Ophélie Jaëger L'albatros 6. Dépravation.

6. Dépravation.


  • de : Maxence Duchêne
  • à : Joséphine Orsini
  • objet : Contrat
  • J’attends toujours cette signature de contrat, mademoiselle Orsini. M.
  • de : Joséphine Orsini
  • à : Maxence Duchêne
  • objet : Référent harcèlement ?
  • Donc on part sur un harcèlement tout support ? Dois-je m’attendre à un pigeon voyageur pour votre prochaine relance ? Je signerai lorsque j’aurais trouvé le titre pour l’autobiographie. Qu’en pensez-vous « anatomie d’un gros con » ou « itinéraire d’un connard en collants » ? Joséphine.
  • de : Maxence Duchêne
  • à : Joséphine Orsini
  • objet : On dit ragondins ailés à Paris
  • Anatomie ? Vraiment ? Le deuxième, sans hésitation. M.

Joséphine esquissa un sourire avant de faire claquer l’écran de son ordinateur portable. La luminosité de la pomme entamée s’étiola doucement. Bientôt dans cette grande pièce vide, il n’y eut plus que l’horloge digitale au mur pour percer les ténèbres de son « 05 :16 » agaçant. Ça et une silhouette immobile à quelques mètres d’elle.


— B’jour, ânonna le fantôme.


Et le silence ne dut son salut qu’à cette main que Joséphine enfonça contre ses lèvres pour étouffer son cri de terreur.


— Fut un temps je séduisais les hommes en un claquement de doigts, aujourd’hui je terrifie même ma meilleure amie. La maternité est un naufrage, grommela Natasha avec théâtralité.


Il fallait avouer qu’avec ses cheveux en vrac, son tee-shirt informe, et ses cernes si vastes qu’on aurait pu les confondre avec des bas-joues, les apparitions matinales de Natasha avaient perdu de leur superbe. La faute au mini-démon qu’elle avait mis au monde quelques quatorze mois plus tôt. Mi-Natasha, mi-l’abominable crevard du CAC40 qui avait pris la fuite au premier test positif. Heureusement, l’enfant ne ressemblait en rien à son géniteur, si ce n’est peut-être dans sa propension à empêcher sa mère de dormir.


— La dépravation de sommeil... commença Joe avant que son amie ne l’interrompe.

— Déprava-quoi ? Il est cinq heures du mat, Joe, par pitié, parle français.


Joséphine songea un instant à lui expliquer ce mot, mais préféra baisser les bras. A quoi bon ? Natasha souffrait effectivement de dépravation de sommeil, ce qui la rendait, surtout à cinq heures du matin, évidemment moins prompte à se farcir les explications alambiquées d’une Joséphine qui l’était tout autant. Mais surtout, Natasha était russe. Nouvelle résolution de Joséphine : le jour où elle maîtriserait le russe comme Tasha le français, alors elle pourrait jouer les Maîtres Capello du petit déjeuner.


—T’es tombée du lit ou tu n’y es pas encore allée ? reprit la jeune mère en déversant la moitié de la cafetière dans une chope de bière.

—Jules, se contenta de répondre Joséphine.


Son amie hocha de la tête en se laissant tomber sur une chaise en bout de table, sa chope aux lèvres, ses cheveux dans le visage.


— Tombée du lit, donc. Et l’ordi, c’est pourquoi ? Serait-on soudainement inspirée par l’affreux danseur ?

— Non, je ne faisais que répondre aux mails de son agent.

— Avec le sourire, nota-t-elle puisque rien n’échappait jamais à Natasha. Est-ce qu’il est…


Si elle n’acheva pas sa phrase, les sourcils entamant la samba au-dessus de ses yeux clairs ne laissèrent aucun doute quant à la nature de son interrogation.


— Amusant ? Ça lui arrive.


La jeune femme savait très bien où son amie voulait en venir, mais n’avait aucune intention de se laisser glisser sur ce toboggan abrupt direction « la vie sexuelle de Joe », cette émission en zéro épisode dont semblait, pourtant, raffoler Natasha.


— Et ça, c’est quoi ? demanda justement cette dernière en étirant un bras afin d’accrocher un papier qui dépassait de la pochette de Joe.


Le résumé succinct du parcours professionnel de Dorian. Celui que lui avait remis Maxence à leur première rencontre, et qu’elle n’avait jusqu’alors que survolé. Mais ce n’était pas sur la prodigieuse et si rapide ascension du danseur que Natasha avait focalisé son attention. C’était sur la photo qui accompagnait le dossier-presse.


