Ophélie Jaëger L'albatros 21. Contacts (3/3).

21. Contacts (3/3).


Cette réponse sembla soulager le danseur qui tendit sa main dans le but d’aider Joséphine peinant à se relever. Une main qu’elle saisit, et qu’elle relâcha aussitôt en surprenant le regard insistant de Gwenaël sur leurs paumes jointes.


— Rien à voir, contra-t-elle entre ses dents.

— Si tu le dis, rétorqua Gwenaël dans un haussement d’épaules.

— Quoi ? chercha à se renseigner Dorian.


Tous échangèrent un regard. Qui de Gwenaël ou de Joséphine allait devoir mentir, cette fois ? A moins que Joe ne se résolve à lui dire la vérité, et ne lui expose la théorie de son ami concernant son touché sélectif.


— Je me demandais s’il n’était pas possible de réserver l’accès aux masterclasses aux seuls enfants, et de faire patienter les parents à l’entrée.


Ni vérité, ni mensonge, Joséphine optait pour la diversion. Le panneau de déviation était si évident, qu’elle doutait que Dorian ne puisse se laisser avoir.


— On peut faire ça ? réagit immédiatement ce dernier dans un froissement de sourcils.


Ah bah si, en fait.


— Si tu le souhaites, oui, ça devrait pouvoir se faire, réfléchit son ami.

— Et pourquoi tu n’y penses que maintenant ? s’agaçait l’autre dont le pli soucieux refaisait son apparition.

— Parce que ce n’est pas moi qui y pense, mais Joséphine.


Le danseur attarda son regard sur la jeune femme. Les deux danseurs le firent. Mais celui de Dorian dura plus longtemps. Il semblait la détailler, la disséquer. Il penchait légèrement sa tête sur le côté, comme en pleine réflexion, en pleine interrogation mutique. Que cherchait-il ? Que voulait-il ? Il ne le dit pas. Au lieu de quoi, il articula muettement un “merci”. Un mot solitaire et sans son qui flotta un instant entre eux. Puis Dorian recula, s’échappa, et tapa dans ses mains pour lancer l’échauffement.


— Ok, à mon tour de te poser une question, tonna Gwenaël qui la força à réintégrer son espace sonore et visuel immédiat. Pourquoi tu as tant bu hier soir, c’est une habitude chez toi ?


Perdue dans la contemplation de l’homme qui s’étirait et des enfants attentifs qui répétaient les mouvements avec plus ou moins de réussite, Joséphine fouilla une petite seconde ses méninges à la recherche d’une réponse adéquate. Non, il ne s’agissait pas d’une habitude, et c’était bien là tout le problème. Quelle excuse pourrait-elle avoir pour expliquer cet écart ? Emma ? Oui, mais pourquoi ? Même elle ne se l’expliquait pas. Aussi Joséphine opta-t-elle pour la difficulté que représentait le fait de travailler avec Dorian, ce séjour imposé, puis la blague de la suite nuptiale.


— Ah oui, j’en ai entendu parler, ricanait Gwenaël bras croisés contre son torse, le regard planté sur les petits danseurs.

— Ça n'a rien de drôle, rétorqua-t-elle en le foudroyant du regard.

— Non, bien sûr que non, se rattrapa-t-il soudain sérieux. Et, hum… On a une idée de qui est à l’origine de cette erreur logistique ?


Erreur logistique ? C’était une nouvelle façon de dire “blague de mauvais goût” ? La logistique c’était Maxence, et jusqu’à preuve du contraire, il avait plutôt bien fait son boulot. Par contre, le fait de les prétendre mariés pour les contraindre à un huis clos des plus gênants, c’était l'œuvre d’un autre. D’une autre.


— D’après Dorian, il s’agit de la femme qui l’a élevé. Mais j’ai du mal à comprendre quel type de figure maternelle pourrait agir de la sorte, répliqua-t-elle tout en s’interrogeant à voix haute.

— Eliane ?

— Non, même elle ne ferait pas un truc pareil, répondit-elle machinalement, avant de réaliser : Tu connais Eliane ?

— Qui ne connaît pas Eliane ? rétorqua-t-il comme une évidence.

— Bah… plein de gens, en fait, s’énerva-t-elle légèrement.


