Ophélie Jaëger L'albatros 20. Piscine (2/3).

20. Piscine (2/3).

Une sonnette d’alarme résonnait contre son crâne. Elle amplifiait la migraine, mettait à rude épreuve ses capacités de concentration, mais ne l’aidait en rien à mettre le doigt sur ce détail, cette petite ondulation dans le champ de force qui modifiait totalement le postulat de départ. Peut-être que Marie savait ? Marie et ses grands yeux innocents. Marie et son incroyable besoin de se rendre utile, de faire oublier les erreurs de la vieille. Alors Joséphine s’approcha. Joséphine se rehaussa pour être en mesure d’avachir son buste contre le comptoir et n’être plus qu’à quelques centimètres du visage de moins en moins serein de la pauvre hôtesse.


— Est-ce que vous savez s’il s’est passé quelque chose cette nuit ? chuchota Joe sur un ton conspirateur.

— Je… je n’étais pas de service, s’excusa la jeune employée.


Oui, c’est vrai, c’était idiot comme question. Et puis, s’il s’était passé quoi que ce soit dans la chambre, comment Marie aurait-elle pu en avoir connaissance ? S’était-il passé quelque chose dans la chambre ? Ah, pourquoi sa mémoire se refusait à fonctionner ? Ne lui restait que des flashs et des contusions. Des hématomes sur les cuisses, des égratignures sur les bras, des traces de frottements contre son dos. Rien de bien impressionnant ou inquiétant, mais suffisamment pour se poser quelques questions.


— La piscine, c’est par où ?


Deuxième sous-sol par l’ascenseur, puis couloir de gauche après le sauna. Joséphine ôta ses baskets et roula le bas de son jeans avant de fouler le béton ciré de la luxueuse piscine intérieure de l’hôtel. Sur les transat, deux résidents se prélassaient. Et dans la piscine, un seul acharné enchaînait les longueurs.


De bonnes dimensions, le bassin offrait de quoi faire, et tel un dément, Dorian ne ralentissait jamais. Est-ce qu’au moins il respirait ? Joséphine compta les longueurs depuis ce bord de transat sur lequel elle avait posé une fesse. A la quinzième, son estomac grondant annonça la fin de la récréation.


— Dorian ? appela-t-elle une première fois.


Pas de réponse. Aucune réaction.


— Dorian ? s’essaya-t-elle à nouveau, un peu plus fort, un peu plus ferme.


Toujours pas la moindre conséquence. Il continuait d’aller et venir comme un lion en cage version poisson dans l’eau.


— Yo, Polochon !


Cette fois des têtes émergèrent. Celles des deux clients sur les transat qui dépassèrent de leur livre ouvert, et celle du danseur.


Comme dans une pub des années 90, il sembla s’échapper des flots en une chorégraphie parfaitement orchestrée. Comme s’il avait répété ce coup de tête en arrière qui lui évita la coupe poulpe échoué sur le crâne. Comme s’il s’était entraîné des heures durant pour ce mouvement de bras visant à passer une main sur son visage, mais qui gonfla surtout un biceps et anima tout un torse hypnotique. Joséphine ne parvenait à détacher son regard. Tout le reste avait disparu. Ne demeurait que cet homme, sa splendeur impudique et cette eau pernicieuse qui s’en venait lécher ses hanches.


De très loin, un écho, un murmure, un prénom que l’on répétait. Un prénom qui accrochait et agaçait l’oreille de la jeune femme. Qu’on se taise, bon sang, et qu’on lui laisse entendre le chœur de chérubins qui accompagnait de leurs voix angéliques la naissance de Vénus. Ou plutôt celle d’Adonis. Mais ce prénom n’en finissait plus. Son prénom. On l’appelait ? Qui l’appelait ?


— Hey, Ray Charles !


