Fyctia
22. Disney (2/2).
— Tu essayes de me faire passer un message ? l’accusa-t-elle en appuyant sur pause.
— Quoi ? No, je ne fais que regarder un film, répondit-il en appuyant sur play.
♫ Nul homme ne vaut de souffrir autant, c'est de l'histoire ancienne, je jette, j'enchaîne ! ♫
Et… pause.
— Archibald ? menaçait-elle en étirant la dernière syllabe.
— Joséphine ?
Son index provocateur appuya sur play et son sourire s’associa à son air de défi.
♫ Qui crois-tu donc tromper, ton cœur en feu est amoureux. N'essaies pas de cacher, la passion qu'on lit dans tes yeux. ♫
— Stop, tu cherches à me dire quelque chose, alors vas-y, dis-le !
♫ Pourquoi donc le nier, il t'a envoûté, il t'a ensorcelé ! ♫
— Pas du tout, why ? Les paroles te parlent ?
♫ Non, non, jamais je ne le dirai ! Non, non ! ♫
— Absolument pas.
Joséphine se sentait gentiment acculée par cet anglais et ses messages à peine codés. C’était quoi cette technique ? Une nouvelle forme de torture visant à lui faire avouer tout et n’importe quoi ?
— Même pas un peu ? insistait-il toujours armé de ce sourire nucléaire.
♫ Ton cœur soupire, pourquoi mentir ? Oh, oh ! ♫
— T’es quoi, un genre de Jiminy Cricket super agaçant ?
♫ C'est trop banal d'être sentimentale... ♫
— Good piece of wood, too, plagiat-il Cricket en tapotant la tête de Joe.
Son salut, elle le trouva dans cette vibration en provenance de sa poche. Son téléphone. A ce stade, peu importe qu’il s’agisse de Dorian ou du Pape, elle aurait pris l’appel. Tout valait mieux que de risquer d’avoir le meurtre de l'anglais sur les bras. Heureusement, sur son écran, nul Jean-Marc Généreux, mais le prénom Jules surplombant une photo de ce dernier prise sur une plage, l’été dernier.
— Je dois prendre cet appel, comme c’est dommage, tu vas devoir…
Et sans lui laisser le temps de réagir ou même agir, elle fit claquer elle-même, l’écran de l’ordinateur, mettant fin au chœur des muses et à son supplice d’un seul et même mouvement.
— Juju, soupira-t-elle dans le combiné.
— Jojo, s’exclama son frère rassuré. Tu vas bien ? Mon alarme interne est en pleine soirée disco, il s’passe quoi ?
Jules et sa théorie de la connexion gémellaire établissant une forme de lien psychique qui lui permettait de ressentir les émotions de sa sœur à distance. Joséphine en soupira d' exaspération.
— Arrête avec ça, on a partagé un utérus pendant neuf mois, pas des connexions cérébrales.
— Donc tu vas bien ? insistait-il pas vraiment dupe.
Non, elle n’allait pas bien. La voix de son frère si habituelle, si confortable, si rassurante la ramena instantanément au chaos des dernières vingt-quatre heures, à leurs violentes émotions et blessantes révélations. Son menton tressauta, sa mâchoire se crispa, et Joséphine fut contrainte de se mordre la lèvre pour ne pas échapper un sanglot involontaire. Non, hors de question qu’elle pleure à nouveau.
— T’es où ? Je viens te chercher, annonça-t-il face à ce silence qui en disait long.
— Pas la peine, je suis dans le train, j’arrive à Paris dans…
Dans combien de temps, au juste ? Face à cette inconnue, Joséphine obliqua un regard interrogatif en direction de l’anglais.
— Dans un peu plus de cinq heures, dit-il après un coup d'œil à sa montre.
— Pardon ? Comment ça, cinq heures ? Il passe par Dijon, le train ?
