Fyctia
21. Contacts (2/3).
Une mise en garde, un interdit qui sonna comme une invitation dans la tête de Joséphine. Aussi, une fois dans la salle de répétition, Dorian occupé à se changer dans le vestiaire, l’autrice fit signe à Gwenaël de la rejoindre dans son coin désormais attitré.
Assise en tailleur, sa tête juste sous la barre de danse fixée au mur, elle laissa le prof de danse s’installer à ses côtés avant de passer à l’interrogatoire. Il fallait y aller en subtilité, une attaque frontale risquerait de l’alerter, ou pire le braquer. Son regard s’attarda sur les groupes d’enfants qui s’échauffaient ensemble, et les autres, plus isolés dans leur coin.
— Il y a toujours autant de monde ? demanda-t-elle finalement.
— Non, seulement durant les Masterclasses. Tout le Conservatoire se déplace pour l’occasion, et quand c’est Dorian, c’est pire.
— Pourquoi ?
Elle avait beau savoir qu’il détenait une certaine renommée et qu’il était talentueux, elle ne s’expliquait toujours pas ce qu’il y avait de si particulier chez lui pour que même ses collègues l’admirent et le redoutent.
— Sa renommée est mondiale, elle dépasse nos frontières. C’est toujours un événement partout où il passe. Ici plus encore. C’est parce qu’il a débuté entre ces murs qu’il y revient. Il veut rendre un peu de ce qu’il a reçu… En temps normal, on ne voit pas passer beaucoup d’étoiles.
Joséphine promena son regard sur les murs défraîchis, le lino abimé au sol, les miroirs à l’oxydation parfois bien avancée. Le petit conservatoire de province n’avait rien d’un tremplin vers l’Opéra National de Paris et devait être oublié de bien des itinéraires de tournées.
— Mais ce n’est pas ta vraie question, n’est-ce pas ? la surprit-il en un sourire bienveillant. Ou tes questions, peut-être ?
C’était si tentant. Gwenaël était là, devant elle, serviable et souriant. Il proposait, il l’invitait même à lui poser les questions qui lui brûlaient les lèvres depuis des semaines, et plus encore depuis ce matin. Mais…
— Il n’aime pas ça, je ne veux pas que ça se retourne contre toi.
— Je ne le crains pas, ricana le prof de danse avec sa bonhomie usuelle. Et puis comment comptes-tu écrire un livre sur lui si tu ne fouines pas un peu ?
Il marquait un point. Si Joséphine se contentait des seules réponses que voulait bien lui fournir Dorian, son livre ne comporterait qu’un seul chapitre intitulé “la nuit dont je ne me souviens pas et dont il ne veut rien me dire.” Bon titre, cela dit. haletant à souhait, mais sans résolution, l’intrigue allait vite tourner court.
— Il t’a dit que j’écrivais son autobiographie ? s’étonna-t-elle finalement.
— Alors non, je ne savais pas que tu écrivais ce livre à sa place, ça il s’était bien gardé de me le dire. Pour le reste, oui. Je suis ce qui se rapproche le plus d’un grand frère, donc oui, je suis au courant de pas mal de choses.
— Et sa famille ? l’interrogea-t-elle intriguée par la mention de grand-frère.
Le sourire de Gwenaël se figea, et soudainement son expression changea du tout au tout. S’il fut d’abord surprit, même cette impression s’estompa pour être supplantée par une forme de gêne teintée d’une pincée de tristesse.
— Il ne t’a vraiment rien dit, alors, réalisa-t-il. Pardon, je pensais pouvoir t’éclairer un peu, mais ce point-là lui appartient, c’est pas à moi de te le raconter. Je peux juste te dire que ses proches, tu les as croisé hier au bar, Lilou, James, Géronimo, Emma, toi…
Emma ? Non, attendez, elle avait mieux comme question…
— Moi ? s’étonna-t-elle. Non, lui et moi on est pas proche, pas proche du tout. On se supporte à peine.
S’il laissa échapper un rire discret, ce dernier n’avait rien de moqueur. Le regard dont Gwen nimbait Joséphine était amical, chaleureux, presque paternel. Comme le regard qu’avait parfois Natasha devant la nouvelle bêtise inventée par son monstre sur pattes. Natasha, tiens… Pourquoi penser à elle faisait-il résonner une alarme sous le crâne de Joe ?
— Je pensais que les auteurs se devaient d’être très observateurs, riposta Gwen en singeant une pointe de déception. Tu n’as vraiment rien remarqué de singulier chez lui ?
De singulier ? Si, évidemment. Dorian était unique, il ne ressemblait à personne. Rien que dans sa manière de gagner sa vie, il n’avait rien d’ordinaire. Sa taille et sa prestance le démarquaient du commun des mortels. Et son physique, si elle se devait d’être parfaitement objective, aussi. Il était talentueux, drôle, vif, et savait se montrer attentionné et charmant. Tantôt tendre, tantôt piquant… Stop ! Il se passait quoi, là ? Non, mais il va se détendre deux secondes le cerveau, là. Dorian était pénible, taciturne, revanchard, cinglant, autoritaire et secret. Il était chiant. méga chiant. Il était et resterait le connard en collants.
Et il venait de faire son entrée dans la salle de répétition.
Il était sacrément charismatique, tout de même. Comme des nuées attirées par le sucre, les parents d’élèves venaient se coller à son aura comme s’il s’agissait d’un papier tue-mouches. Un papier pour le moins hermétique puisque Dorian ne faisait que reculer à mesure qu’on l’acculait. Les mains se tendaient. Il n’en serrait aucune. Des doigts cernés de lourdes bagues convoitaient une épaule, un bras, qui se dérobaient autant que nécessaire.
— Et là, tu vois ? l’interrogea à nouveau Gwenaël qui s’était relevé.
Non, elle ne voyait pas. Elle ne voyait même pas ce qu’elle était supposée voir. Son côté première de la classe s’agaça devant cette colle insoluble. Quoi ? Il s’agissait de quoi ? Dorian reculait. Un index dressé, il imposait une distance de sécurité qu’il creusait en rebroussant chemin. Il jeta un regard implorant dans leur direction, et Joséphine en demeura perplexe. Oui, d’accord, le danseur détestait cet exercice, ce n’était pas la première fois qu’elle se faisait la réflexion, mais qu’y avait-il a y voir de plus ?
— Il fuit tout contact physique, Gwenaël lui souffla la réponse.
— Et ? questionna Joséphine dans la précipitation à mesure que Dorian approchait.
— Tous les contacts, n’importe quel contact.
Et comme pour mieux faire démonstration de sa théorie, Gwenaël fit un pas en direction de Dorian, l’attrapa de force et le serra contre lui en une étreinte fraternelle. La réponse fut immédiate, et dans un rictus incontrôlé, dans une réaction épidermique, le danseur étoile libéra ses bras dans la prise, et repoussa son ami avec fermeté. Un ami qui, loin de se vexer, laissa éclater un rire moqueur, tout en gratifiant Joséphine d’un clin d'œil discret.
— Vous parliez de quoi ? demanda Dorian, une pointe d’inquiétude dans la voix.
— Des locaux qui mériteraient un coup de neuf, rétorqua Gwenaël en un nouveau clin d'œil complice à destination de Joe.
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