Hein ? Quoi ? C’était lui qui l’appelait comme ça ? Au sortir de sa tétraplégie fascinée, elle salua la présence de ses solaires sur son nez qui lui avait évité de trop exposer ses élans voyeuristes. Dorian, conscient d’avoir récupéré son attention, s’extirpa de l’eau révélant un peu plus son épiderme à chaque marche conquise. Le cœur féminin manqua un battement, ou dix-huit. Ses poumons s’étrécirent au point qu’elle fut contrainte de démultiplier les expirations courtes et dissonantes. Merde, elle allait crever, c’est ça ? Et pourquoi il faisait chaud comme ça ? C’était quel genre de malaise ? Un AVC ?


En petit boxer qui ne cachait absolument rien, le danseur déambulait tranquillement tandis qu’elle était sur le point d’y abandonner sa vie. Il savait parfaitement ce qu’il faisait en exposant de la sorte son côté pile qui n’avait absolument rien à envier au côté face, alors qu’il se penchait pour ramasser… quoi au juste ? Peu importait, Joséphine sentit rage et frustration s’insinuer dans ses poumons.


— Putain, mais c’est pas le Cap d’Agdes ! s’énerva-t-elle sans trop savoir pourquoi. Ça vous arrive d’enfiler des vêtements ?


Perplexe, le danseur récupérait sa serviette aux armoiries de l’hôtel tout en lui jetant un regard où se mêlait curiosité et inquiétude.


— On est dans une piscine, Joséphine. Tu aurais voulu que je nage en moonboots ?

— Ouais, c’est vrai que c’est con, réalisa-t-elle à voix haute.


Ils avaient beau n’être que quatre dans ce vaste sous-sol de luxe, tous étaient en maillot de bain. La seule anomalie c’était elle avec son jean taille haute et son gros pull qu’elle avait rentré dedans. À ce stade, ses lunettes de soleil pouvaient presque passer pour une maigre tentative d’immersion.


— Pourquoi m’avoir donné rendez-vous ici, alors ? Hein ?


Bah oui, c’est vrai ça. Qui donnait rencard dans une piscine si ce n’est un exhibitionniste multirécidiviste.


— C’est pas le cas, se contenta-t-il de répondre en enfilant les vêtements secs qu’il avait préalablement abandonnés sur un transat. Je t’ai demandé de me retrouver à la salle de brunch.


Il se foutait d’elle ?! Heureusement, elle avait pensé à prendre le post-it avec elle. Joséphine l’extirpa de sa poche, le défroissa tant bien que mal, et le brandit devant elle.


— Et ça, c’est quoi ? interrogea-t-elle en un sourire victorieux.


Sourire qu’elle perdit immédiatement. En tendant le côté pile à Dorian, elle avait à présent tout le loisir d’étudier le côté face sous ses yeux. “10h30 salle de brunch.” Putain !


— Ah… se contenta-t-elle d’expirer.

— Ah, répéta-t-il moqueur en la dépassant.


Si Joséphine prit le temps de froisser le post-it à nouveau et lui faire réintégrer rageusement sa poche de jeans, elle ne s’éternisa pas sur place. Le simple constat qu’il ne l’attendait pas et s’engageait déjà dans le couloir, la força à se recomposer une contenance plus vite que prévu, et comme à son habitude, à lui cavaler après.


— Faites pas trop le malin, vous êtes conscient d’avoir déforesté Brocéliande avec votre délire de post-it ? Et puis depuis quand on se tutoie ?


Il s’immobilisa un instant, balança un regard par dessus son épaule et dans un sourire pyromane expira un simple :


— Depuis cette nuit.


Mais merde, il s’était passé quoi cette nuit ?!


Tu as aimé ce chapitre ?

28

28 commentaires

Gottesmann Pascal

-

Il y a un an

Il s'est passé quoi cette nuit ? Grande question et pauvre Joséphine qu'on fait lanterner.

Emeline Guezel

-

Il y a un an

Petit like de chez moi 🥰

Ines.m

-

Il y a un an

Like d’entraide ❤️

Marion_B

-

Il y a un an

Mazette il lui fait de l'effet! Joséphine va finir par prendre feu
Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.