Fyctia
17. Masterclass (2/3).
Joséphine s’était laissée convaincre par un mec qu’elle ne connaissait pas de sauter dans le premier train pour s’imposer auprès d’un autre mec qu’elle ne connaissait pas plus. Ça commençait pareil dans 95% des épisodes de New York Unité Spéciale. Et elle, toute innocente, qui s’accrochait à son bras comme une idiote en mode Chabadabada.
Chabadabada ?
Certainement pas ! D’où lui venait cette impression ? Non, y avait zéro Chabadabada. Rien. Nada. Ferme bien ta bouche, cerveau sadique ! Il était évident qu’elle ne ressentait rien de ce genre. C’était juste l’image, éventuelle, que pourraient se faire des observateurs extérieurs en les croisant. Mais en réalité, non, rien. Encéphalogramme plat. C’était bien simple, son cœur battait si lentement que, peut-être, était-elle déjà morte sans le savoir. Voilà, le vrai risque ici, c’était qu’elle soit un zombie. Bien plus cohérent que la théorie du Chabadabada, franchement.
Ils n’avaient pas fait trois cents mètres qu’une brusque rafale de vent tira le parapluie en arrière. Au milieu du parc qu’ils étaient en train de traverser, Dorian résista tant et si bien que ce fut le parapluie qui rompit le premier. Les baleines cédèrent les unes après les autres, et soudain, le reste de ce qui fut leur parapluie s’échappa vers une vie meilleure. Loin, si loin. De plus en plus loin.
— Et maintenant ? hurla-t-elle à contre vent, perdue dans la contemplation du fuyard.
— Maintenant ? On court !
Dorian fut bien plus prompt à réagir. D’une main, il étirait son caban au-dessus de sa tête. De l’autre, il attrapa celle d’une Joséphine déboussolée. Dans un gémissement de surprise, elle se laissa d’abord tracter, avant que ses pieds et jambes ne se décident à entrer en fonction. La douche froide s’insinuait entre chaque couche de vêtement, colonisait sa peau et crépitait contre son corps bouillonnant, ses poumons en surchauffe, et son souffle fanatique. Ses courtes pattes ne couvraient pas la distance imposée par chaque pas du danseur, aussi avait-elle l’impression de voler plus qu’autre chose. Elle s’apprêtait à parier sur ce qui allait claquer en premier, ses jambes ou ses poumons, lorsque Dorian, d’un mouvement de bras herculéen, la projeta dans le renfoncement d’une porte. Le dos acculé contre le bois, elle accueillit le corps masculin qui se pressa contre le sien. Bon point, elle était à l’abri de la tempête. Mauvais point, il se passait quoi, là, bordel ?
Une série de bip agaça son oreille, et la porte céda dans son dos. Joséphine se sentit tomber à la renverse, et ne dut son salut qu’à cette main qui accrocha son coude pour lui éviter la chute. Ruisselante, elle essuya ses joues, ses cils, son menton, avant de relever le nez et jeter un œil sur l’endroit où ils se trouvaient. Dorian l’avait relâchée, et bien que tout aussi trempé qu’elle, parvenait à conserver sa superbe. Droit et fier, comme totalement en paix avec le fait que la pluie avait agglutiné ses cheveux contre son front et lui donnait des airs de vache normande, il s’avançait dans un hall froid et austère.
— T’es en retard, nota un homme en sortant de l’ombre d’un pilier.
— Ça devenait trop simple, je me suis infligé un handicap.
L’homme que Joséphine avait d’abord pensé agacé, laissa échapper un éclat de rire sonore que les hauts murs reprirent en écho. La petite trentaine, les cheveux rassemblés en arrière sous un bandana, il était de ceux dont la bonhomie irradie tout alentour.
— Tu m’en voudras pas, cette fois, je passe mon tour pour le câlin, moqua-t-il en tapotant l’épaule de Dorian dans un floc floc éclaboussant.
— Si j’avais su qu’il me suffisait d’un peu de flotte pour m’éviter ça.
— Et le handicap, c’est ? demanda l’homme en tendant une main en direction de Joséphine.
— Son épouse, répondit-elle à sa place en s’emparant de la paume offerte, Marie-Odile, enchantée.
L’homme ne dit rien. Il se contenta de la scruter armé d’un sourire amusé. Et lâcha sa main avec un peu de retard.
— Joséphine, grogna le danseur-vache normande.
— C’est le petit surnom qu’il me donne dans l’intimité, et il aime que je l’appelle « mon petit empereur »
Cette fois, le sourire amusé du nouveau venu s’acheva en un nouvel éclat de rire tonitruant. Il y avait quelque chose de salvateur dans la présence de cet homme. Comme un sursis de normalité dans ce maelstrom d’incongruité. Avec lui dans les parages, Joséphine retrouvait sa verve et Dorian son agacement. Plus de chabadabada intempestif, retour au match de tennis.
— Eh bien, enchanté Marie-Odile-Joséphine. Je suis Gwenaël, ami d’enfance du petit empereur, et professeur de danse ici, au Conservatoire.
C’était donc là qu’ils se trouvaient, dans le hall d’entrée du Conservatoire de Danse ? Cela n’expliquait pas ce qu’il venait faire là.
— Venez, les enfants vous attendent, et vous devez avoir envie de vous mettre au chaud.
Les enfants ? Quels enfants ?
— Vous avez des vêtements secs, je suppose, poursuivait Gwenaël en tête de leur petite procession.
— Elle n’est pas danseuse, l’informait Dorian sans que Joséphine ne saisisse le rapport de cause à effet.
— Ah ?
Le professeur de danse jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, dardant un regard scrutateur sur Joséphine. Avait-elle l’allure d’une danseuse ? Perdue au milieu de ses vêtements trop grands et détrempés, elle devait surtout faire l’impression d’une punk à chien. Sans parler de ses cheveux en grappe qui formaient un casque humide contre son crâne, puis se répandaient, tentaculaires, sur ses épaules, ses seins, son dos.
— Je dois bien avoir quelques tenues qui traînent dans un coin, informait Gwenaël.
Et des tenues, il en avait, en effet. Enfermée dans un petit vestiaire, Joséphine observait son reflet engoncé dans ce justaucorps taille 16 ans. Il lui allait parfaitement, mais entre sa couleur chair et le fait qu’il ne laissait aucune place à l’imagination, Joséphine aurait pu tout aussi bien attendre à poil que ses vêtements sèchent. Des coups à la porte la firent sursauter, et dans un réflexe inutile, elle plaqua un bras en travers de sa poitrine, et l’autre contre son bassin.
— Vous êtes prête ? demandait Dorian depuis l’autre côté.
— Non, je… Je ne peux pas sortir comme ça !
— Quel est le problème ? Ce n’est pas à votre taille ?
Si, la taille était la bonne, même s’il lui coûtait d’admettre qu’à 26 ans elle avait toujours la taille et la corpulence d’une adolescente. C’était tout le reste qui n’allait pas. Le tissu, la couleur. Joséphine n’était pas danseuse, elle n’avait pas ce degré d’acceptation de son corps. Il n’était pas son outil de travail, elle n’avait ni besoin, ni envie de le dévoiler autant.
— J’entre, prévint le danseur devant son silence.
38 commentaires
DANYDANI
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Il y a 9 mois
Ophélie Jaëger
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Il y a 9 mois
Livre_e
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Il y a un an
Gottesmann Pascal
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Il y a un an
Emeline Guezel
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Il y a un an