Ophélie Jaëger L'albatros 28. Coulisses (3/3).

28. Coulisses (3/3).

Il n'était désormais plus que son seul horizon, son seul univers. Son début et sa fin, sa naissance et sa mort. C'était ridiculement violent, c'était d'une improbabilité consternante. Elle allait probablement y laisser des plumes, mais elle s'en moquait. Elle prenait vie sous ses mains. Ses paumes réveillaient chaque parcelle de peau sacrifiée à la cause.


Un gémissement se fit entendre. Un gémissement qui la surprit avant qu'elle ne prenne conscience qu'il émanait d'elle. Un bruit bas, sourd. L'expression de son attente. Cette attente dont elle ne réalisait l’intensité que désormais qu'il officiait contre elle. Depuis combien de temps l'attendait-elle au juste ? Elle n'était pas en état d'y réfléchir, pas alors que les mains masculines se faisaient plus audacieuses, et ses lèvres toujours plus affamées. Certes, elle avait parfaitement conscience d'où cela allait les mener, mais qu’importait. Ils auraient pu se trouver sur la scène de Garnier avec l'intégralité de la salle pour témoin, elle n'aurait su réfréner ses ardeurs.


Il fallait qu'elle se sustente. Et loin d'étancher sa soif de lui, il ne faisait que l'accroître. Le souffle lui manquait. Son rythme cardiaque n'était plus qu'une vaste plaisanterie, et elle ne savait plus si son esprit était en surchauffe ou bien si l'encéphalogramme s'avérait totalement plat. Mais lorsqu’il écarta ses lèvres des siennes, ce fut l’électrochoc.


— Attends, venait-il de murmurer.


Il avait beau revenir picorer sa bouche, il s’échappait, elle le sentait. Ses ongles tentèrent de s’accrocher à une nuque qui ne cherchait que la fuite, et dérapèrent contre un épiderme frissonnant. Et lorsqu'il s'arracha à ses lèvres au bout de plusieurs tentatives infructueuses, le cœur de Joséphine sombra dans les tréfonds.


— Joséphine… parvint-il à expirer à bout de souffle, son front venant mourir contre le sien.


Il avait cette manière de prononcer son prénom, même avec le souffle coupé. Avec déférence, avec élégance. En entier. Toujours en entier. Pas à moitié. Il ne faisait rien à moitié. Qu’il l’appelle, qu’il l'interrompt, qu’il s’énerve, ou qu’il l’implore comme en cet instant, ses Joséphine se teintaient d’intimité. Et son front contre le sien, il ne la repoussait pas. Il ne la rejetait pas. Il… Il faisait quoi au juste ? Les membres fébriles, le cœur à l’agonie, l’esprit en jachère, Joséphine voulait reprendre son souffle contre sa bouche, elle voulait encore de ses doigts piétinant contre ses reins, elle voulait tout ce qu’il venait de lui octroyer avant de l’en priver. Mais les mains masculines avaient quitté sa peau pour mieux encadrer son visage. Dorian prenait appui contre le mur.


De lui, elle ne voyait plus que ses lèvres au souffle altéré, et sa gorge invitant au baiser. Une déviation soudaine qu’elle chercha à emprunter. Une voie sans issue contre laquelle échoua le bout de sa langue en premier, puis ses dents, puis sa bouche tout entière.


En un frisson qu’elle sentit progresser contre son échine, Dorian accusa un sursaut.


— Joséphine… l’implora-t-il à nouveau de ce timbre qu’elle savourait d’un sourire.

— Dorian ? interrogeait-elle par pure provocation.

— Maxence, tonna une voix à quelques centimètres d’eux.


La bulle éclata en un PLOP tonitruant. Les deux corps s’éloignèrent en un même soubresaut terrifié, et les deux regards convergèrent simultanément en direction de cette intrusion. L’agent affichait son sourire rayonnant à une si faible distance qu’il transformait leur duo en trio.


— J'interromps quelque chose ? demanda-t-il comme si la réponse n’était pas évidente.


Qu’il pouvait être agaçant avec son sourire en coin, comme s’il avait tout prévu, tout manigancé, et que ce qu’il venait de surprendre n’était que la résultante des ficelles qu’il avait si habilement étirées. Il n’en était rien, Joséphine s’était juste laissée emporter. Juste. Ok, peut-être pas juste. Il n’était pas question du dernier yaourt qu’elle aurait sacrifié à sa gourmandise malgré le prénom “Céline” griffonné au marqueur sur le plastique. Ce à quoi Joséphine venait de succomber aurait des conséquences un peu plus importantes que de se laisser happer par un dernier chapitre et ne reposer le livre terminé qu’au petit matin.


— Oui, je vois bien que j’interromps quelque chose, poursuivait-il fièrement face au silence des deux autres.

— Non, tenta tout de même Joséphine.

— Bah si, insistait-il en désignant d’un geste de main les deux corps encore un peu trop proches. Y a clairement rapprochement.


Alors, ils s’éloignèrent encore d’un pas.


— C’est peut-être parce que je viens de découvrir qu’on est quasi cousins germain ? crachota-t-elle en tentant de remettre ses vêtements en place.


Son chemisier, son manteau, même ses cheveux, plus rien n’allait dans sa mise. Joséphine semblait avoir été avalée, machouillée, digérée puis recrachée par la baleine.


— Des cousins du Nord, alors, rétorqua Maxence toujours aussi satisfait de sa présence en ces lieux.

— Tu veux quoi ? l’interrompit Dorian en faisant enfin entendre sa voix contrariée.

— Je venais te féliciter pour cette carte blanche de haute volée, mais… Je peux repasser plus tard ?


Il y avait assisté ? Evidemment qu’il y avait assisté ! Qu’avait-elle imaginé ? Qu’elle serait la seule invitée ? Et soudain la raison lui éclaboussa le visage. Joséphine prit conscience de l’endroit où ils se trouvaient, cette zone à l’orée de la coulisse ou quelques techniciens s’affairaient encore. S’étaient-ils donné en spectacle ? Pendant combien de temps ? Et à quel point ? Le rouge monta aux joues de la jeune femme qui laissa échapper un juron. La prise de conscience était brutale malgré le voile de désir encore trop présent contre ses pupilles. C’était pour ça que Dorian avait cherché à les interrompre ? Oh bordel...


La gêne, la honte se mêlèrent à la valse des émotions. La frustration levait le doigt pour parler, mais Joséphine la fit taire. Il fallait qu’elle s’exfiltre, qu’elle quitte cet endroit, ce huis clos dans lequel deux hommes s’affrontaient du regard. C’était sa faute à elle, n’est-ce pas ?


— Je vais vous laisser, hasarda-t-elle sans croiser le regard d’aucun.


Parce que c’était la seule solution. Parce que c’était ce qu’il semblait de bon ton de faire. Et puis elle avait besoin de réfléchir aussi. A ce qu’elle venait de faire. A ce qu’elle ressentait exactement. Des émotions violentes et brutales qui l'assiégeaient sans jamais donner leur nom.


Une main chercha la sienne, mais les doigts féminins s’échappèrent. Pas maintenant. Plus tard. Peut-être. Mais pas maintenant.


— Je t’appelle, affirma-t-elle sans regarder personne.


Le tutoiement suffirait à identifier le destinataire. Un destinataire qui l’appela dans son dos. Joséphine crut même l’entendre jurer. Mais le palpitant épileptique, elle fuyait comme la trouillarde qu’elle était.


Trouillarde.


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27 commentaires

Gottesmann Pascal

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Il y a un an

Pauvre Joséphine troublée. Envie d'étrangler Maxence.
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