Ophélie Jaëger L'albatros 12. Houblon.

12. Houblon.

— T’as pas fait ça ?


Jules, hilare, son grand corps secoué de rire, en agitait tout autant la chope qu’il tenait en main. Lorsqu’il la claqua contre le zinc du bar, son client eut une grimace devant cette bière composée à quatre-vingts pourcents de mousse qui débordait de toutes parts.


— Arrête de te moquer, t’aurais fait la même chose à ma place…


Joséphine, la tête entre les mains, le regard noyé dans son fond de verre désespérément vide, n’en finissait plus de se rejouer la scène et de se torturer tout autant. Plusieurs jours s’étaient déployés depuis son fameux coup d’éclat sans qu’il ne cherche à s’excuser. Sans qu’il ne cherche à la contacter, d’ailleurs. Elle avait été trop loin, elle en avait conscience. Lui hurler dessus de la sorte devant ses collègues et probablement son patron aussi était la dernière chose à faire. Comment réagir autrement face à sa mauvaise foi et sa volonté de la diaboliser de la sorte ? Il l’avait drapé d’un voile d’interdit, s’assurant que personne ne prendrait le risque de l’approcher et de lui révéler quoique ce soit. Elle avait eu tous les droits d’exprimer sa colère. Non ?


— Non, répondit Jules comme s’il lisait dans les pensées de sa sœur. Parce que, pour commencer, je ne me serais jamais foutu dans une situation pareille. Le mec, il le porte sur lui qu’il est pas clair.


Il avait à peine achevé sa phrase que, le regard vissé à l’écran géant sur le mur opposé au bar, Jules laissa jaillir un cri rauque tout droit venu des profondeurs de ses tripes. Joséphine jeta un coup d’œil par-dessus son épaule afin de s’assurer de ce qu’elle savait déjà : le PSG venait de marquer un but. La seconde suivante, Jules, dans les bras de l’autre barman, sautillait sur place en une dissonante symphonie de chants supporters.


— Parce que toi, t’es hyper équilibré comme mec, grimaça-t-elle en désignant du menton l’autre barman occupé à faire du djembé sur l’arrière-train de son frère.

— Ça n’a rien à voir, on est content, c’est tout.

— Je me demande si papa fait subir ça à son Général en cas de promotion ?


L’image de son père tapotant les fesses d’un Général d’Armée fit ricaner Jules avant qu’il ne réalise et, d’un geste, fasse cesser son collègue et ami.


— T’as quand même un bon petit don pour pourrir les ambiances, reprit-il dans un raclement de gorge.

— En parlant de papa, il sait que tu as abandonné Polytechnique pour faire barman à la place ?

— Ah ouai, donc on est sur une utilisation à 300% de ton super-pouvoir de casse-couilles, là.


C’était un coup bas. Joséphine en avait bien conscience, et l’air affiché par Jules ne faisait que lui donner raison. Elle avait été confrontée à l’intransigeance paternelle, aussi était-elle la mieux placée pour comprendre les raisons qui motivaient les mensonges par omissions de son frère. Cependant, elle avait beau l’entendre, elle ne cautionnait plus. Elle ne supportait plus d’être seule dans cet exil. Elle n’acceptait plus qu’on la ramène systématiquement à ce frère qui faisait la fierté de tous. S’ils savaient… Si son père savait…


— Je n’ai pas abandonné Polytechnique, niait Jules regard et mains occupés par ce verre qu’il lustrait un peu trop ardemment, un peu trop longuement.

— Ça fait une semaine que tu squattes ma chambre, Juju.


Une semaine qu’il n’avait pas mis les pieds dans sa propre chambre d’étudiant. Ni en cours, donc.


— J’ai juste raté quelques cours, rien de définitif.


Joséphine l’observa un moment. Ces sourires qu’il adressait à la clientèle régulière de ce bar convivial du 12ème arrondissement. Ces éclats de rires destinés à son ami James, propriétaire et barman du lieu. Les numéros de téléphone griffonnés sur des serviettes en papier qu’il réceptionnait et collectionnait derrière le bar. Jules n’avait jamais semblé aussi épanoui que ces derniers jours. Le gamin désespéré, étouffé par les ambitions titanesques d’un père, avait disparu au profit de cet autre dans lequel Joséphine se reconnaissait bien plus.


— C’est fou, j’ai l’impression d’voir double ! tonna une haleine fortement alcoolisée.