— C’est lui le danseur ?


Pour l’occasion, elle avait débarrassé son visage de tout cheveux et… de toute trace de fatigue. D’un index hyperactif, elle tapotait l’image sur papier glacé comme pour mieux l’imposer à Joséphine.


—Il est méga miam ! Pourquoi tu m’as rien dit ? s’indignait-elle. Tu m’étonnes que tu t’accroches au projet.


Et la danse des sourcils reprit de plus belle. Tellement agaçante que Joséphine récupéra le document sans une once de ménagement. L’arrachant presque aux mains de son amie pour le lisser ensuite entre ses doigts qui évitèrent soigneusement la zone de la photo.


— C’est au salaire que je m’accroche, nuance. Et il est surtout méga con. Mais si tu veux y aller, vas-y, fais-toi plaisir.

— Tu plaisantes ou quoi ? Comment voudrais-tu que j’intéresse un mec comme ça ? Je ressemble à un ragondin.


Mais qu’est-ce qu’ils avaient tous avec les ragondins, aujourd’hui ?


— Alors que toi… reprit l’accent russe tandis que sa propriétaire quittait sa chaise pour venir se positionner derrière Joséphine. En coiffant un peu cette tignasse et en optant pour des vêtements un peu plus féminins…


D’un mouvement agacé, Joséphine arracha ses ondulations martyrisées par la poigne de Tasha. Par précaution, elle quitta également son siège et aménagea une distance de sécurité entre elle et la Cristina Cordula Russe. Qu’est-ce qu’elle avait contre ses cheveux ? Ou ses vêtements, d’ailleurs ? Un jean, un pull certes pas de prime jeunesse, mais n’était-on pas, justement, en pleine ère glorieuse de la seconde main ?


— Si tu le séduisais un peu, peut-être que…


Joséphine comprenait parfaitement la logique de son amie. Une logique d’un autre âge et qui ne ressemblait en rien à l’autrice, mais logique qui avait fait ses preuves depuis la nuit des temps dans toutes bonnes sociétés patriarcales. Son ordinateur sous le bras, Joséphine s’empressa de le fourrer dans son grand tote-bag où se trouvait déjà le reste de son nécessaire de survie.


— J’ai pas besoin de le séduire, j’ai juste besoin d’un plan, annonça-t-elle dans un sourire triomphal.


Triomphal car le plan était déjà établi et se résumait en cette petite feuille qu’elle tira de son sac et consulta dans une moue sadique. Natasha foula le parquet grinçant pour revenir se placer derrière son amie qu’elle dépassait d’une tête et consulter le document par-dessus son épaule.


— C’est son emploi du temps, réalisa-t-elle avant de réellement comprendre. C’est ça ton plan ? Le stalker ?

— Oh que non, rectifia Joe. Un stalker se planque là où, moi, je vais être ostensiblement visible.


Le sourire sadique migra des lèvres de Joe jusqu’à coloniser celles de Tasha et toutes deux partir d’un rire complice qui fit émerger une pluie d’insultes depuis les chambres adjacentes. Et les pleurs d’un enfant. Dans un soupir de supplicié, Natasha déserta la pièce commune, et Joséphine entreprit d’enfiler ses baskets.


Elle n’avait plus une minute à perdre. Le connard en collants débutait sa journée dans moins d’une heure.


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65

65 commentaires

Gottesmann Pascal

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Il y a un an

Ce chapitre est tellement drôle même si la pauvre Natasha en prend pour son grade. Les joies de la maternité. J'aime beaucoup la relation entre Joséphine et elle. Deux vraies copines qui peuvent tout se dire sans se vexer ni se facher.

Ophélie Jaëger

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Il y a un an

Je note que l'amitié fonctionne bien entre elles (j'avais peur que ça ne fasse pas assez naturel, du coup tu me rassures une nouvelle fois) merci !

clecle

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Il y a un an

Elle a repris du poil de la bête la Joséphine ! Sympa la Natasha, elle est rigolote, même si on sent qu'elle ne vit pas ses meilleurs jours (ou nuits, la pauvre). J'ai hâte de voir ce que Joe va réaliser comme embrouilles avec son plan machiavélique XD

Ophélie Jaëger

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Il y a un an

Aaaah, Joe a des idées, mais encore faut-il parvenir à les réaliser... ;)
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