Elle était à Brest en plein Finistère et un mec qu’elle avait rencontré la veille lui parlait de sa grand-mère comme s’il s’agissait de la Secrétaire d’Etat chargée de la condition des coquilles des danseurs classiques ?


— Toi, tu la connais semble-t-il, argua-t-il comme pour mieux démontrer l’évidence.

— Evidemment que je la connais puisque c’est ma grand-mère !


Quoique, ce dernier point était discutable, Joséphine n’ayant rencontré Eliane pour la première fois que quelque quinze années après sa naissance. Mais c’était un détail.


— Pourquoi tu me parles de ta grand-mère ? l’interrogea-t-il perplexe.

— Non, toi, pourquoi tu me parles de ma grand-mère ?


Ils s’étaient tournés l’un vers l’autre et presque essoufflés, se contemplaient entre défi et incompréhension.


— Attends, reprenons calmement, dit-il en se pinçant l’arête du nez. J’ai jamais parlé de ta grand-mère, je ne faisais qu’évoquer Eliane, la femme qui a élevé Dorian.


Ok, pas sa grand-mère, donc. Une autre Eliane. Statistiquement, une autre Eliane. Une autre Eliane, n’est-ce pas ?


— Eliane comment ? demanda-t-elle tout de même, une pointe de suspicion surfant sur son timbre.

— Orsini.


Et le sol s’ouvrit, les murs s’éclipsèrent, le toit s’escamotta. Le responsable FX d’Inception se faisait plaisir sous le crâne de Joséphine. Il n’y eut plus rien d’autre autour d’elle que son propre patronyme résonnant encore et toujours contre ses tympans. Orsini. Orsini. Il avait dit Orsini. Le doute n’était plus. Mais comment ? Mais pourquoi ? Dans quel but ? Est-ce que tout le monde savait ? Est-ce que Dorian savait ?


Un fil rouge s’entortilla autour de ses souvenirs. Son adresse qu’il connaissait, ses origines dont il n’ignorait rien, cette toile sur laquelle il n’avait pas confondu Joe et sa grand-mère. Et pour cause. Il savait déjà tout cela bien avant de la rencontrer elle. Alors quoi ? Tout ceci n’était qu’un traquenard, un coup monté visant à lui offrir du travail ? Une mise en scène, une pièce de théâtre dont elle aurait été le sujet de moqueries. Est-ce qu’ils s’appellaient le soir pour évoquer ses réactions et rire ensemble de sa grande naïveté ? Elle pensait qu’on l’avait embauché pour son talent, pour ses prouesses précédentes auprès de Pénélope. Il n’en était rien. On avait juste manigancé dans son dos pour lui offrir cette chance. Une chance qu’elle ne méritait en rien, alors ?


Sa maigre confiance en elle s’effondra un peu plus, atteignant le gouffre du négatif où pataugeaient son estime et probablement son QI aussi. Ces autobiographies n’avaient aucune valeur, ce n’était qu’un job alimentaire, une manière d'entraîner sa plume pour le jour où son vrai roman serait prêt. L’aider aurait plutôt consisté à lui trouver un éditeur pour ça, pas l’inviter à inscrire un nouveau nom au-dessus de ses mots. Moins encore de l’enfermer de force avec ce nom dans une suite nuptiale…


A moins que… Dans un éclair de lucidité comme elle n’en avait plus eu depuis longtemps, Joséphine tira son téléphone portable de sa poche, et cliqua sur le nom d’Eliane dans les échanges textos. Ces fruits et ces légumes… Bordel ! Ce n’était pas Emma, ça n’avait jamais été Emma.


E pour Eliane.

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38 commentaires

WildFlower

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Il y a un an

Coup dur pour Joe... Mais je ne suis pas sûre que ce soit le véritable but d'Eliane ^^

Gottesmann Pascal

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Il y a un an

Pauvre Joséphine, elle se sent tellement bête et même trahie. Par Dorian c'est pas très grave, leur relation n'étaient pas au beau fixe depuis le début. Mais par Éliane c'est horrible.

Marigolotte

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Il y a un an

Je le savaiiiiis !!!! 😂

Diane Of Seas

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Il y a un an

💚

Livre_e

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Il y a un an

🙃

lea.morel

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Il y a un an

💕

Marion_B

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Il y a un an

Eliane chercherait à réunir ces deux là dans une belle salade de fruits???

Laryna

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Il y a un an

😊 prem's
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