Elle avait été tellement empressée de monter dans un train et de quitter cette gare, qu’elle n’avait pas prêté la moindre attention à l’itinéraire ou sa durée. Le départ de Brest remontait à plus d’une heure, désormais. Comment pouvait-il rester encore plus de cinq heures alors que l’aller n’avait demandé que quatre petites heures ?
— Il marque l’arrêt dans presque toutes les gares du parcours, se contenta de lui répondre Archibald dans un haussement d’épaules.
— C’est qui ? demanda Jules suspicieux.
— Un genre de Paddington shooté aux Disneys.
— Il a un chapeau rouge, un imper bleu et la voix de Guillaume Gallienne ?
— Non, mais il me fait le regard sévère, là.
En effet, après ses sourires bienveillants ou amusés, Archibald fronçait ses sourcils avec autant d’efficacité dans sa sévérité que le petit ours auquel elle le comparait. Si ce n’était pas vraiment inquiétant ou traumatisant, c’était tout de même assez surprenant pour que Joséphine s’interroge. Il n’appréciait pas la comparaison à Paddington ?
— Je viens te chercher à la gare, Jules se réappropria son attention.
— Ça ne sert à rien, on se rejoint à la résidence après mon tour de France en locomotive à vapeur.
Jules chercha bien à débattre, mais Joséphine remporta la victoire en lui raccrochant au nez. Plus tard, elle s’excuserait en prétextant un problème de réseau. En attendant, son portable en main, son stupide pouce se désolidarisa du reste de ses bonnes résolutions et cliqua sur l’onglet des appels manqués. Trois. Tous au nom de Jean-Marc Généreux. Aucun message vocal. Mais un texto.
Rien de plus. Aucune excuse. Aucun “reviens”. Crétin. Ses cils redevinrent humides, et pour couper court à toute nouvelle démonstration d’hypersensibilité, Joséphine le laissa sur “vu”, et renvoya son portable directement dans les limbes de son sac à main.
— Donc, tu vas direct confronter Granny ? demanda, l’air de rien, un Archibald qui avait rouvert son ordinateur.
Il venait de refermer l’écran Hercule, et cherchait dans ses fichiers quelque nouveau titre à visionner.
— Certainement pas, je ne veux plus les voir, ni l’un, ni l’autre.
— Mais, techniquement, tu vis chez elle, non ?
Non. Enfin si, mais non. Mais si ? Babar avait raison. Si Eliane ne vivait pas à la Résidence, elle en était la propriétaire, la logeuse, et son propre appartement ne se trouvait que quelques étages plus bas. Le risque de la croiser était grand. Le risque qu’elle s’impose tout autant. Dès qu’Eliane apprendrait sa défection, nul doute qu’elle-même forcerait la confrontation. Peut-être valait-il mieux prévenir que guérir ? Décider et donc détenir l’illusion du contrôle de la situation. Mais Joséphine avait-elle seulement envie d’entendre ses explications ?
Absorbée par son débat interne, elle ne vit pas Archibald sélectionner un film, et comme à son habitude, faire défiler en avance rapide, une Belle tout en cheveux et une Bête au regard si bleu. Ses yeux avaient-ils toujours été si bleus ? Et pourquoi une comparaison impossible s’imposait brusquement dans son cerveau ? Mais ta gueule, enfin ! Lorsque l’index d’Archi libéra la touche, la musique et les voix tirèrent Joséphine de son introspection.
♫ Qui l'aurait cru ? - C'est incongru - Qui l'aurait su ? - Oh oui, mais qui ? - Qui pouvait croire que ces deux-là se seraient plu ? - C'est insensé - Attendons voir c'que ça donnera ♫
— T’es sérieux, là ? s’emporta-t-elle face à son sourire victorieux.
♫ Y a quelque chose qu'hier encore n'existait pas ♫
Elles allaient être extrêmement longues ces cinq heures et des pastèques…
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WildFlower
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Ophélie Jaëger
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