Ophélie Jaëger L'albatros 24. Confrontation (3/3).

24. Confrontation (3/3).

— Ok, d’accord, mais ça n’explique pas tes textos, reprit Joséphine en se massant les tempes.

— Qu’ont-ils, mes messages ?

— Les fruits, les légumes… insistait Joe en jouant des sourcils pour ne pas avoir à terminer cet explicatif.

— Eh bien ?


Eliane ne voyait vraiment pas ?


— L’aubergine, la pêche… Les gouttes, bon sang !

— Je m’assure juste que vous ne sautiez pas de repas.

— Et les gouttes ?

— Les grands athlètes doivent s’hydrater, c’est important.

— Non, tu ne me feras pas croire ça.

— Mais enfin, je t’en envoie tout le temps à l’heure des repas.


Quoi ? Non. Impossible. Joséphine fouilla tout de même sa mémoire, remonta le fil des textos échangés et dut admettre que les horaires coïncidaient. Ce n’était donc que cela ? Les petites attentions séniles d’une vieille dame qui n’avait pas les codes ?


— Et la suite nuptiale, hein, tu vas tenter de me faire croire que c’était pour qu’on se repose bien ?


Le sourire d’Eliane s’élargit tant qu’elle sembla rajeunir de vingt ans.


— J’ai tenté, annonça-t-elle en écartant les bras.


Tenté quoi ? Joséphine écarquilla les yeux en réalisant. Eliane avait souhaité un rapprochement ? Ce type de rapprochement ? N’avait-elle pas conscience d’à quel point toute cette situation aurait pu la mettre en danger ?


— Je sais ce que tu vas dire, la coupa Eliane avant même qu’elle ne puisse entrouvrir les lèvres. Mais je connais bien mon garçon, je savais qu’il irait dormir sur le canapé.


Pardon ? S’il l’avait bien proposé, ce n’était pas ainsi que c’était achevé la nuit.


— C’est ce qu’il t’a dit ?

— Oui, après m’avoir disputé. Pourquoi ce n’est pas le cas ?


Oh, ce sourire qu’Eliane affichait en cet instant, le même que Natasha lorsque Céline déboulait à la résidence armée de sept petits mots “Bon, vous êtes pas supposé savoir, mais…”.


— A croire que tu ne le connais pas si bien que ça, ton garçon, rétorqua Joséphine en appuyant volontairement les derniers mots.

— Que s’est-il passé, alors ? voulut savoir Eliane qui avait encore rajeuni de 10 ou 20 ans.

— Comment donc, Eliane ? S’il a souhaité ne rien t’en dire, qui suis-je pour briser le sceau du secret ?


Paume contre son sein, air de sainte en plein martyr, Joséphine en faisait des tonnes, et Eliane n’en finissait plus de se renfrogner.


— Tu devras lui poser la question, acheva Joe dans un sourire triomphant.


Certes, Joséphine ne marquait qu’un seul petit but de la tête après en avoir encaissé cinq ou six, mais à ce stade, toute maigre victoire était bonne à prendre. Aussi, après s’être saisie de cette tasse qu’elle avait trop longtemps laissé refroidir, la jeune femme alla se dégourdir les jambes à travers le salon. Sur la cheminée, les cadres photos s’accumulaient. Des photos de famille sur lesquelles Madeleine trônait à la place d’Eliane, des photos de classe de Joséphine, Jules, Gustave. On pouvait deviner leurs âges au nombre de dents qui manquaient à leur sourire. Des clichés d’instants volés, les vacances en Corse, les fêtes d’anniversaires. Tous ces souvenirs avaient été envoyés par Madeleine à sa sœur aînée. C’était ce qu’Eliane lui avait avoué le jour où Joe était venue ici pour la première fois.


— Pourquoi tu n’as pas de photos de lui ? réalisa-t-elle alors.


Eliane avait élevé cet enfant de ses 13 ans jusqu’à sa majorité, mais seuls ses petits-enfants absents trônaient comme des trophées sur sa cheminée. A cette question, la vieille dame s’extirpa de son œuf et, à pas lents, s’en vint rejoindre sa descendance. Bientôt, ses doigts arthritiques s’emparèrent d’un joli cadre ajouré de décors floraux.


— Là, c’est lui, dit-elle en tendant le cliché d’un enfant inexpressif sur fond typique du photographe scolaire. Et là aussi. Et ici...


