Ophélie Jaëger L'albatros 27. Velours (3/3).

27. Velours (3/3).

Le levé de rideau fit taire ses pensées. Sur scène, nulle trace de Dorian. Un trio lançait les hostilités dans un décor toujours aussi dépouillé et sombre. Une danseuse enchaînait des mouvements saccadés sur un Beethoven modernisé. L’étrangeté de la danse happa l’attention de Joséphine, la captiva au point qu’elle ne parvenait plus à détacher son regard de cet enchaînement d’arabesques. Quatre couples se partageaient les planches en des corps à corps qui frôlaient la brutalité. Le fond de scène n’était plus qu’un écran noir contre lequel on projetait un fauve. Dogs. La musique grimpa en intensité, les corps redoublèrent de fougue et de bestialité, et soudain… plus rien. Les danseurs immobiles accueillirent en silence un dernier corps.


Comme les autres, Dorian ne portait rien de plus qu’un pantalon de toile. Large, fluide, de mauvaise facture. L’unique projecteur se braqua sur lui, la musique reprit, et on le poussa au centre de la scène avant de l’y abandonner. Dans un cri sans bruit, ses doigts accrochèrent sa peau, avant qu’il ne s’élance sans la moindre transition dans le solo final d’un corps désarticulé. La beauté de la chorégraphie n’avait d’égale que la vulnérabilité avec laquelle il l’habitait. Chacun de ses membres au service de l'œuvre, il interprétait toutes les failles, tous les doutes, toutes les angoisses qui avaient un jour traversé chacun des êtres de cette salle. Lui qui disait ne pas supporter être à nu, avait-il conscience de l’exposition de ses entrailles en cet instant ?


C’était beau. C’était terrifiant. C’était bouleversant. Et sur les joues féminines, les larmes roulaient sans qu’elle ne cherche à les retenir.


Les saluts ne permirent pas de les tarir. Le baisser de rideau non plus. Aussi, lorsque les lumières se rallumèrent, Joe chercha à cacher son visage ravagé derrière ses doigts. Ce ne fut qu’en percevant le reniflement sur sa droite, qu’elle hasarda un œil aux cils noyés en direction de son amie. Le nez rouge, le mascara dévalant ses joues, Natasha ressemblait à une poupée cassée. Dans un éclat de rire, elles se moquèrent l’une de l’autre, avant de se tourner de concert en direction de Basile.


— Laissez-moi tranquille, maugréa-t-il en chassant une poussière dans son œil.


L’hilarité de Natasha redoubla, l’apaisement chez Joséphine aussi. Ce n’était pas qu’elle. Ce n’était pas le passif entre eux qui agissait de la sorte. Pas que. Elle chassa les larmes, mais ne sut rien faire contre le gouffre béant, fenêtre ouverte sur ses entrailles. Joe ceintura son manteau dessus et emboîta le pas de ses amis. En pilote automatique, elle suivait le mouvement, mais dans sa tête, Dorian dansait encore.


A la lueur des réverbères, la complicité de Basile et Tasha rayonnait du même éclat. Ils évoquaient la soirée, refaisaient le film, échangeaient leurs impressions. Joséphine n’entendait plus. Dans sa gorge, ses entrailles à nues remontaient. Le message du chorégraphe lui apparaissait de plus en plus clair. La vie, puis la mort. Le ridicule de son évanescence. La rapidité avec laquelle les dieux tombent. L’éphémère. Une courte ligne droite entre le premier cri et le dernier souffle. Et au centre, tel un funambule inconscient, Dorian luttant contre des moulins à vent. Chacun de ses mouvements avait été une lutte pour échapper à sa condition. Une vaine lutte qui faisait écho à la sienne, à celle de Joe.


Alors, elle interrompit les éclats de rire devant elle.


— Je vous rejoins à la résidence, j’ai un truc à faire avant, avait-elle dit avant de tourner les talons.


D’abord à pas lents et maîtrisés, puis de plus en plus rapidement, au point de se mettre à courir en contournant l’immensité du bâtiment impérial.


La fragilité, la vulnérabilité et ce trou béant au travers duquel son cœur cherchait à s’extirper, rythmaient sa course effrénée.


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24 commentaires

WildFlower

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Il y a un an

Dorian doit quand même avoir une sacrée prestance pour toucher à ce point ! Encore une fois, super bien écrit, je l'ai vu danser et c'était magnifique 💖

Ophélie Jaëger

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Il y a un an

J'avais peur d'être dans le "trop" sur ce passage, genre trop descriptif et tout. J'avais peur d'assommer les lecteurs avec trop de détails chorégraphiques. Ton commentaire me rassure sur ce point <3

gabrielle_imamiah

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Il y a un an

🍀

Laryna

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Il y a un an

💜 à jour

Gottesmann Pascal

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Il y a un an

Dorian a vraiment secoué tout le monde. C'est ça le talent.

Anaïa Auteure

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Il y a un an

À jour ✨️

Jenn Bl Writes

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Il y a un an

💕

Laure-Thonon

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Il y a un an

😊

Aime Kha

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Il y a un an

À jour 🥰

Diane Of Seas

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Il y a un an

💚
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