Fyctia
17. Masterclass (1/3).
La suite était à l’image de ce que Marie avait décrit. Spacieuse, lumineuse, mais surtout composée de deux pièces. Trois, si on comptait la salle de bain bien plus vaste que la chambre de Joe à Paris. L’Art Déco du hall devait se prolonger dans les chambres puisqu’avec ses ton bleu nuit, orange et cuivre, la suite donnait le sentiment d’un plongeon dans une époque révolue mais dotée de tout le confort moderne.
Si Dorian déposa sans ménagement son sac dans un coin sans mot dire, l’enthousiasme d’une Joséphine se précipitant sur la baie vitrée pour découvrir l’immense terrasse vue mer fit naître un sourire satisfait sur les lèvres d’un Dupond stoïque.
— Si vous n’avez plus besoin de moi, entonna-t-il en tendant sa paume.
— Rêvez pas, lui répondit simplement le danseur en passant devant lui.
Le goulot de champagne toujours aux lèvres, le jeune marié traînait son grand corps à travers les différents espaces. Dupond avait tourné les talons avec déception, et ne demeuraient plus que ces deux quasi inconnus dans l’espace vaste mais trop intimiste d’une suite supposée abriter des ébats.
— Ça fera l’affaire, décida Dorian.
L’affaire pour quoi ? Pour une nuit de cohabitation forcée ? Il ne lui confia pas la nature de ses réflexions, mais claqua la bouteille sur la table basse avant de… Non, pas encore !
—Vous allez arrêter de vous foutre à poil ?
La voix cavalant dans les aigues témoignait de la panique plus que de l’indignation de Joséphine. Le tissu de son tee-shirt que ses grandes mains avaient embarqué en même temps que le pull, au niveau du nez, le danseur lui jeta un regard froissé.
— Je vais prendre une douche.
— Bah déssapez-vous dans la salle de bain.
D’un index impérieux, elle lui désigna la porte ouverte qui laissait entrapercevoir la douche à l’italienne en plus d’une baignoire. Elle ne prit conscience de son apnée qu’après qu’elle eut expiré en même temps que la porte de la salle de bain claquait sur un dos nu. Il avait obéi. A moitié. Il n’avait accédé à sa requête qu’après avoir laissé tomber pull et tee-shirt enchevêtrés sur la moquette du salon.
— Donc… l’entendit-elle commencer depuis l’autre côté de la cloison. On reste sur le « vous » ?
— Ouais, on sera ce couple de bourgeois coincés qui ne baise qu’une fois l’an, répondit-elle en jetant son sac de voyage sur le grand lit King Size.
Un bruit lourd depuis la salle de bain l’alerta. Oreille tendue, elle se surprit à s’inquiéter une petite seconde, avant de percevoir le bruit de l’eau.
— Tout va bien ? demanda-t-elle tout de même.
— Oui.
En économie de mot, il n’ajouta rien d’autre. Tout allait bien. Et en même temps, de quoi s’inquiétait-elle ? Qu’il glisse et se rompe le cou ? Au pire, elle aurait la chambre pour elle seule. Et un hommage posthume à rédiger. Dans un souci de bien marquer son territoire, elle entreprit de sortir ses affaires de son grand sac, et les aligner sur le matelas. Elle n’en avait pas emmené beaucoup, aussi les répartit-elle de manière aléatoire sur toute la surface. Le message était-il assez limpide ?
— J’allais vous laisser le lit, vous savez ?
La voix dans son dos fit claquer son cœur et sa main fébrile se colla contre son sein pour éviter toute évasion de son palpitant.
— Tant mieux, ça m’évite de devoir faire pipi tout autour, du coup, répondit-elle dans une volteface malhabile.
— Vous avez un sérieux problème de vessie.
D’une serviette blanche il frictionnait ses cheveux humides, tandis que l’autre s’accrochait à ses hanches en un minuscule et ridicule petit nœud qu’une expiration aurait pu faire céder. En toute impudeur, il exposait un épiderme encore légèrement ruisselant. Une peau comme les chemins de Corse, faite de monts et vallées, entre mer et montagne. Un océan calme qui s’agitait à chaque respiration. Des ombres et des lumières qui s’alternaient à chaque mouvement. Un marbre vivant. Un marbre vibrant. Et une cécité qui tarda à intervenir.
— Habillez-vous, bordel ! beugla-t-elle enfin en plaquant ses deux paumes contre ses yeux.
— Craignez-vous de ne pas tenir un an, Marie-Cécile ?
Et il ricanait, en plus ? Sombre crétin !
Il avait quitté la chambre depuis longtemps lorsque Joséphine consentit à recouvrer la vue. Par mesure de précaution, elle hasarda un regard dans le salon avant d’y poser le pied. Le danseur avait un nouveau jean sur les hanches, un tee-shirt sur le dos, et assit dans un énorme fauteuil moutarde, il entreprenait de lacer ses boots hors d’âge.
— On va quelque part ?
« On », car il était hors de question qu’il la largue en plein Brest, même dans le confort et la sécurité d’une chambre d’hôtel.
— Maxence vous catapulte en région mais ne vous dit pas pourquoi ? interrogea-t-il en se redressant pour récupérer son manteau. Et ça ne vous questionne pas sur ses réelles motivations ?
— Qui sont ? demanda-t-elle en réenfilant son manteau à son tour.
— M’emmerder.
Sur cette affirmation, il claqua la porte par laquelle Joe venait de le précéder. Il glissa la clef magnétique dans la poche de son jean, et ils furent à nouveau dans l’ascenseur. Dorian ne lui avait toujours pas dit où ils se rendaient, mais sa réflexion concernant Maxence la fit réfléchir. L’agent n’avait donné aucune précision, il avait juste évoqué le déplacement en Bretagne, et la possibilité qu’elle s’y joigne. Il l’avait présenté comme une opportunité d’en apprendre plus sur Dorian, de mener à bien son travail de recherches préparatoires, mais finalement n’avait fait que la foutre, une fois de plus, dans les pattes du danseur par surprise. Tenait-il à ce point à cette biographie ? Connaissait-il suffisamment l’étoile pour savoir qu’il finirait par céder à l’usure ? Ou bien était-elle l’outil d’un tout autre dessein ?
— Ah bah voilà, là c’est la Bretagne ! tonna-t-elle une fois sous l’auvent de l’hôtel.
Dans son dos, les portes vitrées se refermaient. Face à elle, le ciel pleurait à chaudes larmes. Un déluge si violent que s’il n’avait tenu qu’à elle, ils auraient opéré un demi-tour stratégique. Mais Dorian, un pas devant elle, venait d’ouvrir un parapluie et lui offrait son bras. Pardon ?
— Qui êtes-vous et qu’avez-vous fait du connard en collants ?
S’il ne répondit pas, il n’hésita pas à la larguer sous son auvent, sans autre choix que de faire effectivement demi-tour, ou bien cavaler sous la pluie pour le rattraper. Joséphine opta pour la deuxième solution et s’accrocha à ce bras refuge. Et l’univers ne fut plus réduit qu’à ça : un parapluie pour deux et l’apocalypse tout autour.
Joséphine en perdit l’usage de la parole. Aucune provocation, pas l’ombre d’une attaque ne naquit sur ses lèvres. Elle se contentait de rester là, tout contre ce point d’interrogation géant qui la conduisait vers toujours plus de points d’interrogation. Jules avait raison. Elle avait le don de se fourrer dans des situations impossibles.
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Gottesmann Pascal
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Ines.m
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Emeline Guezel
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Ophélie Jaëger
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Il y a un an