A mesure qu’Eliane se déplaçait le long de l’imposant marbre, elle attrapait et tendait cadre après cadre à une Joséphine qui ne savait plus qu’en faire. Des photos d’un enfant, puis d’un adolescent en tenue de danse. Des sourires timides, malhabiles, puis de plus en plus évidents, sincères et spontanés. Sur le dernier cliché, Eliane posait fièrement aux côtés de l’homme. En costume de scène, un énorme bouquet dans une main, il accrochait la frêle taille de la vieille femme de l’autre.


— C’est le soir où il a été nommé étoile. J’avais été autorisée à monter sur scène après le baisser de rideau. J’ai rarement été aussi fière de ma longue vie. Quelques mois plus tard, tu frappais à ma porte. Et ce fut ma deuxième plus grande fierté.


Joséphine buvait les mots de sa grand-mère, suspendue à ses lèvres elle l’écoutait égrener ses souvenirs et confidences.


— Pourquoi je ne les vois que maintenant ? Pourquoi je ne l’ai jamais croisé ces cinq dernières années ? Pourquoi tu ne m’as jamais parlé de lui ? demanda-t-elle tout de même durant un silence.

— Les photos ont toujours été là, mais peut-être étais-tu plus intriguées par les photos de tes frères et toi, bien plus incongrues que celle d’un enfant inconnu chez une grand-mère inconnue ? Quant à Dorian, c’est un homme très occupé, j’imagine que tu t’en es aperçue. Il ne vient plus très souvent par ici. Sauf quand je le convoque parce qu’il s’est montré odieux avec ma petite fille.


Elle évoquait le jour où il avait sonné à la porte de la Résidence ?


— Et pour le reste, soupira-t-elle en perdant son regard quelque peu. Ma chérie, on nous a volé tellement de temps, tellement d’années. On a toute une histoire à écrire, et si peu de temps.


Sur cet aveu, cette dernière confession, l’armure de Joséphine se fendilla légèrement. Un bras s’étira, puis l’autre, et bientôt, cette grand-mère échoua contre son sein. Ou bien était-ce l’inverse ? Cette femme qu’elle était incapable d’appeler “mamie” ou “granny”, cette aïeule pour laquelle elle n’osait presque aucun geste tendre, car peu naturel, et qui contre son cou, reniflait comme une enfant.


— Je suis toujours fâchée, nuança Joe sans desserrer son étreinte pour autant.

— Je sais. Je pensais bien faire.

— En jouant les mères maquerelle de la CIA ?

— Regarde comment t’es fagotée, faut bien que je t’aide un peu.


Elle écarta Joséphine juste assez pour la détailler, de son pyjama hors d’âge à ce sweat zippé beaucoup trop grand qui lui pendait littéralement du corps. Les doigts ancestraux pinçaient le tissu du sweat, puis se firent soudain hésitants entre l’épaule et le sein où une broderie de qualité affichait un monogramme bien connu.


— Mais, attends… commença Eliane.

— Oh, faut que j’y aille, se défila Joséphine.

— Mais attends, répéta Eliane sur un ton différent, emprunt d’urgence.


Joséphine avait quitté ses bras, et cavalait déjà en direction de la sortie. Bordel, à quel moment ce sweat s’était-il retrouvé dans ses affaires ? Dans sa volonté de fuite frénétique, l’avait-elle embarqué par erreur dans son sac ? Et pourquoi était-ce celui-ci qu’elle avait enfilé ce matin ?


— Tu vas faire quoi ? hurlait une Eliane demeurée dans le salon.


Et Joe n’en avait pas la moindre foutue idée.


Tu as aimé ce chapitre ?

27

27 commentaires

WildFlower

-

Il y a un an

Ah, elle a embarqué son sweat XD acte manqué 😏

JulieDauge

-

Il y a un an

+2

Mayana Mayana

-

Il y a un an

Soutien ❤️

Jenn Bl Writes

-

Il y a un an

💕

Lulucide

-

Il y a un an

❤️

Laure-Thonon

-

Il y a un an

Emeline Guezel

-

Il y a un an

Soutien de like 🥰

Marion_B

-

Il y a un an

Trop mimi elle a mis son sweet...pour don odeur pardi ! ;)😉

Gottesmann Pascal

-

Il y a un an

Éliane est de plus en plus humaine et sensible. Je l'aime beaucoup cette vieille dame, vraiment.

Laryna

-

Il y a un an

Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.