Du coude, l’homme d’une cinquantaine d'années se laissait glisser contre le zinc. Son menton échoué au creux de sa paume n’en finissait plus de se rapprocher de celui de Joe.


— On dirait lui, reprit-il en désignant vaguement une direction proche de Jules. Mais avec une perruque moche.

— Ok Bebert, il est grand temps de rentrer chez toi faire un petit somme, d’accord ? intervint Jules.


D’un mouvement de bras, ce dernier fit signe à une silhouette mi-homme, mi-armoire à glace, qui s’empressa de venir ramasser l’ivrogne. En se hissant sur le repose-pied de son tabouret de bar, Joséphine chercha à attraper son reflet dans le miroir qu’on apercevait à peine derrière toutes ces bouteilles d’alcool.


— Ils ont quoi mes cheveux ?

— Rien, ils sont parfaits, Mowgli.


Joséphine se renfrogna et tout en se laissant retomber sur l’assise du tabouret dont la mousse émit un sifflement plaintif, elle entreprit de lisser ses ondulations sauvageonnes.


— Bon, pour en revenir à toi, s’empressa d’enchainer Jules de peur que sa sœur veuille poursuivre sur le sujet « papa ». Tu abandonnes, donc ?

— Si seulement… Mais j’ai signé le contrat.


Elle avait finalement signé quelques jours auparavant. En obtenant la promesse du danseur qu’il la laisserait faire son travail, elle y avait bêtement cru. Et les sommes annoncées sur ledit contrat avaient achevé de la convaincre. Il s’agissait d’une rentrée d’argent qu’elle ne pouvait refuser. Quelques zéros qui reposaient sur son compte en banque sous forme d’avance. Une avance qu’elle avait bien entamée, et n’avait plus moyen de restituer dans son intégralité en cas de rupture de contrat.


Joe s’apprêtait à noyer son désespoir dans une nouvelle chope de ce que voudrait bien lui servir Jules, lorsque son téléphone vibra contre le bar. Plus par réflexe que par curiosité, elle s’informa de l’identité de l’importun qui la contactait si tard. Maxence Duchêne ? Rapidement, elle survola le texto, et un sourire florentin s’imprima sur ses lèvres.


— J’ai peut-être un dernier coup à jouer, annonça-t-elle en tendant l’écran son portable vers son frère.


Un frère qui plissa des paupières et se pencha en avant à mesure de sa lecture. Une lecture qu’il acheva à moitié allongé sur le zinc.


— Hors de question ! tonna-t-il en se redressant. Tut tut, moi vivant, jamais de la vie. Même pas en rêve, Joséphine.

— Je suis une grande fille, Jules, rétorqua-t-elle sans se départir de son énigmatique sourire. Je t'enverrai un texto à mon arrivée.


Jules tenta bien de s’opposer, de lui faire entendre raison, mais Joséphine profita de l’agitation d’un nouveau but de l’équipe parisienne pour s’exfiltrer. Demain, elle aurait une journée chargée.


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40

40 commentaires

WildFlower

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Il y a un an

Oh purée il se passe Quoi demain ? Attends faut que je lise la suite

Livre_e

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Il y a un an

🙃

Anna C

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Il y a un an

Pureee mais non, je veux trop savoir ce qu'il va se passer le lendemain du coup, le mystère est bien posé à la fin aaaah. Faut vraiment dormir la nuit ? Parce que je veux les infos moi. Bon, allez, une dernière partie et dodo. Je suis trop investie dans ma lecture, je veux savoir à quoi va ressembler la remontadaaaaa.

Ophélie Jaëger

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Il y a un an

Le fait que tu aies enchainé les chapitres de la sorte, c'est absolument génial pour moi. Ca veut dire que ça marche, pas vrai ?

François Lamour

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Il y a un an

Like de soutien 😁 N'hésite pas à me rendre la pareille sur le roman : Connard romantique Merci.

Céline Carberge

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Il y a un an

Qu'est-ce qu'il dit le texto là ? Oh dis moi tout !!

Ophélie Jaëger

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Il y a un an

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Gottesmann Pascal

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Il y a un an

J'aime bien le caractère protecteur de Jules. Mais Joséphine est bien décidée à ne pas se laisser couver.

Ophélie Jaëger

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Il y a un an

Quoiqu'en dise Jules, Joséphine est l'aînée malgré leur gémellité, elle ne se laissera jamais couver haha

Lhana1709

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Il y a un an

Je repasse lire ton histoire car elle me tente bien et ta couverture est magnifique...En attendant, je te like tout...😀😀 Merci pour ton like
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