Fyctia
23. Céline.
Joséphine passa devant la double porte sur la pointe des pieds, en retenant sa respiration. Elle longea les murs jusqu’à l’escalier de service qui menait droit vers ces chambres de bonnes réorchestrées en Résidence sous la baguette d’une Eliane plutôt efficace. Deux étages plus haut, l’accès qui donnait sur le tout dernier avait été réaménagé en porte. Dans l’angle, au-dessus des noms de la dizaine de résidents, la sonnette que Joe remarquait pour la première fois. Elle aurait dû se douter avant, elle aurait dû comprendre depuis longtemps.
A peine avait-elle gravi la dernière marche qu’une ombre lui attrapa le bras et la projeta contre elle. Enfin contre lui. Jules. Le parfum habituel, les gestes usuels, l’étreinte fraternelle : Joséphine était de retour chez elle.
Ses bras se nouèrent autour de cette autre moitié d’elle, et un menton se posa sur le sommet de son crâne.
— Un mot de toi et je colle son 06 dans les toilettes de tous les rades de routiers de France. Fera moins le malin quand tous les Béberts l'appelleront en s’astiquant la tige.
— Ça ira, renifla-t-elle entre rire et larmes. C’est moi qui ai été idiote, pas lui.
Car à bien y réfléchir, elle avait été la cruche qui avait cru qu’elle aurait à se battre pour ce contrat, lorsque tout était déjà cuit d’avance et le plat dressé sur la belle nappe blanche. Et c’était ce point-là qu’elle ne s’expliquait pas encore. Pourquoi l’avoir malmenée, l’avoir fuie, l’avoir poussée à la retraite anticipée, lorsque les manigances visaient à le lui fourrer dans le bec, ce contrat-là ? Avait-on craint qu’elle n’en veuille pas sans un peu d’adversité ? Un genre de psychologie inversée ? Le salaire aurait pourtant suffit à la convaincre, Joséphine n’était pas trop regardante sur le reste.
— C’est Joe ? Elle est rentrée ?
L’accent de Natasha lui parvint depuis la pièce de vie. L’inquiétude dans sa voix également.
— T’as prévenu Tasha ? reprocha-t-elle en levant un œil assassin en direction de son frère.
— Parce que tu crois que j’ai eu le choix, peut-être ? Elle me terrifie !
D’une main douce mais ferme, il la força à quitter la cachette de ses bras, et l’invita à le précéder dans le vaste salon/cuisine/bureau/salle à manger. Nastaha, sa fille contre sa hanche, fondit son regard sur la maigre silhouette de son amie. Elle étudia, mesura, ausculta, puis décida qu’elle était en colère. Ses traits se modifièrent du tout au tout en une fraction de seconde, et soudain Joséphine ne put que donner raison à son frère.
Sur la table de la cuisine, un marteau en bois à la main, une blonde assommait des taupes en plastique avec férocité.
— T’as prévenu Céline aussi ? paniqua Joe d’une voix éteinte.
— Ah non, elle, elle rentre juste du boulot.
A ce rythme, elle allait défoncer le jouet de la gosse, mais connaissant Céline, il valait mieux la laisser se défouler sur un tape-taupes que de devoir affronter la frustration de plusieurs heures passées à se retenir de tuer ses clients à la boutique.
— Il t’a touché, est-ce qu’il t’a…
— Chut, y a des enfants, Natasha ! l’interrompit Jules en désignant ladite enfant toujours dans les bras de sa terrifiante mère.
— Ça va, elle capte rien, répondit cette dernière en un sourire tendre à l’attention de sa fille. Clairement, elle fera pas de longues études, celle-là. Tu vas jouer avec Céline, lapotchka ?
D’un mouvement de hanches, elle déposa Oona sur le sol qui s’empressa de cavaler de sa démarche malhabile en direction de la tueuse à gage.
— Cet endroit n’est tellement pas adapté pour un bébé ! s’alarma Jules les deux mains sur la tête.
Il n’avait pas tort, et d’ailleurs cela faisait partie des clauses du bail. Mais Eliane faisait une exception pour Natasha. La seule autre option aurait été de jeter dans la rue une mère et son bébé dès son retour de la Maternité.
— Est-ce qu’il a profité de ton état pour… reprenait Natasha.
— Quel état ? demandait Jules.
— Comment tu sais pour mon état ? s’interrogea Joe pour sa part.
Devant les regards stupides de la paire de jumeaux, Natasha lâcha le soupir de désespoir dont seule une mère est capable. Cette simple expiration traduisait tout à la fois, l’agacement, la frustration, la colère aussi.
— Elle était complètement torchée hier soir, répondit-elle à l’attention de Jules avant de se tourner vers sa réplique féminine. Je t’ai appelée, tu as décroché et tu me l’as passé au téléphone. Tu ne te souviens pas ?
Non, et c’était une partie du problème, d’ailleurs. Natasha avait eu Dorian en ligne ?
— Peu importe, éluda Joe en envoyant valser ce sujet d’un mouvement de bras dans les airs. Le plot twist c’est pas Dorian… Enfin un peu, mais pas tant, finalement. Le vrai plot twist, c’est Eliane.
Et Joséphine se mit à table. Au propre comme au figuré. La tête entre les mains elle évoqua la découverte qui remontait à plusieurs heures déjà. La suite nuptiale, le texto, les textos, Emma, le bar. Emma à nouveau, puis le black out. Ils avaient partagé les draps, oui, mais à l’initiative de Joe ? Avec un point d’interrogation, car elle doutait de tout désormais. Elle parla de Gwenaël et de sa révélation concernant Eliane. Puis de sa fuite. Sa fuite sans un mot, sans un cri. Sans un bruit. Et le silence. Le silence entre eux, mais le silence dans cette cuisine aussi. Plus personne ne parlait. Est-ce que quelqu’un respirait ?
Et soudain, le râle d’une chaise qu’on traînait sur le parquet hors d’âge. Trois regards convergèrent simultanément vers Céline qui s’était levée sans un mot.
— J’ai écouté, j’ai entendu. J’vais chercher ma pelle.
Sans la moindre expression sur son visage, comme un foutu Dalek exterminateur, la blonde avait tourné les talons et s’éloignait en direction de sa chambre.
— Putain, elle veut tuer la vieille, chuchota Jules.
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