Fyctia
27. Velours (1/3).
Natasha était sublime. Ses cheveux noués en un savant coiffé décoiffé découvrait une nuque qu’elle délestait de sa lourde et soyeuse écharpe. Sous son manteau, Joséphine devinait la robe vert sombre qui flattait sa silhouette et rehaussait son roux flamboyant. La Russe était de sortie et ne faisait pas les choses à moitié. Elle avait tenu à s’occuper de Joe également, mais cette dernière n’avait que peu cédé sur son confort. Sous les dorures du Palais Garnier ou non, Joséphine demeurait à plat. Si elle avait troqué ses converses, ce ne fut que pour des derbies. Son vieux Levi’s trop large contre un moins vieux, moins large et d’un noir soutenu. Et son confortable pull contre un chemisier entrouvert. Même son séculaire blouson était demeuré à la maison. Un trench ceinturé en laine s'établissait sur ses épaules à la place. Elle avait fait un effort, mais Natasha avait tout de même laissé échapper un soupir de frustration.
Basile n’avait besoin de rien de plus pour impressionner de sa stature et son aura, mais relooké par la rousse, il attirait tous les regards du grand escalier. Il venait de tendre son bras à Natasha, et Joe cru entendre le cœur de toutes les autres femmes soupirer. Perchée sur ses talons aiguilles, Tasha ne se fit pas prier pour saisir cette béquille et remonter en majesté l’immense escalier de marbre. Joséphine suivait derrière, se faisant l’effet du rejeton raté de ce couple hollywoodien. Les trois places dans une main, son portable dans l’autre, elle consulta l’écran de conversation pour la millième fois depuis le coucher du soleil. Devait-elle envoyer quelque chose ? Comment souhaitait-on bonne chance en langage danseur ? Avait-il seulement besoin de chance ? Non.
— Encore en train d’hésiter ? nota la rousse en dardant un œil en sa direction.
Joséphine y avait passé sa journée, comme celle de la veille. Si elle avait espéré se montrer discrète dans sa valse-hésitation, Natasha lui démontrait le contraire.
— Il te fait vraiment de l’effet, poursuivait son amie dans un murmure discret.
Et Joséphine ne pouvait le nier. Sa peau souffrait du manque depuis les sillons créés par ses soins. Son corps s’insurgeait de ne plus le toucher, le sentir, de cette occasion ratée. Une occasion qu’elle n’avait pas forcée, qu’elle n’avait même pas envisagée, mais qui avait été entamée. Juste assez pour lui laisser un goût d’inachevé sur la langue et contre sa pommette. Foutue pommette qu’il avait visé lorsque c’était partout ailleurs qu’il aurait pu s’échouer. Elle ne comprenait toujours pas ce qu’il s’était passé. Elle avait beau se rejouer encore et encore la scène, elle n’y gagnait pas le moindre début d’explication. Quelques bouffées de chaleur tout au plus.
La loge ouverte, l’ouvreuse leur désigna le premier rang avant de refermer la porte et dissiper la clameur des pourtours grouillant de ce monde endimanché. Joséphine s’installa contre la cloison, y appuya sa tempe fatiguée et consulta le programme d’un œil paresseux. Petite mort, chorégraphie Jiří Kylián, musique de Mozart, puis Gods & Dogs du même chorégraphe sur une adaptation de Beethoven. A l’affiche, des noms de danseurs et danseuses inconnus. Puis le sien. C’était sa carte blanche, sa soirée, celle qu’il avait conçue dans son intégralité.
— Petite mort, lisait Natasha, c’est pas très joyeux.
— C’est une expression, ça veut dire l’orgasme, la renseigna Basile.
— Oh, réagit-elle avec amusement. Et Gods and Dogs, c’est aussi une expression française pour évoquer le BDSM ? Fallait me dire que c’était une soirée à thème, je me serais habillée en conséquence.
Si le but était de dérider Joséphine, Natasha échoua et se laissa aller à un soupir sonore. C’était sa première véritable soirée sans bébé. Oona avait été confiée à quelques personnes de confiance à la Résidence sous la supervision de Céline. Et Joséphine s’en voulait d’entacher cette première nuit de liberté de son humeur en demi-teintes.
La salle était comble, sous le Chagall le parterre fourmillait. Une soirée de danse au Palais Garnier. Dans la loge de gauche, on s’entretenait en anglais. Dans la loge de droite, probablement en japonais. Et dans la leur, plus personne ne parlait.
Sur son écran, Joséphine tapa “je suis là”, puis l’effaça. C’était idiot et présomptueux. Il avait autre chose à penser que de s’inquiéter de sa présence ou non. Et si elle envoyait un simple smiley ? C’était pas mal, ça. Simple, détendu, détaché. Oui, d’accord, mais lequel envoyer ? Un sourire ? Trop niais. Le sourire en coin ? Cringe. Le smiley tête à l’envers ? Mais ça n’avait aucun sens, bordel ! Pourquoi pas l’aubergine et la pêche aussi ? Elle pourrait toujours prétendre, comme Eliane, qu’elle se souciait de sa bonne alimentation. Du pouce, elle faisait défiler la liste des émoticônes sans jeter son dévolu sur aucun. Il n’y en avait aucun en rapport avec la danse ? Bon sang, il existait un cafard, et même un mammouth, mais rien qui puisse vouloir dire “je suis là, je pense à toi, je sais pas ce qu’il en est de ton côté mais s’il te plaît, pense à moi aussi” ? C’était trop demander ? A court d’option, elle tapa “danse” dans la barre de recherche. Sur un malentendu…
— Tu lui envoies quoi ? chercha à se renseigner Natasha.
Prise sur le vif, Joséphine accusa un sursaut de panique et plaqua l’écran contre sa poitrine. Pourquoi ? Instinct de survie inexpliqué puisqu’elle n’avait pas grand chose à cacher. Au contraire, Natasha pourrait peut-être même l’aider. Joe s’apprêtait à montrer l’écran à son amie lorsqu’elle le vit affiché, là, en énorme au milieu de l’écran. Juste au-dessus de la toute petite ligne annonçant “distribué”.
— La danseuse de flamenco ? remarqua Tasha. C’est encore un truc typiquement français qu’on s’envoie pour dire tout autre chose ?
— Tue-moi, soupira Joe.
Trois petits points clignotèrent sur son écran, et Joséphine se retrouva en apnée. Il allait répondre ? Il allait la tirer de ce marasme d’humiliation ? Non. Les points cessèrent leur danse hypnotique, et dans la salle le noir se fit.
— Ça commence ! Tasha annonça l’évidence.
Sur son siège de velours rouge, elle sautillait d’excitation comme une enfant. Joséphine avait quitté la cloison et se penchait en avant, les coudes contre le rebord de la loge, fouillant l’obscurité à la recherche d’un seul être. Elle ne savait à quoi s’attendre. La danse classique n’était aux yeux de Joe qu’une succession de clichés éculés. Des tutus, des pointes, des costumes ridicules dans des décors tape-à-l'œil. Une musique trop souvent entendue dans des pub télé, et des mouvements, des expressions qui feraient passer David Bautista pour un bon acteur. Dorian avait beau lui avoir expliqué que le programme de ce soir était moderne, elle avait peur d’être déçue. Pas de lui, mais de ce à quoi il avait décidé de consacrer sa vie.
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WildFlower
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Il y a un an
gabrielle_imamiah
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Il y a un an
Anaïa Auteure
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Mayana Mayana
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Il y a un an