Fyctia
17. Masterclass (3/3).
Dorian s’était changé, lui aussi. En bas de survêtement, tee-shirt et sweat zippé, il était presque plus couvert que d’ordinaire.
— Si vous craignez d’avoir froid, la salle de danse est surchauffée…
Il se méprenait quant à la position adoptée par Joséphine. Il voyait de la frilosité là où il n’y avait que de la pudeur.
— Je ne suis pas à l’aise, je préfère rester ici, tant pis.
— Est-ce le moment où je me dois de vous dire que ça vous va très bien, que vous n’avez pas de complexe à avoir ?
— Vous êtes à ce point nul en relations humaines ? s’agaça-t-elle en en laissant retomber ses bras de sidération. Je ne suis pas en train de faire un caprice pour obtenir un compliment. Je ne suis juste pas du tout à l’aise d’être si peu couverte. Point. Vous pouvez comprendre qu’on est pas tous aussi décontracté du slip que vous ? Si ça vous plaît de vous trimballer à moitié à poil la plupart du temps, grand bien vous fasse, mais moi, je…
Son monologue fut interrompu par le sweat masculin que Dorian venait d’ôter, de lancer, et qu’elle réceptionna sur la tête.
— Merci ? tenta-t-il après qu’elle eut refait surface de derrière le tissu.
— Merci, plagiat-elle en une grimace des plus matures.
Joséphine ne se fit pas prier pour enfiler le vêtement du géant, et le zipper jusqu’au niveau du menton. Il était si grand, qu’il l‘ensevelissait tout entière. N’étaient plus perceptibles qu’un nez, deux yeux, et des jambes qui cavalaient dans l’ombre du danseur. Il ne l’attendait pas, il pressait le pas, les yeux rivés sur l’écran de son portable affichant l’heure. Il allait si vite que, lorsqu’il s’immobilisa enfin, Joséphine n’eut pas le temps de freiner, et acheva sa course contre un dos bien trop dur.
— Aïe, laissa-t-elle échapper en se frottant le nez.
Un gémissement plaintif qui fut bien vite avalé par les applaudissements nourris qui retentirent dans la vaste pièce.
— Excusez mon retard, laissa-t-il entendre en poussant sur sa voix.
Et le silence fut. Partout, des enfants en justaucorps et collants. Des filles, des garçons. Et des parents aussi. Beaucoup trop de parents. Tout sourire, trépignant d’impatience, ils semblaient presque plus impliqués que leur propre progéniture. On s’approcha du danseur, on voulut lui serrer la main, lui parler, lui sourire, l’accaparer, obtenir quelques miettes de son attention, quelques grammes de son aura, de sa lumière. De son talent. Des Marie-Chantal dont le point culminant de leur semaine, de leur mois peut-être, se déroulait en cet instant fugace. Un instant que Dorian balaya d’un revers de main, en un repli stratégique. Comme une chorégraphie longuement répétée, Gwenaël s’interposa entre la foule de parents et le danseur qui s’éloignait à reculons. L’atrophié des relations et son bodyguard enthousiaste. Le prof de danse s’était présenté comme ami d’enfance, et Joséphine avait toutes les peines à se représenter deux amis si opposés.
— J’ai une question, annonça Joséphine en le rejoignant dans un coin de la pièce. Si des gosses viennent me parler, risquent-ils d’être foutus à la porte du cours ? Je ne voudrais pas ruiner leur future carrière juste par ma présence.
— Pas maintenant, se contenta-t-il de la prévenir en un regard fugitif.
Alors elle comprit. Joséphine réalisa que tout ceci l’insupportait. La présence de cette cour ondulant autour de lui comme s’il était le Messie, l’oppression de cette foule pour quelques secondes de son attention. Alors pourquoi s’imposait-il cet exercice ? Pour les enfants, s’aperçut-elle en jetant un coup d’œil à la ronde. C’était ici qu’il avait débuté. Joe se demanda pourquoi elle ne faisait le rapprochement que maintenant. Des heures à s’interroger sur le pourquoi de Brest, alors qu’il s’agissait de sa ville d’origine, de son conservatoire, de ses débuts.
Lèvres scellées, Joséphine se laissa glisser au sol, au plus près des affaires qu’il venait d’y abandonner. Elle n’avait pas sa place parmi les apprentis danseurs, pas plus qu’elle ne saurait supporter les cancanages de leurs parents. Aussi décida-t-elle qu’elle appartenait à la catégorie des choses du corps professoral. Entre la veste de Gwenaël et le téléphone portable de Dorian, elle observait le professeur et l’étoile se mettre en place face aux grands miroirs.
Les enseignements s’enchaînèrent. D’abord les garçons, puis les filles, et enfin tous ensemble. Dorian montrait, Gwenaël corrigeait. Ils s’y reprenaient parfois à de très nombreuses reprises, sans se lasser, sans perdre patience. En douceur, presque tendrement, l’intransigeant, le tyrannique devenait pédagogue, accompagnant. Joséphine voyait cette flamme qui brûlait dans chacun de ces regards enfantins. Il était le modèle, l’aboutissement, le rêve. Et loin de se montrer inaccessible, il leur faisait la courte-échelle vers les étoiles.
Dorian était sur le point d’exécuter une démonstration solo, lorsque Joséphine cherchant à s’informer de l’heure, tapota d’un index l’écran du portable à ses côtés. Ce n’était pas le sien, et elle ne le réalisa qu’en prenant connaissance de la notification qui lui brûla les rétines.
Ainsi, il avait quelqu’un dans sa vie ? Quelqu’un avec des envies très précises et des façons très directes de les communiquer. Il n’était même pas encore seize heures, enfin ! C’était l’heure d’un pain au chocolat et d’un jus de pommes, à la rigueur, mais pas… Le regard de Joe ne parvenait à quitter le rayon primeur qui s’exposait sur cet écran. C’était qui ? Pourquoi n’en avait-il jamais parlé ? Probablement parce qu’ils n’avaient jamais parlé tout court. Mais tout de même, n’aurait-il pas pu l’évoquer, même succinctement, lorsqu’ils s’étaient retrouvés uni pour le pire et pour la nuit ? Du genre « Oh, diantre, que vais-je bien pouvoir dire à ma chère E…lodie ? » Eloïse ? Elisa ? Eliott ? Edmond ? Eh merde !
Une nouvelle slave d’applaudissements fit sursauter Joséphine qui, dans sa panique, glissa son doigt sur l’écran. Mince, où était passée la notification ? Reviens ! En de multiples manipulations frénétiques, Joséphine ne parvint qu’à afficher la météo et l’état désastreux du CAC 40.
Lorsqu’elle releva le nez pour s’informer de l’avancée du cours, elle constata avec stupeur que parents et enfants avaient presque tous déserté. Ne restaient que quelques maigres groupes, et les deux hommes qui avançaient dans sa direction. Joe en lâcha le portable sans ménagement.
— Vous venez boire un verre, ce soir ? demandait Gwenaël en épongeant sa nuque.
Dorian répondit fatigue, besoin de repos, cours du lendemain.
— Y aura Emma, ajouta Gwenaël.
Et les traits de l’étoile s’en trouvèrent altérés.
E…mma. Putain !
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