Fyctia
22. Disney (1/2).
Le sol tanguait, le monde s’étiolait sur son passage. La décision n’avait pas été compliquée à prendre, elle s’était faite d’instinct. Joséphine avait récupéré son sac, et sans éclat, sans esclandre s’était dirigée vers la sortie. Depuis, elle arpentait les avenues brestoises en pilote automatique. Plus rien n’était concret ou palpable, ni le paysage, ni l’itinéraire, ni même la météo qui se déversait sur sa coquille vide. Joséphine s’était réfugiée sous son crâne. La jeune femme revivait ces dernières semaines sous un éclairage nouveau, sous un prisme différent. Plus rien n’avait de sens. Tout avait un sens.
Le retour à l’hôtel se fit tout aussi mécaniquement. La suite elle-même n’avait plus la même aura que la veille, ou même ce matin. Le tout sonnait faux, froid, austère. Et ses affaires balancées en vrac dans son sac, elle la quitta sans regret, la laissant dans ce passé auquel elle appartenait et dans lequel elle demeurerait.
Si sa tête n’était plus d’aucune utilité, son corps semblait se souvenir du chemin jusqu’à la gare. Joséphine enchaînait les pas sous la pluie et les larmes. Si dans un premier temps ses joues trempées avaient été mises sur le compte de la météo bretonne, elle devait se rendre à l’évidence. Elle pleurait. Pire, elle avait envie de hurler. Hurler sa honte et sa colère. Finalement peu importait la soirée de la veille ou les souvenirs de cette nuit, tout n’avait été que supercheries et mensonges. Que s’était-elle imaginé ? Qu’il aurait pu l’apprécier ? Vacherie d’Ego qui lui renvoyait son déni en pleine tronche. Avait-elle réellement cru aux étoiles ou même à une ébauche de pas de deux ? N’avait-il jamais été question que de service rendu et de faveur accordée ? Rien ne faisait le moindre sens.
Son téléphone vibrait contre sa hanche, mais Joséphine ignorerait cet appel, comme les précédents. Qu’importe leur auteur, elle ne se laisserait pas rattraper par ce qui appartenait désormais à l’Histoire. La toute petite Histoire. Elle avait fuit sans préavis. Peut-être s’interrogeait-on sur l’objet de sa désertion ? Ou bien n’était-ce qu’un énième appel de démarchage pour lui vendre une isolation à 1€. Dans un cas comme dans l’autre, ils trouveraient son répondeur. Libre à eux d’y laisser un message qu’elle n’écouterait pas.
Au guichet, Joséphine menaça, Joséphine supplia. Son visage ravagé de larmes acheva de convaincre. Et dans un train bien moins luxueux qu’à l’aller, son talon martelait le sol dans l’attente du départ. Il tardait trop. Que craignait-elle ? Une scène à la sauce hollywoodienne dans laquelle Dorian, bouleversé, aurait tout abandonné pour la poursuivre et se matérialiserait sur ce quai de gare ? Pitié ! Il avait bien assez à faire, des engagements, des responsabilités, pour ne pas se préoccuper de la petite cruche qui venait de découvrir le pot aux roses. Peut-être même était-il soulagé que la supercherie prenne fin ?
Elle avait beau le savoir, le vouloir, son palpitant se figea lorsque le quai s’échappa dans un signal sonore qui perdura sous les cheveux de Joséphine bien après qu’il eut cessé de résonner dans ses oreilles. Le train était parti. Et avec lui, ses dernières miettes d’espoirs inavoués. Inavouables. Inacceptables.
Sa tête heurta la tablette et dans un incontrôlable hoquet, elle laissa les larmes se perdre dans ses cheveux, dans ses mains, dans ce mouchoir qui venait de se matérialiser devant elle. Elle s’en était saisi machinalement et s’y réfugiait, enfonçait son visage comme pour mieux y disparaître. Elle ne pensa même pas à remercier son propriétaire. Elle en était incapable. Elle hoquetait, haletait, reniflait, mais elle ne parlait pas. Bientôt, un deuxième mouchoir fit son apparition. Puis un troisième. Patiemment, son voisin de siège se faisait distributeur jusqu’à ce que les larmes se tarissent un peu. Juste assez pour laisser place à la colère à nouveau. Au sixième mouchoir, Joséphine avait envie de faire demi-tour et de tout brûler au lance-flammes.
