
Jules ? Que venait faire Jules dans une conversation entre Eliane et son chauffeur.
— La situation a changé, l’interrompit Eliane en adressant un sourire au rétroviseur. Mais j’ai deux autres petits-fils, vous savez.
Deux ? Comment ça ? Oh mon Dieu, est-ce que le premier d’entre eux était Dorian ?
— Attends, est-ce que tu… commença Joséphine avant qu’une paume flétrie ne se dépose contre sa bouche pour la contraindre au silence.
— Chut ! intima Eliane. On est bientôt arrivé.
Non, ils ne l’étaient pas, mais la diversion opéra sur Joséphine qui reporta attention et regard par-delà la fenêtre de voiture. Ils avaient traversé le fleuve et depuis la rive gauche s’approchait de Notre Dame. Où pouvaient-ils bien se rendre ? Eliane ne l’avait pas précisé. Au vue de leur tenue, il s’agissait d’un endroit luxueux. Un musée ? Un hôtel particulier peut-être ? L’Odéon ? Non, la voiture venait de le dépasser. Musée d’Orsay, alors ? Non plus, Joséphine l’observa s’éloigner. Que restait-il alors ? L’Assemblée nationale ? Pas le genre d’une levée de fonds, au contraire. Les Invalides peut-être ? Non plus, la berline tourna avant de les atteindre et traversa la Seine dans l’autre sens. Depuis la Concorde, Joséphine comprit que leur destination se trouvait rive droite, finalement. Et en traversant la place de la Madeleine, son rythme cardiaque s’accéléra brutalement. Cette voiture était-elle lancée à pleine vitesse en direction de…?
— Eliane, gronda Joséphine en étirant la dernière syllabe.
Mais celle-ci ne répondit pas, feignant une surdité soudaine tout en pianotant sur son téléphone portable.
— Eliane ! répéta Joséphine d’un timbre d’où filtrait la panique désormais.
Une panique qui s’empara définitivement d’elle lorsque la berline s’immobilisa aux pieds du Palais Garnier. Sur son parvis s’entassaient quelques groupuscules endimanchés. Le regard de Joséphine n’eut aucune difficulté à se poser sur celui où se trouvait Dorian, une coupe à la main, probablement dans l’attente d’Eliane. Mais ce fut la portière de Joséphine que monsieur Madani décida d’ouvrir en premier. Une Joe qu’Eliane poussa de toutes ses maigres forces pour la contraindre à sortir de cet habitacle qui lui semblait très attractif désormais.
Et le sourire lointain de Dorian s’effaça au profit d’une quinte de toux qu’elle vit mais n’entendit pas.
8 commentaires
WildFlower
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Il y a un an
Marion_B
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Il y a un an
Gottesmann Pascal
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Il y a un an