Fyctia
25. Agence (1/3).
L’Agence en question était idéalement située. Hypercentre de Paris, vue sur le Louvre, la Seine et la circulation désastreuse de cette artère surinvestie par des voitures, des vélos, des bus, et même des touristes en quad. Décembre se répandait dans les arbres, les luminaires, et les vitrines. Tout dans Paris invitait à se laisser ensevelir dans l’esprit des fêtes. Chaleur, partage, générosité… et coups de klaxons d’un taxi embourbé dans les embouteillages.
Au quatrième étage de ce qui avait dû être, jadis, un immeuble cossu résidentiel, mais qui n’abritait plus que des bureaux, l’ascenseur s’ouvrait sur des lettres dorées fièrement accrochées au mur d’en face. Agence TMN. Sur la gauche, une standardiste cernée de plantes en pots inspectait sa manucure sous un néon blafard. Joséphine s’annonça et l'hôtesse, sans lui jeter le moindre regard, la gratifia d’un “au fond à droite” en pointant ledit fond à droite de son ongle trop long et trop fushia.
Le fond à droite, c’était vague. Les bureaux succédaient aux salles de réunion qui succédaient aux open spaces qui succédaient… Heureusement, dans un souci de coller le plus possible au modèle américain, les portes des bureaux étaient vitrées. Le sourire de Maxence ne tarda pas à exploser aux yeux de Joséphine qui regretta instantanément de ne pas avoir embarqué la pelle de Céline. A la lumière de ses nouvelles connaissances, ce sourire avait tout de l’ultime insulte lancée au supplicié sur l'échafaud. “Allumez le feu” en fond sonore de Jeanne au bûcher.
Ce fut donc sans le sien, de sourire, que Joséphine poussa la porte de verre et s’avança. L’homme accusa une légère expression de surprise. Un rictus et un bref mouvement de recul qui s’évaporèrent tout aussitôt. Bien vite, il se recomposa son attitude provocatrice. Trop tard, Joe avait perçu la faille, cette ondulation fugitive sur le fil de son arrogance.
— Vous comptiez me le dire quand ? attaque-t-elle direct sans préambule.
La politesse n’était pas le fort de Maxence, de toute façon.
— Je pensais que vous saviez, rétorqua-t-il en une agaçante petite moue.
Faux ! Joséphine n’était pas dupe de son excuse tout aussi bidon que son sourire.
— Alors, on va établir les bases de cet entretien tout de suite, annonça-t-elle toujours debout à quelques centimètres du fauteuil qu’il lui désignait. Au prochain mensonge, je me barre, je romps le contrat, et je demande à Eliane de pourrir votre réputation jusqu’à New York.
— Madame Orsini ne ferait jamais ça, ricana-t-il très sûr de lui.
— A votre avis, qui préfèrera-t-elle fâcher ? Un agent parisien parmi tant d’autres, ou bien son unique petite fille ?
La détermination de la jeune femme devait être évidente puisque Maxence, après un instant de silence, rendit les armes. Les deux mains en l’air, il obtempérait pour la première fois. Et d’un coup, il avait l’air tellement moins impressionnant.
— D’accord, d’accord, je m’excuse pour ce mensonge par omission. J’imaginais qu’il serait plus flatteur pour vous d’ignorer que votre nom de famille avait joué dans ma décision. Et ça, c’est la vérité.
Une vérité qu’elle pouvait entendre et comprendre, sauf que…
— Le principe même d’une plume de l’ombre, c’est son absence d’ego. Si je voulais être reconnue pour mon talent, je publierai sous mon nom propre. Et comment avez-vous su qui j’étais, d’ailleurs ? J’ai signé un contrat de confidentialité.
D’un geste de main, il renouvela son invitation à s'asseoir, et cette fois, Joséphine accepta. Deux fauteuils faisaient face au grand bureau ultra moderne. Maxence lui indiquait celui le plus éloigné de la porte. Et bien que ce détail interpellait Joe, elle se résigna à suivre les directives de l’agent toqué.
— Pénélope a signé dans notre agence. Je ne la représente pas, mais mon collègue m’a fait parvenir votre livre. J’ai d’abord été séduit par la plume. Vous avez réussi à rendre cette fille intéressante. Prouesse ! Puis quand j’ai appris l’identité de l’autrice, j’ai su que je tenais peut-être le moyen de lui faire enfin accepter cette bio.
Lui ? Dorian ? Sans nul doute. L’emploi du “enfin” intriguait bien plus Joséphine.
— Il y en a eu d’autres avant moi, comprit-elle.
— Jalouse ?
Et ce sourire à la con qui revenait coloniser le coin des lèvres de Maxence. Joe soupira. Joe grimaça. Joe hésita à lui répondre par un majeur brandit. Elle se retint. Pour l’instant.
— Combien ? voulut-elle savoir.
— Six.
Elle avait posé la question, mais ne s’était absolument pas préparée à cette réponse. Dorian avait épuisé six auteurs avant elle ? Qui ? Comment ? Quand ? Combien de temps ?
— Jamais personne n’a tenu aussi longtemps que vous, cela dit, répondit Maxence à cette dernière question qu’elle n’avait formulée, mais qui avait dû transpercer ses tripes. Mais en effet, vous serez la septième à rompre le contrat. Parce que c’est ce que vous allez faire, n’est-ce pas ?
Maxence jouait la résignation puis surjouait l’espoir. Ses talents d’acteur étaient si médiocres que Joséphine en lâcha un bref ricanement teinté de dédain. Il espérait quoi avec sa petite comédie ?
— Vous pensez être un fin manipulateur ? interrogea-t-elle. Vous pensez que votre très mauvais jeu d’acteur va éveiller quoi en moins ? De l’empathie ? Pas étonnant que Dorian vous donne du fil à retordre.
— Oh, parce que vous le connaissez si bien après quelques semaines, évidemment, répondit-il, acerbe.
— Non, mais je connais les artistes, leurs failles, leurs insécurités, je vis au quotidien avec une dizaine d’entre eux. Votre contrat, c’est supposé être un contrat de confiance entre vous deux. Et l’honnêteté, c’est pas votre truc, pas vrai ?
Elle s’était levée. Lui aussi. Elle était sereine. Lui ne l’était pas. Les poings serrés, il accusait le coup. Il perdait de sa superbe. Même la fenêtre avec vue dans son dos perdait de son clinquant.
“Vous ne le méritez pas” s’apprêtait-elle à ajouter avant que les mots ne meurent contre ses lèvres au rythme des coups qu’on portait sur le verre de la porte restée ouverte.
— Qu’est-ce que tu me veux ? entama le nouvel arrivant avant que les mots ne lui manquent à son tour.
Dans l’embrasure de la porte, Dorian observait Maxence qui lui-même fixait Joséphine. Cette dernière avait toute son attention reportée sur l’homme à la porte. Un triangle isocèle qui se transforma en ligne droite lorsque Dorian suivit le regard de Maxence pour se planter avec surprise dans celui de Joséphine.
— Putain, laissa échapper cette dernière.
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