— Tu veux en parler ? demanda finalement la voix à sa droite.
Alors elle lui concéda un regard. Un regard mouillé de larmes. Un regard aux paupières gonflées. Un regard si rouge que son ambre se transformait en lave incandescente. Un regard qui cavala jusqu’au géant roux qui l’observait avec une tendresse infinie. Son doux sourire avait quelque chose de si réconfortant qu’elle aurait voulu s’y lover et se laisser bercer par les élégantes tonalités de son accent anglais. C’est bien simple, si Paddington avait été humain, il aurait ressemblé à cet homme qui lui tendait le septième et ultime mouchoir.
— Archibald, se présenta-t-il dans un sourire discret. Mais tu peux m’appeler Archi.
— Joséphine, répondit-elle en reniflant. Et tu peux m’appeler Joséphine.
— Ça me va, Joséphine, annonça-t-il docile. Et si tu me racontais ce qu’il t’arrive ?
Elle ne le souhaitait pas, mais le fit. Par le menu, et en bonne autrice avec force détails. Elle se perdit dans les méandres de son récit. Elle s’énerva, pleura parfois. Insulta souvent. Lorsqu’elle acheva son odyssée, l’heure avait tourné, le département avait changé, mais Archibald n’avait jamais cessé de sourire. Seulement de la bienveillance et un je ne sais quoi de sage. Façon Grand-mère Feuillage, il s’apprêtait à Que Que Natura ? Non, il demeurait mutique et souriant, au point que ça en devint agaçant. Il n’avait rien suivi ? N’avait-il rien compris ? Était-elle tombée sur le neuneu de service ?
— Tu ne dis rien ? Tu ne vas pas prétendre que je me plante et que j’aurais dû rester ? Ou au contraire, que ce sont tous des gros cons qui méritent de brûler ?
— Non.
Quoi, c’est tout ? Il n’avait aucune sage parole en stock ? Il s’était juste contenté de l’écouter vider son sac, et maintenant que c’était chose faite, il estimait ne plus avoir la moindre utilité ?
— Par contre, je comptais regarder un Disney, ça te tente ?
Non, mais il sortait d’où, ce gus ? Il avait déjà tiré son ordinateur de son sac, et l’ouvrait entre les deux tablettes. Donc la décision était prise ? Après tout, pourquoi pas, ce n’était pas comme si elle avait mieux à faire. Peut-être que l’aspect régressif de ce visionnage lui permettrait de soulager un peu ses peines d’adultes. Joséphine l’observa sélectionner Hercule, lancer la lecture. Elle remonta ses jambes contre l’assise dans une vaine quête de confort. Lorsqu’elle fut installée, le rouquin appuya sur avance rapide, faisant défiler la vie du héros en accéléré.
— Mais… protesta Joséphine.
— J’ai déjà vu toute cette partie, sorry, annonça-t-il dans le plus grand des calmes.
Enfin, il ôta son index de la touche, et le temps reprit son cours normal. Une fontaine, une robe mauve, une fleur qu’on hume avec lassitude. Mégara. Joséphine connaissait bien le film, elle l’avait visionné de trop nombreuses fois. La belle Mégara n’allait pas tarder à se mettre à chanter son déni, tandis que les muses l’inviteraient à avouer ses sentiments pour Hercule, et… Attendez une seconde !
29 commentaires
WildFlower
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Il y a un an
Gottesmann Pascal
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Il y a un an
Marion_B
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Il y a un an
Laure-Thonon
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Il y a un an
Diane Of Seas
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Il y a un an
Laryna
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Il y a un an