Fyctia
5. Labyrinthe.
Dorian la précédait de plusieurs mètres, mais Joséphine savait qu’avec ses grandes jambes et sa connaissance du terrain, il aurait pu, s’il l’avait seulement souhaité, la semer sans difficulté. Cette filature n’en était pas une. Joe n’était pas dupe. D’ailleurs, une fois suffisamment éloignés du tumulte, il brisa ce silence auquel la jeune femme s’était tant habitué qu’elle accusa un léger sursaut.
— Comment êtes-vous entrée ?
C’était donc cela qui l’intriguait plus qu’autre chose ?
— Par la porte, s’entendit-elle répondre.
Elle s’en mordit immédiatement la lèvre inférieure en le voyant faire volte-face pour lui imposer toute cette sourde colère qui incrustait les traits de son visage. Un visage qu’il avait d’anguleux, comme taillé à la serpe, marqué par la fatigue en plus du courroux provoqué par ses soins. Mais le plus impressionnant demeurait ces deux pointes d’un bleu irréel presque translucide qui semblaient pénétrer en elle, déchirer chaque couche d’épiderme pour mieux s’en prendre à son âme. Des icebergs inquisiteurs surplombés par deux sourcils qu’il froissait à mesure que Joe se complaisait dans un contemplatif silence.
— Vous êtes toujours aussi agaçante ou c’est un plaisir que vous me réservez ? s’impatienta-t-il en allant crocheter de ses doigts nerveux ses mèches brunes que la sueur avait légèrement bouclées.
— C’est moi qui suis agaçante ou bien le danseur reconverti en tour operator ? grinça-t-elle à son tour.
Le sourire en coin qu’il afficha acheva d’enflammer les nerfs de la jeune femme. Non content de sembler très satisfait de lui-même, il ne lui offrit rien de plus que son dos tandis qu’il se remettait en mouvement. N’ayant pour choix que de le suivre ou d’errer de ces couloirs labyrinthiques jusqu’à ce que mort s’ensuive, Joséphine opta pour la première solution.
Il demeura un long moment silencieux, leur déambulation uniquement rythmée par le grincement du parquet et quelques éclats de voix dans le lointain. Du mutique danseur, Joséphine extrayait de multiples informations. De sa stature à la fluidité de ses mouvements, de sa posture à la manière dont on le saluait, l’autrice obtenait et collectionnait de précieux indices pour son hypothétique futur portrait. Un portrait plus que compromis s’il s’obstinait à ne lui offrir que son silence.
— Vous savez que vous en prendre à moi ne règlera pas le problème ? brisa-t-elle le pesant silence tandis qu’il la précédait dans une petite pièce. C’est avec votre agent qu’il faut régler ça.
— Il est plus simple de vous forcer à renoncer, répondit-il en appuyant sur un interrupteur.
La petite pièce s’illumina, mais Joséphine ne prêta attention ni au sofa d'un autre âge, ni au miroir cerné d’ampoules vieillottes. Toute son attention était focalisée sur cet idiot à la logique plus que limitée.
— Si je ne signe pas ce contrat, Maxence le fera signer à une autre prête plume, rétorqua-t-elle. Bravo Einstein, il est rudement bien ficelé votre plan !
— Alors je ferais renoncer la suivante, et celle encore après…
Joséphine aurait pu être fascinée par le calme olympien avec lequel il exposait sa machiavélique stratégie, mais son cerveau se retrouva subitement ankylosé à mesure que le danseur se délestait de son tee-shirt. Dans un premier temps, elle nota chacun des muscles de ce dos pour les ajouter à sa collection mentale. Elle plissa ses paupières en en découvrant certains dont elle n’aurait jamais soupçonné l’existence, anatomiquement parlant. Puis, brusquement, son cerveau passa en mode sécurité, et elle paniqua.
— Vous faites quoi, là ? s’insurgea-t-elle de cette voix qui grimpa dans les aiguës.
Elle avait souhaité que son intervention mette fin à son striptease improvisé. Il n’en fut rien. Dorian se retourna pour lui faire face et Joe écrasa ses paupières l’une contre l’autre pour ne plus rien noter mentalement. Elle recula si vivement que son dos heurta le coin d’un meuble. Elle pivota et un fracas de tous les diables se fit entendre. Elle rouvrit les paupières pour s’informer de la nature de ce qu’elle venait de faire valdinguer. Des chaussons de danse, en l’occurrence.
Mais c’est lui qu’elle vit.
Il avait profité de son aveuglement volontaire pour s’approcher dangereusement. Dans son affolement, Joséphine recula encore. Son coude heurta l’interrupteur, et les plongea dans l’obscurité. Au moins, ainsi, elle ne le voyait plus.
— Rhabillez-vous, bon sang ! s’entendit-elle supplier entre deux battements de cœur frénétiques.
Elle sentit quelque chose la frôler et laissa échapper un cri. Le bref éclat de rire qui s’ensuivit irradia le système nerveux de la jeune femme, et si seulement elle avait su où il se trouvait, elle aurait visé l’entrejambe.
— Ne me touchez pas, menaça-t-elle.
— Ne rêvez pas, claqua-t-il de sa voix toute proche, si proche.
Et la lumière fut. De son bras tendu, Dorian venait de lui effleurer l’épaule dans le seul et unique but d’atteindre l’interrupteur. Il demeurait définitivement trop proche. Si proche qu’elle pût respirer chaque effluve qui émanait de sa peau. La sueur, la peine et l’effort se mêlaient à quelque chose de plus subtil, sous-jacent.
Dans un sursaut d’instinct de survie, Joséphine recula, acculée. Et le danseur avança d’un pas. Elle avait le sentiment d’être la mire facile d’un oiseau de proie. A chaque pas en arrière qu’elle faisait, il en amorçait un nouveau dans sa direction. Tel un aimant contraire entre les mains d’un enfant curieux, elle n’était plus pleinement maîtresse de ses mouvements. Encore un élan de recul, et Joséphine dépassa le seuil de la porte sans même le réaliser. Dorian s’immobilisa, un bras en appui contre le chambranle, son impudique épiderme toujours offert à la vue de celle qui n’avait jamais eu l’intention d’en découvrir autant.
— Ceci est un danseur s’apprêtant à prendre sa douche, dit-il en désignant son corps à moitié nu avant de retourner son index pour désigner Joséphine. Et ça, c’est l’intruse qui s’invite dans sa loge sans autorisation.
Sa loge ? Pourquoi n’avait-elle pas prêté la moindre attention à la petite pièce dans laquelle elle avait pénétré ? Elle avait pourtant l’habitude de s’imprégner des lieux qu’elle foulait du pied. Pas ici. Pas aujourd’hui.
Son pâle visage parsemé de taches de rousseur, s’empourpra. Ses lèvres s’entrouvrirent tandis que son cerveau élaborait quelques excuses recevables, mais il ne lui en laissa pas le temps. D’un mouvement preste, il actionna les gonds de la vieille porte dont le bois vint frôler le nez de Joséphine en claquant.
49 commentaires
WildFlower
-
Il y a un an
Gottesmann Pascal
-
Il y a un an
Eleanor Peterson
-
Il y a un an
Ophélie Jaëger
-
Il y a un an
clecle
-
Il y a un an
Ophélie Jaëger
-
Il y a un an
Carl K. Lawson
-
Il y a un an
Céline Carberge
-
Il y a un an
Ophélie Jaëger
-
Il y a un an
Lyse236
-
Il y a un an