Fyctia
10. Toile (2/2).
Et c’est ce qu’il fit. En silence. Sur plusieurs étages. Joséphine le précéda dans un étroit escaliers, celui qui menait à la résidence, puis un couloir tout aussi étriqué, avant de déboucher sur un nouvel escalier bien plus vaste et au décorum très travaillé, desservant des logements bien plus spectaculaires que la petite chambre de bonne dans laquelle elle vivait.
Les deux coups donnés contre la porte n’obtinrent aucune réponse. Mais elle n’était pas verrouillée, comme à son habitude.
— Eliane ? appela Joséphine.
Personne. Ce n’était pas plus mal. La jeune femme n’imaginait que trop bien la réaction de sa grand-mère en présence du danseur. C’était à éviter. D’un index tendu, elle lui indiqua la double porte ouverte menant au salon, avant de s’enfoncer dans les profondeurs du couloir en direction de la cuisine.
— Café ? Thé ? Mort aux rats ? proposa-t-elle depuis cette dernière.
Pas de réponse. Soit. Ce fut donc avec un plateau chargé d’une théière, d’une cafetière et de deux tasses qu’elle revint sur ses pas. Une pointe d’appréhension jouait du scalpel contre ses tripes à l’idée de découvrir le salon vide. Mais il était bien là, debout au centre de la vaste pièce, son attention tout happée par les tableaux au mur. L’un d’eux en particulier. Celui que Joséphine aurait préféré accroché n’importe où ailleurs, mais certainement pas la vue de tous. Sur la toile d’un mètre de large, Eliane, la trentaine éclatante, était représentée assoupie sur une méridienne de velours vert. Dans le plus simple appareil.
— Ce n’est pas moi, bafouilla Joséphine à la hâte.
— Je sais, se contenta-t-il de répondre.
Malgré le regard perplexe que lui offrait Joe, il n’explicita rien, et se détourna de la toile pour la rejoindre près de la grande table. Comment pouvait-il savoir qu’il ne s’agissait pas de Joséphine, là où même son propre frère jumeau se trouvait mal à l’aise en l’observant ? La ressemblance entre les deux femmes au même âge était au-delà du troublant. C’est bien simple, parfois Joséphine en était à se demander si sa grand-mère n’avait pas participé à un programme clandestin de clonage, faisant de Joe un genre de Dolly version humaine. Et lui, là, il avait su en un seul coup d’œil, que cette nudité n’était pas sienne ? Balèze.
— Bon, de quoi vouliez-vous qu’on parle ? reprit-elle afin de faire taire son cerveau sur le reste.
— Du contrat.
Eh bien quoi, le contrat ?
— Signez-le, conclut-il en se servant une tasse de café dans lequel il glissa deux sucres.
— Vous allez me laisser faire mon travail ?
Méfiante, Joséphine l’observait du coin de l’œil, tout en tirant une chaise pour s’installer face à lui. En des gestes calmes et presque délicats, il faisait tournoyer la cuillère dans son breuvage pour y délayer le sucre.
— Vous ne renoncerez jamais, n’est-ce pas ?
Elle avait été sur le point de le faire un peu plus tôt dans la journée. Elle avait envisagé cette option et s’en était ouverte à Eliane et Jules.
— Non, mentit-elle.
— Voilà, énonça-t-il dans un ample mouvement de bras résigné.
Elle avait gagné ? Vraiment ? Finalement elle n’était pas celle qui renonçait puisqu’il avait accepté d’endosser ce rôle. Joe se serait bien élancée dans une danse de la victoire des plus mature et responsable, mais décida de garder cette chorégraphie pour lorsqu’elle rejoindrait ses amis, plusieurs étages au-dessus.
— Bien, alors il va me falloir votre numéro de portable, commença-t-elle en tirant le sien de sa poche. Ainsi que le contact de vos proches que vous m’autorisez à consulter. Dans l’idéal, il serait bien que je puisse assister à quelques répétitions, voir comment vous travaillez, tout ça. Et aussi qu’on s’aménage quelques moments pour que vous me parliez de vous et de ce que vous voulez que je raconte sur…
Un bruit sourd interrompit son monologue, et en redressant le nez de son portable, Joséphine comprit qu’il s’agissait du front que Dorian venait d’écraser contre la table dans un gémissement plaintif. D’accord, il n’était pas emballé, mais pas la peine de se montrer si démonstratif.
— Pourquoi accepter si vous ne voulez pas de ce livre ?
— Je ne veux plus prendre le risque de vous voir poper dans ma vie comme un Oompa Loompa sous acide, geignit-il depuis la table.
Dans un râle ténu, il se redressa sur ses coudes, puis avança un bras pour s’emparer du téléphone de Joséphine. Elle l’observa pianoter un instant, puis le lui renvoyer en une glissade contre le plateau de la table. La seconde suivante, il se tenait debout et finissait son café d’une traite.
— Je vous texterais horaires et lieux du prochain rendez-vous. Ne soyez pas en retard, je déteste les gens en retard.
Et il tourna les talons. L’écho de ses pas s’étiola à mesure qu’il s’éloignait, puis la porte claqua en même temps que le palpitant de Joséphine. D’un simple coup d'œil, elle s’informa de la nouvelle entrée dans le répertoire de son téléphone. Dorian Jézéquel, avait-il simplement indiqué en plus de son numéro de portable. Joe effaça nom et prénom, et rebaptisa le contact « Jean-Marc Généreux ».
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Mllecycy
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Il y a un an
Ophélie Jaëger
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clecle
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Gottesmann Pascal
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Carl K. Lawson
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Il y a un an