Ophélie Jaëger L'albatros 26. Mansarde (1/4).

26. Mansarde (1/4).

Dorian


La chambre semblait bien plus petite que dans son souvenir. Les murs jadis blanc s’ornaient désormais de la même nuance que les sous-bois, à l’exception de la tête de lit. Si le blanc demeurait, il avait été orné des branchages d’un arbre encré à la main. Était-elle l’autrice de cette fresque ? La grande fenêtre qui s’enfonçait dans la profondeur du toit n’offrait pas la moindre luminosité. Le ciel lourd et gris ne faisait que teinter le parquet d’un peu de morosité, comme si ce cocon qu’elle avait créé ici s’avérait être le dernier rempart avant la fin du Monde.


Un cocon trop étroit pour ce grand corps qui était sien. Il ne savait plus où se ranger, où se poser pour ne surtout pas déranger, surtout pas s’imposer. Dorian évitait soigneusement le lit, trop intime, trop tentant, sur lequel elle avait pourtant jeté son dévolu. Et il errait dans ces neuf mètres carrés mansardés. Les étagères attrapèrent son attention. L’espace sous plafond y était le plus confortable pour son mètre quatre-vingt-sept, tout comme pour cette impressionnante bibliothèque. Chaque centimètre y était colonisé de livres. Les planches ployaient sous leur poids, les plantes grimpantes y voyaient un terrain de jeu.


— Tu classes tes livres par couleur ? s’étonna-t-il.

— Pourquoi, tu les classes comment, toi ? répondit-elle sans un regard.


Installée sur le matelas, Joséphine n’avait d’yeux que pour son ordinateur qui reposait sur ses jambes en tailleur. Elle martyrisait son clavier en une séquence hypnotique de cliquetis apaisants. Peut-être ne l’étaient-ils pas, mais dans le cerveau masculin, cette symphonie dissonante accompagnait une quiétude dont il n’avait pas l’habitude.


— Je ne les classe pas, réalisa-t-il en retournant à son inspection.


Chez lui, les livres achevés atterrissaient sur l’étagère de manière aléatoire. A l’exception de ses préférés, ceux qu’il relisait continuellement, et qu’il rendait plus accessibles que les autres. Plus visibles. Et elle ? D’un index aventureux, il chercha, caressa la tranche des livres, nota celles plus malmenées que les autres. Il y avait de tout. Des classiques, du théâtre, de la fantasy, des collections entières de fantasy, de la fiction historique, un peu de romance, des thrillers, des biographies aussi. Chaplin, Marilyn, Napoléon, la Pompadour, Charles Manson… Charles Manson ? Devait-il s’inquiéter ?


— Elles sont où tes autobiographies ? voulut-il savoir.

— Etagère du bas, répondit sa voix dans un nuage de cliquetis.


Il se plia en quatre pour atteindre les limbes de la bibliothèque. Oubliés de tous même de leur propriétaire, les ouvrages s’alignaient docilement dans une succession de noms qui n’étaient jamais le sien. Il y en avait eu tant que ça ? Et aucun d’eux ne méritait les étages supérieurs ?


— La mienne aussi va finir là ? demanda-t-il sans parvenir à mettre le doigt sur ce qui le dérangeait tant.

— Probable.

— Pourquoi ?


Sur sa langue, un goût étrange, amer et dérangeant. Dans sa voix, la contrariété transparaissait sans qu’il ne parvienne à l’expliquer. Joséphine releva le nez vers lui. Ses traits illuminés par l’écran l’auréolaient d’une allure spectrale. Un fantôme inquisiteur qui dardait son regard sur lui et lui transperçait l’âme. Il allait falloir qu’elle arrête de faire ça. C’était très déstabilisant.


— En début de carrière, tu as bien dû être amené à faire des choix plus discutables que d’autres, non ? interrogea-t-elle en baissant légèrement l’écran de l’ordinateur.

— Une fois, j’ai été un arbre, réfléchit-il. Ce n’était pas un choix personnel, mais au tout début, les rôles sont limités.

— Bah voilà, dis-toi que ces biographies sont mon arbre. Pas quelque chose dont je compte me vanter un jour.


L’écran s’escamota de nouveau, et Joséphine disparut derrière en même temps que la suite de cette conversation qu’il aurait souhaité. Point final, il n’y aurait pas débat. Pourtant, pour l’avoir lu, Dorian estimait qu’elle aurait eu toutes les raisons du monde de se vanter. Au-delà de la qualité du texte et de sa capacité à rendre intéressant le moindre petit événement de vie sans éclat, Joséphine adaptait sa plume au ton de la personne qu’elle croquait. Lorsqu’il avait découvert les pages relatant la vie sans intérêt de Pénélope, il avait eu le sentiment d’entendre Pénélope.


— Bon, reprit-elle si vivement qu’il en sursauta. J’ai un premier jet sur le chapitre concernant ta nomination. J’ai fait avec ce que tu m’as donné, donc pas grand chose…


Reproche légitime qu’il entendait. S’il avait accepté de faire un effort, la mise en pratique s’avérait bien plus difficile que prévue. Il n’avait jamais parlé, ne s’était jamais confié, et soudain une Joséphine sauvage apparaissait, et il devait lui relater sa vie, ses doutes, ses failles, ses échecs, ses réussites ? Aussi avait-il décidé de débuter doucement par sa réussite la plus importante : son étoile. Ca n’allait pas dans l’ordre chronologique des évènements, Joséphine n’avait que peu apprécié, mais il fallait bien commencer quelque part.


— Je suis partie sur un prologue, poursuivait-elle en se redressant son ordinateur à la main. Je me dis que ça peut être une façon originale de débuter. Par la fin. Parce que, bon, y a pas trop de suspens, les lecteurs sauront que t’es une étoile en achetant le bouquin, je suppose.


Dorian l’observait quitter le matelas avec l’aisance de celle qui a l’habitude. D’un signe de main, elle lui indiqua le lit qu’elle venait de libérer, et il ne comprit pas immédiatement. Le fil de l’ordinateur ne laissait pas vraiment d’autre option de lecture, mais… Il n’y avait pas d’autres possibilités ? Il avait détesté cette idée dès le départ. Joséphine aussi. Mais ils avaient tenté les cafés, l’Opéra, et même un parc, rien ne convenait. Les cafés étaient trop bondés rendant la concentration impossible pour Joséphine. L’Opéra trop fréquenté, la discrétion passait à la trappe. Quant au parc, Dorian avait sonné le tocsin en voyant les lèvres de l’autrice passer du rose soutenu au bleu violacé.


Joséphine avait envisagé l’appartement de Dorian, son refus avait été catégorique. Dorian avait proposé l’appartement d’Eliane, Joséphine avait manqué lui énucléer l'œil à la cuillère. Ne restait que la Résidence. Plus précisément, la chambre de la jeune femme au sein de la Résidence. Bien sûr, son arrivée puis la traversée du long couloir jusqu’à la petite pièce mansardée s’étaient faites sous l’inquisition de trop nombreuses paires d’yeux. Evidemment, depuis, le couloir bruissait de murmures derrière la porte close. Mais Joséphine semblait y être insensible, comme habituée aux indiscrétions de cette vie en communauté. Dorian ne s’y était jamais fait. Il avait quitté la Résidence dès que son salaire lui avait permis de s’assumer seul.


Le hasard voulait que c’était son ancienne chambre que Joséphine occupait à présent.


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26 commentaires

WildFlower

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Il y a un an

Eh beh ils sont pas rendus ^^

Gottesmann Pascal

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Il y a un an

J'aime bien voir Dorian et Joséphine au travail. Au moins, ils vont pouvoir agir main dans la main maintenant. Ça rapproche d'avoir partagé la même chambre.

CoralieHossen

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Il y a un an

like d'entraide

Emeline Guezel

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Il y a un an

Soutien de like 🥰

Laure-Thonon

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Il y a un an

😊

Mayana Mayana

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Il y a un an

Soutien 💕 pour

Marion_B

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Il y a un an

J'avais une mansarde pour tout logement...avec des lézardes vers le firmament. Josèphine aurait pu faire payer à Dorian un baiser la courses pour l'amener faire tour sur la grande Ourse!!!"fan de brassens bonsoir". J'aime bcp leur rapprochement plein de respect et d'admiration mutuelle. Bon allez Dorian pose toi sur le Lit!

Jenn Bl Writes

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Il y a un an

💕

Laryna

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Il y a un an

🫶

Livre_e

-

Il y a un an

🙃
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